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Wikipédia : enquête sur la fabrique quotidienne d’un géant encyclopédique
#wikipedia
Article mis en ligne le 2 janvier 2023
dernière modification le 1er janvier 2023

Journaliste et militante antiraciste, Sihame Assbague a observé l’évolution de sa fiche Wikipédia. Elle décide alors d’enquêter sur le fonctionnement de l’encyclopédie dont les mots d’ordre sont liberté, autogestion, transparence et neutralité.

Le 23 février 2022, des administrateurs de Wikipédia ont prononcé le bannissement définitif de sept contributeurs qui avaient entrepris de « zemmouriser » l’encyclopédie participative. C’est la parution de l’enquête Au Cœur du Z. Un journaliste a infiltré la campagne d’Éric Zemmour, publiée une semaine plus tôt, qui a permis de mettre au jour, du moins officiellement, les manipulations de ces militants d’extrême droite. (...)

L’auteur, Vincent Bresson, y relate l’existence et les modalités d’organisation de « Wikizédia », une cellule fantôme chargée d’améliorer l’image du candidat Reconquête ! en mettant en valeur les thèses et les soutiens du parti dans les pages de l’encyclopédie.

Il ne s’agissait donc pas seulement d’une opération promotionnelle ou hagiographique, comme Wikipédia en a l’habitude, mais de la mise en œuvre d’un pan de la croisade numérique du mouvement.

Afin de mener à bien cette mission, le groupe, composé d’une dizaine de bénévoles, a pu compter sur l’expertise de Gabriel, alias « Cheep », un membre prolifique de la communauté wikipédienne. Actif depuis 2008, son compteur affichait, avant d’être banni, plus de 160 000 contributions. C’est donc un fin connaisseur des rouages de Wikipédia qui s’est mis au service de Wikizédia.

Ses tentatives de modification n’ont cependant pas toujours été fructueuses. Les plus outrancières ont rapidement été défaites par les autres contributeurs, comme cela se produit généralement dans ce genre de situation. Mais quid des amendements plus subtils et tout aussi délétères ? (...)

Un contributeur qui, comme l’indique un communiqué de l’association Wikimédia France, était « notoirement connu pour être d’extrême droite » et qui a consacré 7 589 heures de sa vie à Wikipédia, soit une heure trente par jour pendant près de 15 ans, y a sûrement laissé d’autres traces. (...)

L’affaire peut paraître anecdotique, a fortiori à un public profane, mais elle touche à des questions essentielles, à savoir la fiabilité de la plus grande encyclopédie du monde, la plausibilité de la neutralité qu’elle revendique et sa résistance aux tentatives de manipulation politique. D’autant que, même si elles ne se matérialisent pas toujours de la même manière, ce n’est pas la première fois que Wikipédia est la cible de telles attaques.

Et, d’après ce que nous ont confié plusieurs contributeurs, ce n’est pas la première fois non plus que l’entrisme de l’extrême droite au sein de la communauté wikipédienne est mis en cause. (...)

« La réalité, c’est que sans l’intérêt médiatique pour cette cellule, ça ne serait jamais allé jusque-là, nous explique-t-il. Il y a une incompétence de la communauté à gérer ces situations. Comme on est censé supposer la bonne foi des autres rédacteurs, ça peut vite tourner en rond et neutraliser la critique… »

La supposition de la bonne foi est l’une des recommandations de Wikipédia. Elle invite les contributeurs à accorder le bénéfice du doute aux autres intervenants en partant du principe que la plupart de ceux qui donnent de leur temps à l’encyclopédie le font avec une réelle volonté « de l’améliorer, et non de la dégrader ». Le code de conduite wikipédien précise évidemment que « si l’expérience l’infirme, il faut savoir sévir ». Dans les faits, les choses sont cependant plus compliquées. (...)

La recommandation relative à la bonne foi compte parmi les règles et principes qui font la richesse et la beauté de cette aventure encyclopédique hors norme, mais elle explique aussi ses faiblesses et ses limites. (...)

