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Slate.fr
WeChat, l’application totalitaire dont rêvait le gouvernement chinois
Article mis en ligne le 12 avril 2018
dernière modification le 10 avril 2018

Avec plus d’un milliard de comptes utilisateurs, WeChat réalise le rêve d’une plateforme unique où s’effectuent toutes les interactions de la vie quotidienne : un modèle qui peut apparaître comme la « face sympa » du régime autoritaire chinois.

L’été dernier ont fleuri sur les abribus et potelets parisiens des petits stickers arborant deux bulles vertes, chacune contenant deux points de suspension, comme deux paires d’yeux en plein dialogue. La RATP se félicitait alors de sa toute nouvelle présence sur l’application WeChat : enfin un outil adapté au public chinois parti en goguette dans « la patrie des droits de l’homme ».

Les quelque deux-cent-vingt autocollants franciliens déployés pour l’occasion font cependant pâle figure face à l’étendue du terrain conquis par l’application dans son pays de développement.

En l’espace de sept ans, WeChat (Weixin pour les Chinois) a comptabilisé un milliard de comptes utilisateurs actifs à travers le monde, le cap ayant été franchi en mars.

Une application totale
Développée par le géant chinois des services internet Tencent, l’application consiste d’abord en un système de messagerie, aussi bien écrite que vocale, et permet des appels audio ou vidéo ainsi que l’envoi de photos, le tout à partir d’une connexion internet : une sorte d’équivalent de WhatsApp aux mêmes couleurs, les sociétés mères des deux plateformes rivalisant en Bourse (avec des capitalisations entre 550 et 530 milliards de dollars en janvier dernier). Voilà pour les fonctionnalités de base. Mais WeChat ne s’arrête pas là.

Sa spécificité, c’est de proposer et de regrouper tous les services dont la population peut avoir besoin au quotidien (...)

Les applis concurrentes capables de rivaliser sont rares (...)

Les chiffres sont imposants : 79,1% des utilisateurs chinois de smartphone ont installé WeChat, qui compte pour 30% du temps passé en ligne via un mobile dans le pays. Avec 600 millions de Chinois qui utilisent l’application comme portefeuille électronique et trente-huit milliards de messages qui y transitent chaque jour pour quelques six autres milliards de messages vocaux, Weixin et WeChat totalisent 989 millions d’utilisateurs actifs tous les mois.

WeChat, allégorie du régime chinois ?

En somme et à la lettre, WeChat a une ambition totalitaire. À mesure qu’elle se développe, elle réalise le rêve d’une plateforme unique où s’effectuent toutes les interactions de la vie quotidienne. (...)

Cette intrication participe pleinement d’un brouillage des frontières entre ce qui relève du privé et ce qui relève du public. C’est ce même brouillage qui est mis en œuvre par le régime –dictatorial– chinois. Pour reprendre la formule consacrée, on pourrait dire qu’en Chine, « le privé [devient effectivement] politique », mais sous l’œil du Parti. (...)

De la coercition au polissement, le « rêve chinois » s’impose dans la société à travers la promotion d’un modèle où la vertu se conjugue au patriotisme. Émilie Frenkiel, maître de conférences en sciences politiques à l’université Paris-Est Créteil et co-rédactrice en chef de la revue La Vie des idées, explique ainsi :

« La société chinoise est profondément élitiste. On dit que les gens sont de grande ou de faible “qualité”. Cela se retrouvait dans la politique de l’enfant unique, à travers laquelle on ne privilégiait plus la quantité, mais la “qualité” de l’enfant. » (...)

« En Chine, il y a cette idée qu’il faut civiliser internet, qu’on ne peut pas laisser certaines personnes le salir, des trolls monopoliser la parole, ou des gens irresponsables ou pas assez patriotes s’exprimer. Ces rappels à l’ordre sont considérés comme normaux par la majorité de la population », décrit Frenkiel.

Néanmoins, la loi de 2013 contre les rumeurs en ligne, qui menace de trois ans de prison et de privation des droits civiques quiconque serait à l’origine d’une « fausse information » ayant cumulé plus de 5.000 vues ou ayant été rediffusée plus de 500 fois, constitue un tournant dans l’usage de l’internet chinois.

Avec cette nouvelle régulation, un glissement massif de Weibo à WeChat s’est opéré : les Chinois ont déserté le microblogging, trop public, trop ordurier ou trop dangereux, pour les échanges choisis de WeChat. Changement douloureux pour certains, il s’est vite imposé par son aspect pratique et par son adéquation avec les attentes du régime.