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Vers l’État plateforme La dématérialisation de la relation administrative
Article mis en ligne le 5 avril 2019
dernière modification le 3 avril 2019

Prime d’activité, demande de logement social, inscription à pôle emploi, nombreuses sont les démarches qui ont basculé dans le tout numérique, n’offrant pas d’autre alternative aux administrés et entraînant une rupture d’égalité devant le service public.

L’annonce par le gouvernement, en octobre 2017, du programme « Action publique 2022 » visant la « transformation numérique des services publics » par la dématérialisation de 100% des actes administratifs, a fixé l’horizon d’un mouvement de modernisation technique engagé par la majorité des administrations et organismes publics (État, organismes de sécurité sociale, collectivités), dont deux rapports [1] du Défenseur des droits viennent de dénoncer le déploiement « à marche forcée » et ses effets de mise à distance voire d’exclusion de certains de ses usagers.

Malgré une stratégie nationale pour un numérique inclusif, les pouvoirs publics semblent peiner à prendre la mesure de ce qu’implique la « transition numérique » de l’État dans sa relation aux usagers. (...)

Si la réalité du mouvement de dématérialisation [2] est aisément constatable, on ne dispose pas aujourd’hui d’un recensement précis de l’ensemble des démarches dématérialisées. (...)

Sans anticipation ni réel pilotage, la coordination de la multiplicité de ses acteurs étant rendue compliquée par l’absence de toute instance ou cadre structurant de dimension nationale.

(...) D’une part, ne sont pas précisés pas quels « services » ne sont aujourd’hui accessibles qu’en ligne (...)

D’autre part, ces tableaux ne rendent pas compte de la dématérialisation de la relation administrative, au-delà des procédures de demande de droit ou d’accès à des formulaires administratifs. Une part grandissante des échanges se déroule aujourd’hui par voie électronique (mail, sms, boîte de dialogue/ chat box), et on assiste à une généralisation de la prise de rendez-vous physique par internet (préfecture [6], CAF, Pôle emploi, etc.) couplée à l’impossibilité d’avoir un contact physique avec un agent pour les premiers contacts, les inscriptions, les démarches d’entame des procédures. (...)

majoritairement numérique, le contact « humain » (téléphonique ou physique en face à face) constituant une voie seconde et complémentaire des démarches en ligne. Ce virage de la dématérialisation de la relation apparaît d’autant plus fort qu’il s’est fait concomitamment à une réduction des accueils physiques et des autres modes de contact, renforçant la perception d’une déshumanisation du contact avec les administrations. (...)

La connectivité, entendue comme capacité à avoir des usages connectés, devient une condition sine qua non de l’accès aux démarches administratives ; corrélativement, les publics « non autonomes numériquement » se voient mis à distance par le « traitement à distance » de la relation et empêchés matériellement dans l’accès à leurs droits. (...)

Toutes les études indiquent une corrélation forte entre usages du numérique et âge, niveau de diplôme et niveau de ressources (...)

Si un droit à la connexion a pu être évoqué [10], tout comme un droit au maintien de la connexion internet dans le cadre de la Loi Numérique (2016) [11], aucune politique publique d’aide à l’équipement (achat de smartphone ou d’ordinateurs) ou à l’acquisition de forfait internet n’a été mise en place au niveau national. Indépendamment des compétences des individus, toute démarche en ligne suppose pourtant nécessairement de pouvoir accéder à un équipement et une connexion - dimension dite de premier niveau de la fracture numérique (...)

Elles sont par ailleurs cognitives et culturelles (...)

En l’état actuel, l’obligation administrative à se connecter demeure très inégale entre les individus : une personne bénéficiaire de droits sociaux soumis à déclaration de ressources trimestrialisées a mécaniquement davantage l’obligation de se connecter qu’une personne ne percevant pas de prestations sociales. La connectivité étant socialement distribuée, l’on assiste ainsi à une double [14] peine (Credoc 2016) : les individus les plus précaires, aussi bien économiquement que sur le plan de l’isolement social (Défenseur des Droits 2017) sont moins connectés alors que, dépendants davantage de droits et prestations sociales, ils ont davantage l’obligation de le faire. (...)

Dans nombre de situations, les individus sont placés dans l’impossibilité de demander par les normes matérielles et comportementales exigées. Le support matériel du recours lui-même, dans sa dimension technique et cognitive, devient un obstacle et un facteur de non-recours. Cette mise en incapacité porte sur toutes les séquences du parcours d’accès au droit (...)

Les difficultés sont graduelles, et portent sur l’accès, mais aussi sur le renouvellement des droits, les ruptures dues à des échanges numériques non maîtrisés, le suivi de son dossier ou la demande de pièces justificatives uniquement accessibles en ligne. La nécessité de posséder une boîte mail a notamment généré nombre de ruptures de droits [18], entraînant retards et non-recours frictionnel [19] important. Encore ces retours ne concernent-ils que la face éclairée du phénomène : bien souvent, ce sont des tiers, familiaux ou amicaux, qui pallient les difficultés et réalisent à leur place les démarches en ligne, donnant lieu à une gestion « collectivisée » des droits qui peut poser problème [20]. Et fausse de fait tous les chiffrages qu’on peut effectuer pour comptabiliser les connexions administratives (...)

le plus souvent, les services ont commencé par dématérialiser leurs procédures ou formulaires avant de se poser la question des capacités numériques de leurs usagers destinataires. (...)

Les compétences de bases, nécessaires à l’appropriation des technologies, étant socialement distribuées, il est nécessaire pour les plus publics les plus éloignés d’apprendre à apprendre (Brotcorne et Valenduc 2009), donc de disposer d’espaces dédiés, pérennes dans le temps, avec un accompagnement au long cours.(...)