Couplés aux offensives idéologiques de certains groupes, les choix opérés par Wikipédia et les failles qui en découlent rendent certains contenus particulièrement vulnérables. C’est le cas, comme nous allons le voir, des sujets liés à la question raciale et aux mobilisations antiracistes. Mais avant cela, il faut revenir aux fondements de Wikipédia et au fonctionnement de l’encyclopédie participative.
Objet libre, objet mouvant

Wikipédia n’était à sa naissance qu’un projet secondaire. Lancée en janvier 2001, elle a d’abord été conçue comme une plateforme de soutien à Nupédia, la première encyclopédie libre créée par Jimmy Wales, un entrepreneur étasunien. Inspiré par l’esprit et le mouvement des logiciels libres, Wales voulait créer l’encyclopédie du nouveau millénaire, sur Internet : gratuite, accessible, ouverte et sans publicité.

Son premier essai est un échec (...) Afin de pallier le faible nombre des contributions et la complexité des procédures de validation, le duo décide de lancer un deuxième site, avec des règles plus souples.

Ce nouveau projet utilise un wiki (« vite », « rapide » en hawaïen), une application web qui présente un avantage considérable : les pages peuvent être créées, modifiées, illustrées par tout le monde, sans restriction. Le wiki favorise ainsi le travail collaboratif, les discussions, le partage d’informations, le suivi des échanges et la créativité : le format rêvé pour une encyclopédie qui se veut libre, autogérée et transparente.

Le succès est d’ailleurs immédiat. De nombreux contributeurs se mettent à rédiger des articles et à s’organiser afin d’améliorer l’encyclopédie. Alors que Nupédia n’avait réussi à publier que 24 articles en un an, Wikipédia en comptait déjà 20 000 au bout de sa première année d’existence. Vingt et un ans plus tard, le site compte des dizaines de millions d’articles en 315 langues et la bibliothèque ne cesse de s’enrichir. (...)

En France, avec ses 30 millions de visiteurs uniques chaque mois, l’encyclopédie occupe régulièrement la troisième ou quatrième place du classement, notamment pour les recherches effectuées depuis un smartphone. (...)

En réalité, le succès de Wikipédia et son développement ont conduit la communauté à se doter d’un arsenal normatif assez important et plutôt rigide. Outre les principes fondateurs, il existe ainsi une série de règles et de recommandations qui ont progressivement été adoptées dans le but d’améliorer la qualité et la fiabilité des contenus, réguler les relations entre les utilisateurs et tenter de limiter les guerres d’édition. La connaissance de ces normes s’acquiert généralement sur le tas, en participant au travail éditorial… mais il faut s’accrocher. (...)

Comme le site est participatif, toutes les modifications sont soumises à la vigilance et à la vérification collective. Les ajouts peuvent donc être précisés, corrigés ou annulés par d’autres contributeurs, et notamment par les « patrouilleurs », rôle que n’importe quel bénévole peut endosser. La patrouille est chargée de surveiller les modifications les plus récentes, de corriger les erreurs des nouveaux venus et de les conseiller, et de lutter contre le vandalisme. Afin d’aider la communauté dans cette tâche fastidieuse, des bots, des programmes automatiques, ont été créés ; ils assurent principalement des missions de maintenance. (...)

Il faut reconnaître que ce travail collaboratif fonctionne plutôt bien et que, de manière générale, les articles parviennent à s’enrichir des apports de contributeurs variés. (...)

comme nous l’explique Pierre-Yves Baudouin, ancien président de l’association Wikimédia France, « tout ce qui polarise et dérape dans la société peut potentiellement polariser et déraper sur Wikipédia ».

En tant qu’espace de (re)production des savoirs et de l’information, l’encyclopédie numérique n’échappe pas à la retranscription des débats de société en son sein. Et étant donné son fonctionnement et son influence, elle fournit un terrain propice aux biais et batailles idéologiques. (...)

