
« Il faut qu’on arrive à comprendre que ces émeutes sont le langage de ce que l’on a ignoré. Qu’est-ce que l’Amérique n’a pas su voir ? Elle n’a pas su voir que la situation désespérée des pauvres a empiré ces dernières années. Elle n’a pas su voir que les promesses de justice et de démocratie n’ont pas été tenues » (Martin Luther King le 18 mars 1968, quelques jours avant son assassinat le 4 avril)
Depuis un mois maintenant, les médias nous abreuvent d’images de violences commises au sein ou en marge des manifestations initiées par les "gilets jaunes". Sans nier la réalité des dégâts, tant humains - policiers et manifestants blessés, parfois très grièvement, six personnes décédées - que matériels et économiques, il est souhaitable d’apporter un autre regard sur ce qui se passe en France actuellement.
Ces violences médiatisées "flattent" ainsi en chacun de nous le voyeurisme et nourrissent de la pire des façons le besoin de reconnaissance exprimé par les "gilets jaunes". Elles ne doivent pas nous faire oublier qu’elles sont directement ou indirectement le fait de plusieurs catégories d’acteurs :
- des membres de mouvements groupusculaires organisés proches de l’extrême droite ou de l’extrême gauche, infiltrés parmi les "gilets jaunes", qui expriment leur besoin d’exister par la violence,
- des groupes de personnes, souvent laissées sur les bas-côtés de notre société, qui profitent de ces désordres pour commettre des actes de destruction gratuite et de pillage,
- des "gilets jaunes", sans histoire jusque-là, embarqués dans des mouvements de foule inhabituels pour eux, et auxquels ils ne sont pas préparés. Sous le coup de la peur et/ou de la colère légitimes ils deviennent acteurs de violences,
- des forces de l’ordre, éreintées par les diverses missions confiées depuis des mois, qui, malgré leur professionnalisme et parfois leur proximité avec les "gilets jaunes", obéissent aux ordres illégitimes en utilisant des armes de guerre aux effets dévastateurs,
- des policiers et préfets qui multiplient contrôles et gardes à vue, en partie injustifiées et parfois dégradantes,
- des juges qui prononcent des peines qui se veulent dissuasives mais qui nourrissent les colères.
- Pour autant ces violences ne doivent pas nous faire oublier qu’elles sont aussi la conséquence d’autres violences structurelles beaucoup moins avouées, banalisées voire légitimées, rarement reconnues comme telles :
- l’augmentation, année après année, du nombre de travailleurs et retraités pauvres victimes de décisions économiques injustes, prises par des acteurs politiques et économiques déconnectés des réalités, sourds ou sans scrupules,
- l’ampleur du fossé entre la minorité des plus riches et la masse de celles et ceux qui s’escriment à parfois survivre, fruit d’une injustice fiscale grandissante,
- la pression publicitaire qui crée des besoins de plus en plus illusoires et difficiles à satisfaire et qui contribue à la destruction de notre environnement,
- un aménagement du territoire concentré autour de grandes métropoles, favorisant l’emploi de véhicules personnels pour pouvoir travailler ou se nourrir,
- la disparition des services publics et des lieux de convivialité dans nombre de zones rurales et périphéries urbaines,
- la dégradation des relations humaines et des conditions de travail et la déshumanisation des liens avec les usagers par la numérisation de l’économie.
- Autant de violences structurelles qui provoquent la crainte de tomber dans la misère, la perte d’estime de soi, la défiance à l’égard des hommes et femmes politiques. Des violences qui nourrissent la haine des riches, ou de tous ceux qui ne sont pas « comme nous », les migrants en particulier, victimes dans leurs pays des décisions économiques et environnementales prises par les gouvernements de nos pays "riches", ou les exclus du quart-monde, condamnés à subir des conditions de vie indignes de l’humain...
Tant de violences pourrait laisser croire que la non-violence est inefficace. Mais peut-on l’en accuser dès lors que les citoyens n’y ont jamais été formés voire simplement sensibilisés, notamment lors de leur passage à l’école ? Peut-on l’en accuser dès lors que les grands médias ne relatent quasiment jamais comment elle a permis au cours de l’Histoire de dénouer de profondes crises sociales ou politiques, en dépit des violences subies par celles et ceux qui ont osé mettre en œuvre, envers et contre tout, une véritable stratégie de l’action non-violente... Voir sur le site du MAN le résultats des recherches d’Erica Chenoweth et Maria Stephan (https://nonviolence.fr/Le-secret-de-la-resistance-non-violente).
Il est temps de donner à la non-violence sa chance, « si nous ne voulons pas mourir comme des idiots » ! Puissent les "gilets jaunes" s’en saisir et ainsi tous nous aider à retrouver une dignité humaine profondément bafouée, à tous les niveaux... Au risque sinon de devenir les victimes de leur propre violence...
« J’ai l’audace de croire que les peuples partout dans le monde puissent avoir trois repas par jour, éducation et culture et dignité, égalité et liberté pour leur esprit » - Martin Luther King (le 10 décembre 1964, lors de la réception du Prix Nobel de la Paix)