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l’Humanité
Vanessa Codaccioni : « L’incitation à la dénonciation est devenue banale, y compris en temps de paix »
Vanessa Codaccioni Politiste, maîtresse de conférences à Paris-VIII La société de vigilance Auto-surveillance, délation et haines sécuritaires Vanessa Codaccioni ed.Textuel
Article mis en ligne le 26 janvier 2021
dernière modification le 25 janvier 2021

C’est une tendance de fond que Vanessa Codaccioni documente et analyse : la façon dont les citoyens sont incités à se surveiller les uns les autres. Dans la Société de vigilance, aux éditions Textuel, elle décortique les activités répressives auxquelles se livrent les populations au quotidien, les transformant de manière insidieuse en auxiliaires de la police.

Vous écrivez que la surveillance citoyenne apparaît en France dans les années 1970, mais que ce phénomène s’intensifie. Pourquoi ?

Vanessa Codaccioni Il existe depuis longtemps des formes d’auto­surveillance en Europe et dans le monde. En France, la surveillance citoyenne se développe avec l’avènement des sociétés de sécurité, où les gouvernements exercent leur pouvoir par la peur. Cette injonction à la sécurité s’accélère fortement à la suite des attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis. (...)

Le but est d’obtenir des renseignements « par le bas », pour arrêter des coupables. Cette pratique s’inscrit dans une histoire ancienne, comme aux États-Unis, pays dans lequel est institutionnalisé le système de « chasse à l’homme contre prime » qu’on retrouve dans une vingtaine de pays en matière de criminalité de droit commun. On peut aussi évoquer les temps de crise et de guerre, propices aux appels à la délation. La nouveauté, c’est que l’incitation à la dénonciation est devenue banale au sein de pays démocratiques, et ce en temps de paix. L’objectif est moins de récolter des informations que de créer une insécurisation mutuelle et permanente (l’autre devient une menace), de contraindre les citoyens à coopérer avec les autorités et les forces de police, donc de légitimer l’action de ces dernières, la répression et le pouvoir politique. Les capacités de révolte et de résistance se retrouvent affaiblies parce que, à force de se dénoncer les uns les autres, on finit par s’isoler, se séparer.

Quels sont les profils ciblés ?

Vanessa Codaccioni Ce sont les cibles historiques, en particulier les groupes racisés

Les pouvoirs publics incitent à surveiller les individus qui ont des comportements suspects ou témoigneraient de signes de radicalisation. Ce n’est pas un hasard si, juste après le discours d’Emmanuel Macron en 2019, dans lequel il appelait à construire une « société de vigilance », l’université de Cergy-Pontoise envoyait un document à l’ensemble du personnel répertoriant des « signaux faibles » de radicalisation, parmi lesquels « l’absentéisme aux heures de prières », « le port de la djellaba » ou « l’apparition du voile ». C’est aussi le cas pour les migrants, comme ceux qui tentent de traverser la frontière Mexique/États-Unis, et que les internautes peuvent surveiller et dénoncer via un système de caméras en réseau. A contrario, il n’existe pas de grille de radicalisation de l’extrême droite. Les autorités appellent à regarder les jeunes filles qui portent le voile, mais pas les personnes qui se font tatouer une croix gammée, qui se rasent le crâne ou qui parlent sans cesse d’invasion migratoire.

À travers ces cibles, on voit très bien la priorisation des menaces par l’État.

Les appels à la vigilance sont une façon de gouverner par la peur et de responsabiliser les citoyens dans la droite ligne de la gouvernance néolibérale. Nous devenons des autoentrepreneurs de notre propre sécurité sanitaire, climatique, financière, etc. Mais cela a deux pendants négatifs. Le premier, c’est la culpabilisation et l’infantilisation de la population. Le second, c’est la déresponsabilisation de l’État au détriment des personnes qui gèrent leur start-up de la sécurité. (...)