
Des ZAD aux quartiers populaires, des manifestations réprimées aux universités occupées, certains des sujets qui occupent beaucoup de temps d’antenne, d’articles et de dépêches ont à voir avec les agissements des « forces de l’ordre ».
Très régulièrement, les journalistes travaillant pour des médias dominants sur ces sujets sont confrontés à une critique sévère, issue en partie des personnes ayant vécu les événements « de l’autre côté de la matraque » : en reprenant sans recul la communication de la police ou de la gendarmerie, leurs articles et reportages occultent la violence des « forces de l’ordre », ou la présentent systématiquement – quoique plus ou moins explicitement – comme légitime.
Partant, leur version des faits s’en trouve souvent biaisée, voire mensongère, bien qu’étiquetée « officielle », ce qui serait un gage d’« objectivité ». Pour Acrimed, qui réfute l’idée d’un complot journalistico-policier, et qui cherche à comprendre quelles sont les conditions qui favorisent la production de ce type de mauvaise information (voire, dans certains cas, de désinformation), la question que nous posons ironiquement est alors la suivante : mais pourquoi sont-ils aussi méchants ?
Qu’il s’agisse d’une intervention d’une BAC (Brigade Anti Criminalité) ou d’une BST (Brigade Spécialisée de Terrain) dans un quartier populaire, des méthodes et des armes utilisées par des CRS ou des gendarmes mobiles lors de telle ou telle manifestation, des blessures infligées par les forces de l’ordre aux occupants des ZAD ou des universités en luttes contre la réforme ORE [1], les exemples sont nombreux(...)
Une dépendance structurelle vis-à-vis des sources policières
Pour comprendre la primeur donnée aux sources policières, parfois au détriment de la vérité, il est utile de s’intéresser aux pratiques de certains journalistes entretenant une relation de proximité avec les forces de l’ordre, et qui construisent leur carrière sur les informations que cette proximité leur permet d’obtenir. (...)
Enfin, la croyance (et la confiance) dans une « objectivité de fait » des institutions policières et judiciaires explique non seulement que certains journalistes ne remettent pas en cause les informations délivrées par ces sources, mais qu’ils leur donnent, en outre, l’exclusivité (...)
Des pratiques aussi en vigueur dans la presse nationale
Sur le principe, ces considérations valent également à l’échelle des médias nationaux vis-à-vis des institutions gouvernementales centrales – notamment les préfectures et le ministère de l’Intérieur.(...)
Les dérives de la dépendance police/journalistes(...)
Les évacuations des ZAD de Notre-Dame des Landes et de Bure en février et avril dernier auront à cet égard fourni un énième exemple des dérives du journalisme de préfecture. Car si de nombreux journalistes ont alors protesté contre les menaces à la liberté de la presse et les conditions de travail auxquelles ils ont été contraints (violence de la part des « forces de l’ordre », accès restreint ou interdit au terrain des « opérations », etc.), d’autres se sont parfaitement accommodés des récits (narratif et visuel) de la police, qu’ils ont utilisés dans leurs médias parfois sans le moindre recul.(...)
Versions concurrentes : une bataille médiatique à armes (très) inégales
Dans de nombreux cas, les journalistes des médias dominants mettent donc en avant la version des pouvoirs publics, et négligent ou ignorent les éléments matériels et les témoignages qui permettraient de la questionner – voire de la disqualifier. Cette tendance, tout à fait nette, n’est pas une loi universelle et uniforme : selon les détails des événements, le type de média, la façon dont les éléments contredisant la version officielle sont portés et défendus, et même le ou la journaliste affectée au traitement de ces événements, l’information produite reprendra les discours préfectoraux ou ministériels avec plus ou moins de distance.(...)
En attendant les transformations de l’espace médiatique pour lesquelles Acrimed milite, et qui viseront entre autres à renverser cette dépendance, nous continuerons d’encourager les personnes, les organisations et les titres de presse qui mènent des batailles médiatiques pour faire connaître ou reconnaître la réalité des faits ; et nous continuerons de pointer autant que possible les affaires dont le traitement médiatique est biaisé ou distordu par le suivisme des rédactions à l’égard des récits proposés par les représentants des forces de l’ordre.