
Habitat, alimentation, transport, vie quotidienne : les pistes sont nombreuses pour intégrer la sobriété énergétique dans notre société. Nous y vivrions bien, voire mieux selon les experts. Voici les différents scénarios élaborés.
Imaginons. Nous sommes en 2050. Il est 7 heures du matin. Le ciel est encore plein d’étoiles — depuis que l’éclairage nocturne et les panneaux publicitaires numériques ont été interdits, elles sont de nouveau visibles en ville. Le ballet des travailleurs se met doucement en marche, sans les klaxons et embouteillages d’antan. Transports en commun, marche, vélo et covoiturage sont désormais la règle. Le paysage urbain a changé : les bureaux vides ont été transformés en appartements, les logements laissés à l’abandon réhabilités et les habitats partagés se sont multipliés. On partage désormais perceuses, aspirateurs et machines à laver avec ses voisins de palier. On vit avec un peu moins de confort, un peu moins d’intimité, mais plus de liens sociaux.
Sauf que tout ceci... reste un scénario.
Alors que les exemples concrets de territoires sobres manquent, Négawatt, Virage Énergie et le Shift Project ont élaboré des scénarios imaginant les contours de sociétés économes en énergie. Ces trois associations planchent depuis plusieurs années sur des mesures réduisant notre consommation, et ont esquissé des pistes pour construire des modèles alternatifs : des sociétés où la consommation d’énergie serait grandement réduite, sans pour autant ressembler à des films en noir et blanc sur l’Union soviétique. Au contraire, soulignent les défenseurs de la sobriété, nous pourrions mieux y vivre. Et les alternatives sont nombreuses.
Les scénarios pour les bâtiments
Dans le secteur résidentiel, ces trois groupes de réflexion insistent sur la nécessité d’augmenter le nombre de personnes par logement, de rénover les bâtiments anciens à grande échelle et de diminuer la part de maisons individuelles dans la construction neuve. Elles mettent également en avant la nécessité de développer « de nouvelles pratiques de l’habitat », comme en développant les colocations entre étudiants et personnes âgées. Dans une société sobre, la température de chauffage pourrait être limitée à 19 °C et nous porterions davantage de pulls en hiver. (...)
• Les scénarios pour les transports
Pour ce qui est du transport, les scénarios élaborés par ces associations misent sur une réduction de la vitesse sur les routes et le développement des modes de transport actifs (comme la marche et le vélo) au détriment de la voiture. La généralisation du télétravail pourrait également limiter nos déplacements. Ces évolutions, soulignent-elles, devraient s’inscrire dans la construction de « villes de courte distance », où commerces, établissements de santé et lieux culturels se rapprocheraient des habitations, en rupture avec le phénomène d’étalement urbain que nous observons aujourd’hui. (...)
• Les scénarios pour l’alimentation (...)
Pour rendre le secteur plus sobre, Négawatt prône une réduction de la quantité de protéines animales consommées par les Français, et un basculement de l’agriculture conventionnelle vers une agriculture locale et biologique. Avec plus de gens dans les champs et en cuisine, la consommation de produits transformés diminuerait. La traction animale et certaines techniques de cuisson « low-tech », comme la marmite norvégienne, pourraient regagner en popularité. (...)
Les scénarios pour la vie quotidienne
Notre vie quotidienne et notre rapport à la consommation sont également appelés à changer drastiquement. Économiser l’énergie et les ressources naturelles implique de réduire de manière très significative les achats de biens matériels, notamment numériques. Comme nous l’expliquions précédemment dans cette enquête, cela pourrait passer par un encadrement plus strict de la publicité, une progression du marché de la seconde main et le développement de réseaux de réparation, qui permettraient d’allonger la durée de vie des équipements. (...)
Côté vie culturelle, le Shift Project a élaboré un rapport détaillé sur la manière dont ce secteur pourrait réduire la voilure. Il prône notamment l’organisation de festivals et de concerts à plus petite échelle, comprenant davantage d’artistes locaux, ainsi que la relocalisation des infrastructures de production des livres, le recours à des ressourceries pour la création des décors de spectacles et le renoncement à la diffusion de contenus vidéos en ultra haute définition (...)
« Il faudra un jour accepter des interdictions en matière énergétique » (...)
Un certain nombre d’universitaires et d’associatifs s’interrogent aujourd’hui sur les mesures de régulation que les institutions publiques pourraient mettre en place. « Il manque l’équivalent d’un Code de la route pour notre consommation énergétique et écologique, estime l’ingénieur Thierry Salomon, de Negawatt. (...)
Dans son rapport consacré à la sobriété, le Labo de l’ESS a dressé un inventaire des mesures permettant une meilleure répartition des ressources naturelles et énergétiques. L’une d’elles consiste à mettre en place une tarification progressive de l’énergie. (...)
« Le modèle de société sobre peut être très désirable »
Une autre solution, plus complexe à réaliser, est celle des quotas carbone individualisés. L’idée : en sus de son compte bancaire, chaque citoyen disposerait d’un compte « carbone » contenant un certain nombre de crédits. Ces derniers seraient définis à partir des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre de chaque État, et répartis équitablement entre l’ensemble de ses habitants. Chaque produit ou service aurait, en plus de son prix monétaire, un prix carbone, déterminé en fonction de la quantité d’énergie nécessaire à sa production. Il ne serait donc plus possible d’acheter des billets d’avion, de l’essence ou du fioul sans limites.
Quoique prometteuse, cette mesure n’a jamais été testée à grande échelle et soulève de nombreuses questions quant à la protection des données privées. (...)
La population pourrait également être réticente à l’idée que l’on restreigne sa liberté de consommer. « Pour être acceptée, cette mesure ne peut être mise en place que très progressivement, en commençant par certains postes comme l’avion, en étant d’abord incitative et en prévoyant des mesures compensatoires pour les ménages précaires », estime-t-elle.
Ces formes de rationnement — si elles étaient mises en place — devraient également s’inscrire dans une dynamique de transformation structurelle de la société, selon Éric Vidalenc, auteur d’un blog spécialisé sur Alternatives Économiques et conseiller scientifique au sein du groupe de réflexion Futuribles : « Si l’on met en place des quotas dans un système énergétique construit autour d’infrastructures fossiles, où tout est fait pour vous amener à consommer de l’énergie en grande quantité, ce sera invivable. Comme peut l’être une taxe carbone pour des ménages dépendants de la voiture ou chauffés au fioul, estime-t-il. En revanche, si vous construisez un système urbain sobre, où vous avez le choix d’utiliser des modes de déplacement alternatifs et de vivre dans des logements bien isolés, un système de quotas ou de taxe serait plus facilement toléré. »
« La sobriété n’est pas punitive. Elle peut avoir de nombreux cobénéfices. » (...)
Des modèles économiques alternatifs, comme l’économie de la fonctionnalité, pourraient s’épanouir, voire remplacer ceux favorisant l’obsolescence.
Nicolas Raillard vante également les mérites du « ralentissement des modes de vie » que la sobriété pourrait induire, propice à l’épanouissement personnel et au renforcement des liens sociaux. La directrice de l’association Virage Énergie, Barbara Nicoloso, rappelle quant à elle que la sobriété pourrait entraîner une diminution de la pollution générée par les activités industrielles, et nous conduire à pratiquer davantage d’activités physiques bénéfiques à notre santé. (...)