« C’est un challenge qui n’était pas gagné au départ, mais si on prend Wikipédia dans sa totalité, elle fait globalement mieux que n’importe quelle encyclopédie écrite. C’est quand on creuse, quand on va dans le détail de certains sujets que ça se complique. »

C’est particulièrement vrai s’agissant des pages qui suscitent un intérêt limité auprès des bénévoles ou qui ont, au contraire, été prises d’assaut par des contributeurs souhaitant imposer leur vision. (...)

La plupart des recherches sur cette question ont ainsi établi qu’il existe « un lien statistique robuste entre la qualité d’un article, le nombre de contributions et la variété d’éditeurs distincts ». En d’autres termes : plus un article mobilise de rédacteurs, moins il y a de risques d’y voir circuler des informations fausses, incomplètes ou délibérément et manifestement orientées. La multiplicité des contributeurs et leur collaboration, notamment via les espaces de discussion, apparaissent donc comme des garantes de la fiabilité de Wikipédia.

Mais elles sont évidemment loin d’en garantir l’infaillibilité. Outre le degré de contentieux d’un sujet (le « poireau » provoque moins d’affrontements que le « conflit israélo-palestinien » par exemple…), la manière dont il est, par ailleurs, traité par les champs politique, scientifique et médiatique – dont dépend grandement l’encyclopédie en ligne – peut provoquer des effets non négligeables. (...)

Comme l’explique la chercheuse Marie-Noëlle Doutreix, autrice de Wikipédia et l’actualité. Qualité de l’information et normes collaboratives d’un média en ligne, « la prétention au dire vrai est remplacée dans Wikipédia par la prétention au re-dire » et « l’exigence de vérité par une exigence de vérifiabilité ».

Ce sont les sources – auxquelles le projet encyclopédique délègue la légitimation de ses articles – qui permettent généralement d’attester de la pertinence et de l’importance d’une information. D’où l’injonction à les citer.

Enfin, l’une des dernières caractéristiques clés de la neutralité wikipédienne réside dans la recherche du consensus. (...)

Selon Lissell Quiroz, chercheuse et professeure d’études latino-américaines à l’université de Cergy, « dans des sociétés traversées par des dynamiques de pouvoir, il n’existe pas de connaissance ou de transmission neutre. Tout le monde parle et écrit depuis un lieu d’énonciation, y compris les wikipédiens ».

Même avec toute la bonne volonté du monde, on ne peut faire fi de la manière dont notre socialisation, notre langage, nos expériences vécues et le contexte historique ou politique, entre autres, influencent nos manières de penser et de formuler nos idées. Ainsi, la mise à distance totale de la subjectivité, même temporaire, n’est pas possible. (...)

Quand l’antiracisme devient « polémique »

Les articles consacrés aux luttes antiracistes en France offrent un précieux matériau d’observation des biais et limites précédemment évoquées. Rares sont en effet les organisations, militants ou journalistes engagés dans ces combats qui n’ont pas eu à se plaindre des biographies que l’encyclopédie en ligne leur consacre.

Et pour cause ! Jusque très récemment, elles présentaient toutes les mêmes caractéristiques : hypervisibilité des polémiques les mettant en cause, non-respect du contradictoire, utilisation de citations sorties de leur contexte, multiplication de références visant à les disqualifier et à retourner contre elles les accusations de racisme, etc.

Si les batailles d’édition ont parfois permis d’apporter des nuances et de préciser certains points, le déséquilibre et la virulence des attaques ont marqué ces biographies durant de très longues années et continuent d’être perceptibles dans plusieurs d’entre elles. (...)

Le résumé introductif n’est que l’un des aspects de ce qui s’apparente à un parti pris. Toutes les autres sections de ces articles biographiques concourent à installer une ambiance de suspicion et de disqualification. Les sommaires, par exemple, méritent une attention particulière. De fait, on sait que les intitulés des différentes rubriques servent à donner aux lecteurs et lectrices une idée du contenu qu’ils s’apprêtent à lire, qu’ils orientent sa découverte. Les choix qui sont faits ne sont donc jamais tout à fait anodins.

