
Alors qu’a lieu une manifestation à Paris ce dimanche 29 octobre contre les violences sexistes, Reporterre est allé voir du côté des écoféministes ce que l’écologie avait à dire de ce combat.
« La nature est une femme publique. Nous devons la mater, pénétrer ses secrets et l’enchaîner selon nos désirs. » Ainsi parlait le philosophe Francis Bacon à la fin du XVIe siècle. Quatre cents ans plus tard, le désastre écologique et les violences sexistes viennent douloureusement confirmer la prééminence de cette vision.
« L’articulation de la destruction de la nature et de l’oppression des femmes ressemble à un ruban de Möbius : les femmes sont inférieures parce qu’elles font partie de la nature, et on peut maltraiter la nature parce qu’elle est féminine », nous expliquait Émilie Hache en octobre 2016. Aiguillé.e.s par ce propos, à Reporterre, nous nous sommes dit que l’écologie avait sans doute un regard à porter sur le combat en cours contre les violences sexistes.
C’est du côté des écoféministes que nous sommes allé.e.s puiser une inspiration. Pour les écoféministes, destruction de la nature et oppression des femmes sont liées. « Qu’on parle de harcèlement sexiste ou de destruction de la nature, il s’agit dans les deux cas d’une violence banalisée et quotidienne, qui s’aggrave, et qui vient du fait qu’elles partagent une position de dominées, appuie Margot Lauwers, professeure à Perpignan et spécialiste de la littérature nord-américaine écoféministe. Mais dans les deux cas, on assiste également à une prise de conscience et à une dénonciation. » En 1974, dans le Féminisme ou la Mort, Françoise d’Eaubonne décrivait le capitalisme comme « le dernier vestige du patriarcat », en ce qu’il a mis en place une double exploitation : celle du corps des femmes et celle du corps de la Terre. (...)
Les écoféministes invitent donc à penser l’intersectionnalité des luttes, car elles lient les différentes formes de domination et de discrimination. « Une société qui cautionne la violence faite à la Terre dans un but d’enrichissement personnel sera plus encline à être une société qui fait violence aux femmes pour un confort personnel », décrit Margot Lauwers. (...)
Trente ans après l’occupation de Greenham Common, les zadistes de Notre-Dame-des-Landes continuent de faire vivre ce lien entre lutte féministe et écologiste. « Sur zone, c’est comme une microsociété, on y subit le sexisme autant qu’ailleurs », note Angela, qui y vit. Avec d’autres, elles ont créé une cabane féministe qui accueille chaque semaine des goûters en mixité choisie : femmes, lesbiennes, transexuel.le.s, intersexes. « Nous discutons de ce qui se passe, des actions à mener, comme dans les réunions en grand groupe, explique-telle. Sauf que dans les grandes assemblées, il n’y a pas toujours un partage de la parole égalitaire, de même que lors des constructions, un homme viendra souvent conseiller une femme, quitte à lui prendre le marteau des mains. Il est de bonne volonté, mais il ne se remet pas en cause : c’est un sexisme inconscient. » Pour faire évoluer les mentalités, des habitants de la Zad mettent en place des actions de sensibilisation (...)
« Radicalisation des points de vue » ou « une réconciliation entre hommes et femmes »
« Tous ces principes — que certain.e.s appellent “féminins” mais qui ne sont pas l’apanage des femmes — n’ont jamais été valorisés par le patriarcat, estime l’auteure. L’intuition, la culture du “et” — corps et esprit, intuition et raison —, l’accueil. » Elle invite ainsi les femmes, mais aussi les hommes, à se les réapproprier. Dans cette même optique, plusieurs penseurs masculins écoféministes, comme le sociologue Richard Twine, ont travaillé à la déconstruction du concept de masculinité. « Il existe un carcan masculiniste : un homme doit être si, doit réagir comme ça, note Margot Lauwers. Et l’écoféminisme laisse une grande place aux hommes, la stratégie d’émancipation peut être pensée et menée en collaboration, hommes et femmes ensemble. »
Un avis partagé par Yveline Nicolas, de l’association Adéquation, qui a organisé une rencontre autour du lien entre genre et écologie : « Malgré le fait que le harcèlement et les violences sont un phénomène massif dans nos sociétés, on observe assez peu de soutien de la part des hommes, et c’est un des nœuds du problème. » Tant que les hommes ne s’impliqueront pas dans le combat pour l’égalité, « nous n’arriverons pas à renverser cette culture de l’hégémonie et du pouvoir », prédit-elle. L’association mise sur l’éducation dès le plus jeune âge, la formation des éducateurs (enseignants, puériculteurs, animateurs…) et la sensibilisation de tous : elle a d’ailleurs publié une brochure sur les masculinités. (...)