147 multinationales contrôleraient pratiquement l’économie globale. C’est du moins la conclusion d’une étude suisse unique en son genre. Pour mettre un frein aux dérives de la concentration du pouvoir, de nouvelles institutions supranationales sont nécessaires, plaide l’économiste Mauro Baranzini. Par Luigi Jorio
Les chercheurs de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ) ont disséqué le réseau des connexions reliant les sociétés actives au niveau planétaire. Ces théoriciens spécialisés en systèmes complexes estiment qu’un groupe extrêmement restreint de sociétés contrôle environ 40% du chiffre d’affaires de plus de 40’000 entreprises actives sur les cinq continents.
Les trois quarts des 147 multinationales qui forment cette « super entité » sont des banques, indiquent les auteurs de l’étude, la première qui parvient à identifier le réseau du pouvoir par des données empiriques. Les instituts financiers suisses UBS et Credit Suisse figurent parmi les multinationales les plus connectées.
« Une grande multinationale peut avoir plus de pouvoir que le président d’un petit ou d’un moyen pays », remarque Mauro Baranzini, ex-doyen de la Faculté d’économie de l’Université de la Suisse italienne. Interview. (...)
Par le biais des lobbies dans les parlements et grâce à l’influence directe sur ceux qui gouvernent, ces personnes peuvent exercer un pouvoir sur le monde politique et, partant, sur les processus démocratiques.
De plus, en cas de choc, comme lors de la crise financière de 2008, le système peut se révéler plutôt faible. Et le fait de concentrer le pouvoir entre en contradiction avec le concept de libre-marché, qui présuppose l’existence d’un grand nombre de producteurs, de distributeurs et d’acheteurs. (...)
Je ne crois pas à un complot, il s’agit plutôt du résultat d’une évolution naturelle qui a vu le secteur financier grandir à démesure. La finance a pris le dessus, s’est détachée de la production réelle, c’est-à-dire de ce qui crée effectivement des revenus et de la richesse. Soit de l’agriculture, de l’industrie et des services primordiaux. (...)
Le phénomène de la concentration se retrouve aussi dans le domaine de la culture et de l’enseignement. Prenons par exemple les Prix Nobel d’économie, qui sont toujours remis à des personnes issues des plus grandes écoles ou à une poignée de nations élues. Les représentants des courants minoritaires sont laissés de côté. Ceux qui ont des idées vraiment originales et révolutionnaires sont ignorés, ce qui freine l’évolution du savoir humain.
Même discours pour les livres d’enseignement. (...)
Il faudrait un nouveau Bretton Woods qui garantisse plus de stabilité. Nous aurions aussi besoin de plus de règles, ou bien d’un genre de « Taxe Tobin » du nom du Prix Nobel américain qui avait proposé de taxer les transactions spéculatives. Nous devrions aussi mettre en place davantage de contrôles sur les mouvements à but spéculatif, par exemple dans le domaine des matières premières, énergétiques ou alimentaires.
Pour contrer les habitudes de monopole et de restriction, il serait utile de créer un genre de tribunal semblable à la Cour pénale internationale. Les commissions anti-trust, par exemple, opèrent seulement à un niveau national et ne peuvent pas s’opposer aux processus de concentration internationale.
Notre histoire est marquée par des groupes qui, à un moment donné, deviennent extrêmement puissants. Je crois que notre société dispose des antivirus pour les neutraliser. Nous verrons si cela marchera pour les multinationales. (...)