La majorité a octroyé la présidence du groupe d’amitié France-Liban à l’ancien ministre Damien Abad car il serait « un député comme les autres ». Comme pour le député LFI Adrien Quatennens, les partis politiques ne sont pas à la hauteur de #MeToo.
« C’est un député comme les autres. » Mercredi 7 décembre, le parti présidentiel Renaissance a parfaitement résumé le fossé béant qui règne entre le mouvement #MeToo et la politique française. Il s’agissait de justifier la promotion de Damien Abad, débarqué du gouvernement après avoir été mis en cause par quatre femmes (lire les enquêtes de Mediapart) pour viol, tentative de viol et agression sexuelle.
L’élu de l’Ain vient en effet d’être choisi par les soutiens d’Emmanuel Macron, parmi les 170 député·es Renaissance, pour présider le groupe d’amitié France-Liban à l’Assemblée nationale. Il s’agit d’une fonction essentiellement honorifique, destinée à consolider les liens entre deux pays, et qui permet de participer à de nombreuses manifestations et à des déplacements. Il est ainsi d’usage que le président du groupe d’amitié soit présent dans les délégations accompagnant le chef de l’État lors des voyages officiels dans le pays concerné. (...)
« Le Liban est un sujet important pour le président, et je suis au travail pour l’aider sur les sujets géopolitiques », s’est d’ailleurs félicité Damien Abad, transfuge de la droite Les Républicains (LR), qui s’est dit « très heureux » sur BFMTV. Il a toujours nié les faits qui lui sont reprochés et déposé une plainte en dénonciation calomnieuse contre Laëtitia*, la plaignante.
Celle-ci a témoigné de son émotion auprès de Mediapart. (...)
Une autre de ses accusatrices, Chloé*, est particulièrement accablée. (...)
Les justifications de Renaissance
Le parti présidentiel, lui, assume sans barguigner. « C’est un député comme les autres, il a postulé pour devenir président », a justifié le groupe parlementaire. Pour rappel, il avait déjà choisi Éric Woerth pour la questure – un des postes les plus prestigieux de l’Assemblée. Cet autre transfuge de LR est pourtant mis en examen pour « financement illégal de campagne électorale » (qu’il dément).
Dans le cas Abad, Renaissance juge que le député se fait suffisamment discret depuis son retour à l’Assemblée en septembre – pas de question au gouvernement, pas de rapport parlementaire ni de visibilité en commission. Comme s’il avait déjà payé assez cher le fait d’être visé par une enquête préliminaire, toujours en cours. (...)
La présidente du groupe parlementaire Aurore Bergé a soulevé un autre argument : le respect de la présomption d’innocence.
« Il y a la présomption d’innocence qui s’applique pour un homme qui a toujours nié les faits qui lui sont reprochés », a-t-elle déclaré sur LCI. À ses yeux, c’est même la République qui est en jeu : « Ou alors on passe d’un régime de présomption d’innocence à un régime de présomption de culpabilité. Et là on sort de l’État de droit et on sort de la démocratie. »
Ce langage est aussi celui qu’a toujours tenu Emmanuel Macron. Avant l’été, Aurore Bergé, engagée de longue date sur l’égalité femmes-hommes, se montrait pourtant beaucoup plus réservée, ne masquant guère sa gêne face au cas Abad.
La confusion des principes
Cet argumentaire soulève au moins deux objections entremêlées. D’abord, la présomption d’innocence est une notion judiciaire. Elle est fondamentale pour le respect des droits des citoyens mis en cause dans une procédure pénale. Elle est aussi très précieuse, comme une vigie démocratique.
Mais elle ne s’applique pas à l’ensemble du débat public. Elle n’est pas une assignation au silence (...)
Ensuite, la présomption d’innocence n’empêche ni les mesures conservatoires ni les mises en retrait. Un député assume une fonction, provisoire, dont le mandat dépend du vote des Français·es. Ce n’est ni un métier ni un titre.
Par ailleurs, dans le cas de Damien Abad, il s’agit de le mettre en avant, en lui confiant un poste supplémentaire. Une promotion en quelque sorte. Comme lorsque Emmanuel Macron a promu Gérald Darmanin ministre de l’intérieur – un portefeuille qui comprend la lutte contre les violences sexuelles et sexistes –, alors qu’il était encore visé par une plainte pour viol. Ou quand La République en marche (LREM), l’ancien nom de Renaissance, avait envisagé d’investir aux législatives l’ex-conseiller d’Emmanuel Macron, Jérôme Peyrat. Il n’était alors pas question de présomption d’innocence : il était définitivement condamné pour violences conjugales.
L’incohérence partagée, de Renaissance… (...)
Ainsi, Aurore Bergé a appelé l’Insoumis Adrien Quatennens à démissionner de son mandat de député.
Il sera jugé la semaine prochaine à Lille pour violences conjugales, au terme d’une procédure de plaider-coupable.
« Ma conviction de parlementaire et de femme, c’est qu’un homme qui serait condamné pour des faits constitutifs de violence conjugale ne peut pas dignement représenter ensuite les Français », a affirmé jeudi la cheffe de file de Renaissance à l’Assemblée. Elle était déjà intervenue dans l’hémicycle pour tenir des propos similaires… Le siège de Damien Abad était à quelques mètres.
Cette position ne peut qu’alimenter le sentiment d’une indignation à géométrie variable. (...)
… à La France insoumise
Aurore Bergé et la majorité ne sont pas les seuls à blâmer pour leur incohérence. Ils prospèrent sur la faiblesse de la gauche parlementaire à ce sujet. Les affaires qui ont secoué La France insoumise (LFI) ou Europe Écologie-Les Verts (EELV) l’ont bien montré.
Le statut d’Adrien Quatennens n’est d’ailleurs toujours pas très clair, dans l’attente de l’audience fixée au 13 décembre : le député est de fait suspendu par son groupe mais sans que le terme soit prononcé, et il a récemment cosigné un communiqué avec ses camarades nordistes, David Guiraud et Ugo Bernalicis.
En réalité, Jean-Luc Mélenchon, porteur des espérances de la gauche loin devant ses concurrent·es écologistes, communistes ou socialistes lors de la dernière présidentielle, traite les accusations visant ses proches comme une « attaque » contre son camp. (...)
Mélenchon semble dire : chez les Insoumis, serrons les rangs, quoi qu’il arrive. Quitte à passer par pertes et profits les engagements ambitieux de sa propre formation pour la lutte contre les violences sexistes et sexuelles.
Résultat, il fige toute discussion sur le sujet. Il empêche même de penser. Car le mouvement #MeToo n’est pas seulement fait des affaires qu’il révèle. Il questionne des fonctionnements, il invite à revisiter des modes de pensée. Il contraint les partis politiques à envisager des procédures inédites et à réfléchir à des grilles de sanction internes aujourd’hui inexistantes. (...)