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Vente d’armes françaises : « Quels conflits déclenche-t-on au Moyen-Orient ? »
Article mis en ligne le 7 juillet 2019
dernière modification le 6 juillet 2019

Interview de Benoît Muracciole, président de l’association Action Sécurité Ethique Républicaines (ASER)

L’association Action Sécurité Ethique Républicaines (ASER) est la première à mener une action en justice contre le gouvernement français concernant le transfert de ses armes. Son président Benoît Muracciole travaille en France sur la question des armements et de leur contrôle depuis plusieurs décennies. Il a ainsi participé à l’élaboration de traités, dont celui de 2013, qu’il évoque dès la première page de son livre Quelles frontières pour les armes (éditions Pedone, 2016), rappelant que c’est « le premier traité sur le commerce des armes de l’histoire de l’humanité. » (...)

Pour pointer les violations, il insiste particulièrement sur l’article 6 qui porte sur le risque d’usage des armes. Son application permettrait de bloquer les transferts d’armes vers l’Arabie saoudite ou tout Etat violant les droits humains. Pourtant, l’Etat français refuse de répondre sur le fond, y compris devant le tribunal administratif de Paris. En attente de la réponse de la justice, Benoît Muracciole a évoqué tous ces sujets avec [Ehko]. (...)

Créée en 2011, ASER est l’union des anciens membres de la « Commission armes » d’Amnesty France et d’anciens officiers de police. Le point commun entre les membres de notre équipe : la défense des droits de l’Homme et du contrôle du transfert des armes et de leur usage proportionné. ASER exerce une double mission de plaidoyer, d’alerte des autorités et d’accompagnement des victimes de violences policières qui la sollicitent. L’association réunit une vingtaine d’experts. Elle est financée par les dons et cotisations de ses adhérents. C’est donc une petite association militant pour une grande cause ! (...)

En France, c’est en 1995 avec le premier rapport d’Amnesty international sur l’usage des armes françaises au Rwanda que se pose officiellement la problématique. (...)

La question des transferts d’armes est fondamentalement stratégique et faisait peur à beaucoup de monde car elle montre toute la chaîne de responsabilités. Pourtant de 2008 à 2011 l’ambassadeur au désarmement a pleinement engagé la France dans les négociations, faisant même référence. Grâce à l’impulsion et la pression de la société civile, le traité sur le commerce des armes constitue un cadre juridique solide pour prévenir les graves et systématiques violations des droits de la personne. (...)

Certains sont pour l’arrêt de la production d’armes. Nous ne croyons pas au rassemblement aujourd’hui des Etats sur cette idée. En revanche, si nous parvenons à faire appliquer le TCA, nous empêcherons des millions de graves violations des droits de l’Homme.

Beaucoup au ministère des Affaires étrangères et de la Défense n’ont pas la connaissance du monde, leurs raisonnements sont conceptuels… Ils reproduisent ce qu’ils ont appris dans les grandes écoles et ils conseillent les politiques, passés par ces mêmes écoles qui les ont retirés du monde. Il faut trouver les mots pour convaincre ces personnes. Le meilleur moyen a été le processus qui a mené à l’adoption du TCA. Le dialogue ONG/gouvernement a été gagnant-gagnant et on a vu des gens changer au sein des ministères. (...)

Le 7 mai 2018, pour la première fois en France, une ONG, ASER, a intenté une action en justice contre le gouvernement français sur le fondement du TCA dont il est partie. Les députés et les ONG seront désormais obligés de faire une lecture sérieuse des textes. La faiblesse des interprétations juridique du TCA profitent à sa violation par les gouvernements et cela doit cesser !
En mars 2018, face à l’opacité des décisions prises par la commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG)*, notre avocat Matteo Bonaglia a écrit au Premier ministre pour la suspension des transferts d’armes dans le cadre de la guerre au Yémen. L’absence de réponse dans un délai de 2 mois valant refus, nous avons donc saisi le tribunal administratif de Paris le 7 mai 2018, pour suspendre toutes les exportations d’armes à destination des pays de la coalition dirigée par l’Arabie Saoudite et les Emirats arabes unis. Maître Matteo Bonaglia est entré dans la logique du traité et a élaboré un argumentaire extrêmement bien construit pour contrer celui du gouvernement français (...)

ASER a également lancé avec l’ACAT une procédure concernant le cargo saoudien Bahri Yanbu [Ndlr. Cargo saoudien qui devait charger des armements en France]. La justice administrative a reconnu la menace sur la vie mais pas l’urgence alors que le programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) parle de 239 000 morts au Yémen fin 2019 si le conflit garde la même intensité… Pour le deuxième cargo, le Bahri Tabuk, ASER ainsi que des ONG et syndicats sur place ont mené une action à Fos-sur-Mer. Peu de gens savent que selon le TCA, le transit fait parti des transferts d’armes. Le Bahri Tabuk ne devait donc pas passer en transit dans un port français même s’il n’y chargeait aucune arme.

Le régime actuel de la Ve République empêche les parlementaires, les citoyens et les ONG d’interroger le gouvernement sur la légalité de ses décisions. L’action en justice d’ASER est ainsi complémentaire de la demande d’enquête parlementaire du député Sébastien Nadot. Pour rappel, en 1997, la coalition des ONG françaises demandait déjà la création d’un office parlementaire. (...)

Comment s’est passée l’audience devant le tribunal administratif de Paris ?
Le 11 juin, durant une vingtaine de minutes, en présence des députés Sébastien Nadot, Jean Lassalle et François Ruffin, Maître Bonaglia a présenté nos arguments. Il a principalement axé sa plaidoirie sur la compétence du tribunal, déniée par le gouvernement. L’incompétence des juges était le seul motif avancé en défense par le gouvernement français qui, à aucun moment, ne conteste les violations de l’article 6 du TCA. (...)

Nous attendons la décision du tribunal administratif de Paris. Et nous interrogeons. Pourquoi le Premier ministre n’est pas en première ligne ? C’est pourtant lui qui préside la CIEEMG. Combien de générations sacrifiées pour sauver l’industrie européenne ? C’est ce que le ministre Bruno Lemaire a oublié de dire à Angela Merkel quand il a essayé avec le ministre britannique de faire pression sur le gouvernement allemand pour débloquer la suspension des transferts d’armes vers l’Arabie Saoudite… (...)

Qu’est-ce que veut dire pour une société de se construire sur le massacre de civils à des milliers de kilomètres ? Quels conflits futurs déclenche-t-on au Moyen-Orient ? Quelle est la légitimité de Hadi au Yémen ? La guerre renforce l’État islamique et Al-Qaïda dans la péninsule Arabique parce que l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unies leur rétrocèdent bon nombre d’armes. Tout concourt à cette catastrophe humanitaire, il n’y aucun signal des belligérants qui montrerait qu’ils apportent une quelconque attention à la population civile. On est donc bien dans une violation flagrante de l’article 6 du Traité sur le commerce des armes.