
Après les élections de décembre que reste-t-il du chavisme ? Le « socialisme du XXI e siècle » n’aura-t-il été finalement qu’un modèle caudilliste reposant sur un système de rente pétrolière plus ou moins redistributif ? Alors que le pays connaît une inflation et une pénurie sans précédent, le chercheur en science politique Fabrice Andreani et le journaliste Marc Saint-Upéry, livrent, pour CQFD, une analyse sans complaisance sur l’histoire « d’une farce à 500 milliards de dollars ».
(...) D’après les thuriféraires du régime, ce dernier est victime d’une « guerre économique » menée par « la bourgeoisie » et « l’Empire » – avec la complicité « des médias » : un remake version 2.0. du coup d’État contre Salvador Allende au Chili en 1973. L’analogie pouvait encore faire sens pendant la crise politique des années 2002-2004, lorsque les mobilisations massives exprimaient – sans pour autant l’épuiser – une claire confrontation de classe. Le chavisme, tout à la fois mouvement populaire et coalition instable autour d’un caudillo charismatique – qui s’était illustré par un putsch raté en 1992 contre un président responsable du massacre de milliers d’émeutiers par l’armée lors du soulèvement du « Caracazo » de 1989 –, défaisait alors tour à tour un coup d’État et un lock-out pétrolier ouvertement appuyés par Washington. Mais l’enlisement fatal d’une bureaucratie qui a multiplié depuis 2007 les vexations contre les ouvriers, employés, paysans et indigènes les plus indomptables, ne relève d’aucun « complot ». (...)
Dans le Venezuela « socialiste », le régime fiscal est resté largement régressif, et la taxation des hauts revenus est même ridicule si on la compare à celle en vigueur dans des pays « néolibéraux », comme la Colombie ou le Chili. Les programmes sociaux en matière de santé, éducation, alimentation et logement, aujourd’hui considérablement amoindris, ont été financés sur les surplus budgétaires exceptionnels consécutifs aux booms pétroliers de 2003-2007 et 2009-2011, gérés de façon complètement opaque. (...)
Sous le coup d’une dette exponentielle depuis 2012 – notamment détenue par la Chine –, puis de la dégringolade des prix du brut depuis 2014, le niveau de vie des classes populaires a chuté, après une amélioration aussi spectaculaire qu’éphémère entre 2003 et 2007. C’est aujourd’hui près de la moitié de la population active, dont des millions de « chavistes de cœur », qui s’adonne au commerce informel et à la contrebande de biens et de devises censées alimenter la prétendue « guerre économique ». Or cette stratégie de survie n’est qu’une version misérabiliste de ce qui a été, au côté de l’extorsion pure et simple, la voie royale d’accumulation de capital pour la vaste majorité des dirigeants, le plus souvent militaires, des administrations publiques et des entreprises nationalisées ou « mixtes » – où l’on viole impunément les droits des travailleurs tout en produisant moitié moins que dans le secteur privé. (...)
Depuis l’été dernier, sous prétexte de lutte contre la contrebande, et après l’expulsion de milliers de migrants colombiens, les « opérations de libération et protection du peuple » (sic) consacrent l’institutionnalisation à une échelle de masse des razzias policières-mafieuses contre les quartiers populaires, dignes des heures les plus sombres des régimes « néolibéraux » d’antan. Avec en prime un taux d’homicide équivalent à celui de l’Irak et un taux d’irrésolution des crimes de plus de 95 %…
La débâcle du chavisme ouvre-t-elle la voie à une politique revancharde et ultralibérale de la droite ? Une bonne partie de l’électorat vénézuélien a plus voté contre le chavisme que pour le programme assez vague de la MUD, qui tenait en à peine sept pages. (...)
En promouvant au nom de l’unité « anti-impérialiste » le culte du chef, la gestion des politiques publiques par des militaires et la mise au pas du mouvement social sur fond d’incompétence gestionnaire vertigineuse et de corruption abyssale, le chavisme a beaucoup fait pour discréditer tout projet cohérent se réclamant du socialisme, ou même d’un réformisme social conséquent au Venezuela. D’authentiques forces populaires issues de la matrice bolivarienne participeront sans doute demain à des recompositions progressistes viables, mais elles devront pour cela exercer un « droit d’inventaire » sur l’héritage chaviste, qui ne manquera pas d’occasionner de féroces querelles de famille et bien des blessures narcissiques…
Le cercle vicieux d’inflation et de pénurie que subit le Venezuela depuis plusieurs années [1] découle avant tout des pratiques économiques mercantiles – y compris au sein la nomenklatura bolivarienne – dans un système mono-producteur de pétrole qui importe peu ou prou tout ce qu’il consomme en dehors de l’énergie.