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Violences policières « en marge » des manifestations : les mots pour (ne pas) le dire
Article mis en ligne le 7 mai 2017

« Blessures, mutilations, violences, tirs dans le dos », « mise en place de dispositifs générant de fortes tensions », « usage non conforme de l’armement », « répression sans discernement », « mise en danger d’autrui », « abus de pouvoirs, humiliation, injures, menaces »… Autant de phénomènes observés et rapportés dans un « Rapport d’information sur les actions de maintien de l’ordre menées depuis le début des manifestations d’opposition à la loi sur le travail en février 2016 » publié par Reporterre et consacré aux pratiques de « maintien de l’ordre » pendant la mobilisation contre la loi Travail [1].

Pourtant, la presse (qu’elle soit locale ou nationale) ne l’entend souvent pas de cette oreille. Les pratiques policières y sont au contraire présentées de façon récurrente comme des « réponses » – des « ripostes » – efficaces, dont les objectifs et les conséquences sont évoqués dans des formules toutes faites mais qui sont loin d’être neutres, et les avalisent [2]. Petit lexique pour temps de mobilisation, ébauché à partir d’articles de la presse locale et nationale sur la mobilisation contre la loi Travail à Rennes, sur la période mars-juin 2016. (...)

Les violences policières : des incidents difficiles à éviter ?

Les manifestants victimes de violence ne sauraient trop se plaindre des désagréments subis (pour mieux s’en assurer, on évitera généralement de leur donner la parole). Désagréments dont on s’abstiendra d’interroger trop précisément les causes. Autrement dit : n’exagérons rien, et puis de toute façon on ne pouvait pas faire autrement.

Commençons par l’euphémisme préféré des commentateurs :

« La polémique enfle après l’intervention musclée des forces de l’ordre près de la rocade de la ville de Rennes jeudi. » (BFM TV, 3 juin 2016) (...)

« Incident » – « petit événement fortuit et imprévisible », comme le définit le Trésor de la langue française –, voilà bien le mot approprié pour évoquer la perte d’un œil due à « un projectile » non identifié. Du reste, on n’oublie généralement pas de rappeler que ledit « incident » s’est produit « en marge » de la manifestation (...)
Et si l’on en est réduit à devoir malgré tout appeler les choses par leur nom et à évoquer crûment des « violences policières », il reste un dernier recours, l’usage de guillemets, hautement déontologiques (mais dont on peut se passer pour évoquer les « violences » des manifestants – qu’on peut parfois évoquer, puisqu’on les redoute, avant même qu’elles aient eu lieu) :

« Ce qui inquiète les autorités, c’est surtout le rassemblement annoncé samedi et censé dénoncer “les violences policières”. » (20minutes.fr, 12 mai 2016) (...)

Cette façon de présenter les pratiques policières – des réponses inéluctables, efficaces, et aux conséquences mineures – constitue-t-elle une forme de légitimation médiatique des violences policières par la presse ? Poser la question constitue une part de la réponse. (...)

Certes quelques médias ont pris soin de questionner les violences policières et même d’appréhender ce phénomène comme un fait social et politique plutôt que comme un fait divers. Mais malgré ces exceptions, le discours journalistique reste, dans sa grande majorité, un discours assujetti à un seul et unique point de vue, légitimant les violences structurelles, et, par là-même, les visions qu’ont les dominants de l’espace social et la manière dont ce dernier devrait être à la fois organisé et régi. (...)