
Engagée depuis 25 ans pour faire converger les sensibilités de la gauche politique, sociale et intellectuelle, la députée LFI Clémentine Autain revient, pour Regards, sur les raisons historiques qui ont conduit l’Union populaire à ouvrir les portes de l’espoir.
Ma conviction depuis longtemps, c’est que seule une nouvelle gauche porteuse de changements en profondeur peut répondre aux aspirations de notre temps. Car face aux crises qui s’accumulent, l’heure n’est pas à l’aménagement du système en place mais à la rupture avec les normes dominantes. Mais, comme disait Friedrich Engels, « la preuve du pudding, c’est qu’on le mange » : 2022 en est la démonstration.
Ce qui crée de la dynamique et permet de construire l’avenir, c’est un projet de transformation radicale – c’est-à-dire prenant les problèmes à la racine – et une stratégie s’appuyant sur la recherche d’union au sein du peuple de gauche, plutôt que sur une synthèse à froid entre les partis existants. Avec son score de 22%, et alors qu’aucun des autres candidats de gauche et écologistes n’a réussi à franchir la barre des 5%, Jean-Luc Mélenchon a ouvert l’espoir d’une victoire pour le camp de l’émancipation humaine. Il a redonné vie à la possibilité d’améliorer le quotidien du plus grand nombre. (...)
Alors que, dans d’autres pays, la crise des gauches dans toutes ses composantes ne cesse de s’approfondir, un espoir se lève aujourd’hui en France. (...)
On passerait à côté de l’histoire si l’on ne saisissait pas les partis pris idéologiques et les expériences collectives de plus long terme qui ont permis au candidat insoumis d’arriver si nettement en tête à gauche et, à rebours de ce qu’annonçaient les sondages de début de campagne, de frôler l’accès au second tour. Bien sûr, on pourrait aussi regarder les limites de notre expérience, ce qui a manqué. Mais à cette heure, il me semble décisif de prendre la mesure de ce qui a fonctionné, de ce qui nous donne aujourd’hui un tel élan.
Vingt ans de combats pour ouvrir l’espoir (...)
Avec l’Union populaire, une gauche décomplexée renaît. Celle qui assume son opposition au capitalisme. Celle qui pense que l’écologie sans la lutte des classes, c’est du jardinage. Celle qui veut un changement du sol au plafond du modèle de développement, seul à même d’endiguer le réchauffement climatique. Celle qui s’en prend clairement au monde de la finance, défend bec et ongle les services publics, n’a pas peur de remettre en cause la propriété privée au nom du bien commun. Celle qui ne veut pas seulement ripoliner les institutions mais passer à une nouvelle République, la Sixième. Celle qui refuse de se laisser embarquer dans le débat sur l’identité, préférant le terrain de l’égalité. Celle qui ose contester les violences policières. Celle qui, contre tous, défend les musulmans, victimes d’un racisme éhonté venant de l’extrême droite et qui se dissémine dans l’échiquier politique comme dans le débat public. Celle qui n’accepte pas la concentration des médias et l’hégémonie de la pensée dominante.
Puis le quinquennat de François Hollande a avalisé la dérive néolibérale de la « gauche de gouvernement ». Il a conduit à la désespérance et à la colère, notamment dans les milieux populaires, premières victimes des régressions. Le mot « gauche » s’est abîmé. Et pour cause… (...)
Recueillant 19,6% des suffrages à la présidentielle de 2017, le candidat insoumis a posé une pierre essentielle pour mettre sur pied une force de transformation sociale et écologique. Les années qui ont suivi n’ont toutefois pas permis de consolider et d’élargir à partir de cet acquis de la présidentielle – les élections intermédiaires n’ayant pas transformé l’essai. Il n’empêche qu’en s’opposant avec force et cohérence au pouvoir en place, les insoumis ont capitalisé politiquement pendant tout le quinquennat Macron. Or c’est bien ce fil à plomb de contestation franche du projet néolibéral, productiviste et autoritaire qui a permis à Jean-Luc Mélenchon de déjouer les pronostics.
Assumer et articuler les radicalités
Ce qui a fait le succès de l’Union populaire, c’est également d’en finir avec une gauche aseptisée et normalisée, depuis toutes ces décennies qu’elle courrait après une forme de respectabilité. Souvenons-nous du candidat Hollande qui promettait d’être un « président normal »… Tout un programme ! Quand on s’appelle « les Insoumis », le ton est donné. (...)
Jean-Luc Mélenchon, avec les insoumis, cherche les arêtes, c’est-à-dire ce qui va accrocher, ce qui n’est pas mille fois entendu, rebattu. À l’ère désespérante du clash, ce fut la condition pour percer et être entendu à une grande échelle. Ce parti pris comporte une prise de risque puisqu’il y a des lignes à ne pas franchir, des sorties de route à ne pas commettre, au risque d’être totalement incompris de la majorité des Français et mis hors-jeu dans le débat public. Si l’exercice est périlleux, c’est aussi qu’il peut pousser à trianguler, à cliver à l’intérieur même de celles et ceux que nous avons à rassembler. Mais force est de constater que, lors de la campagne présidentielle de 2022, ce profil a permis de déranger le « ronron » et l’entre-soi mais sans nous aliéner des franges entières de notre électorat.
Cliver n’est pas qu’une affaire de posture, c’est avant tout un enjeu de fond. Il n’est pas question de suivre « le bon sens », principe de droite par excellence, puisque notre raison d’être est de remettre en cause l’ordre existant. Avec l’Union populaire, une gauche décomplexée renaît. Celle qui assume son opposition au capitalisme. (...)
Remplir le mot gauche plutôt que de le brandir
La stratégie insoumise part du principe que les mouvements constitués, les partis de gauche et écologistes ne suffisent pas, même en s’alliant, à susciter l’adhésion massive. Nous avons besoin d’aller chercher dans la société elle-même de nouvelles forces, individuelles et collectives, ainsi que de refonder notre projet sur des bases inédites, avec des termes nouveaux, des formes d’expression nouvelles, pour convaincre et gagner. Un simple compromis entre les partis existants aurait empêché de donner à voir les radicalités nouvelles qui ont fait le succès de la candidature de Jean-Luc Mélenchon. C’est en s’émancipant des vieilles routines que nous avons percé et convaincu. Le Parlement de l’Union populaire, cette instance composée de 300 acteurs du mouvement social et personnalités, a par exemple donné à voir la volonté d’articulation nouvelle du social et du politique, en mettant en lumière des voix plurielles.
Pour cela, le logiciel traditionnel de la gauche, basé sur la lutte des classes, devait lui aussi être adapté. (...)
Ce ne sont pas seulement les leçons du quinquennat Hollande que nous devons retenir, c’est aussi le tournant de 1983 qui est à méditer, cette parenthèse libérale qui ne s’est jamais refermée. Aujourd’hui, nous nous trouvons à un moment de cristallisation, où des courants venus des profondeurs de l’histoire des luttes pour l’émancipation humaine convergent pour rendre enfin un autre monde possible. À nous de leur être fidèles. (...)