« Il y a une survisibilité de toutes les réactions négatives que suscitent mes prises de position publiques. Et de l’autre côté, les choses positives n’y sont pas toujours renseignées »… Rokhaya Diallo (...)

Comme s’ils voulaient figer ces « polémiques » dans la mémoire encyclopédique du Net, certains contributeurs se montrent particulièrement réactifs et loquaces lorsqu’il s’agit de charger de références négatives les biographies de militants ou journalistes antiracistes.

Pour alimenter les chapitres « Polémiques », ceux-là n’hésitent pas à dresser une sorte de liste à la Prévert de commentaires critiques à l’égard des personnalités incriminées, à tronquer des citations, à les tordre ou à les surinterpréter.

Marwan Muhammad, à qui nous avons demandé de scruter sa biographie, a relevé « 13 informations complètement fausses et 21 éléments qui ne sont pas tout à fait faux mais qui relèvent de la manipulation puisqu’ils sont soit sortis de leur contexte, soit déformés ».

Le statisticien et ancien porte-parole du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) estime que tous ces éléments mis bout à bout participent d’« une volonté délibérée de produire un récit de mise en cause, de questionner la légitimité et de jeter le soupçon sur chacun des profils visés ». Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’il existe une forme de circularité entre ces différentes biographies, les unes renvoyant aux autres par un jeu de mise en relation (hyper)textuelle. (...)

La mise en cause des uns vient ainsi renforcer et justifier celle des autres. D’où l’usage récurrent du champ lexical de la proximité : « proche des Frères musulmans », « proche des Indigènes de la République », « proche de l’imam qui a… ». Peu importe d’ailleurs que ces liens soient avérés ou non, ils suffisent à créer un soupçon collectif et à faire rejaillir sur le sujet principal de la biographie les charges associées aux autres.

Ces fiches, qui arrivent systématiquement en tête des recherches Google, peuvent entraîner des conséquences professionnelles et personnelles. (...)

Les bandeaux d’alerte apposés au-dessus de ces articles afin de signaler qu’ils ne respectent pas la neutralité de point de vue n’y changent rien.

De l’aveu même des wikipédiens, la très grande majorité des lecteurs n’y prêtent aucune attention. Avant que des wikipédiens ne viennent à la rescousse, la plupart des personnes et organisations visées par ces contenus hostiles avaient tenté de (faire) corriger des informations et/ou d’ajouter des précisions. (...)

Ces échecs s’expliquent tout à la fois par la politique wikipédienne qui considère qu’une personne jouissant d’une biographie sur le site n’est pas la personne la mieux placée pour amender le texte ; par une méconnaissance des règles d’usage ; par le manque de références positives pouvant être considérées comme des « sources fiables » par Wikipédia ; et enfin, par l’incroyable réactivité de leurs opposants, qui surveillent ces pages comme le lait sur le feu.

Comme nous l’explique la militante et essayiste Houria Bouteldja, « le pire, c’est qu’il n’est même pas question de demander la suppression de toutes les critiques. Non, elles existent et on doit en rendre compte. En revanche, il faut le faire de manière honnête et équilibrée. Qu’on dise, par exemple, par quel milieu je suis contestée et par quel milieu je suis respectée ».
Des contributeurs peu représentatifs et pas si « neutres »

Mais qui fabrique ces contenus, finalement ? Qui parle sur Wikipédia ? Comment expliquer une telle correspondance entre les discours politiques les plus délétères sur l’antiracisme et les biographies de plusieurs militants et journalistes ? Cela tient aux deux lieux d’énonciation principaux : les contributeurs et les sources.

Il y a, en effet, une certaine homogénéité des profils chez Wikipédia. Le rédacteur type est un homme, blanc, occidental, âgé de 15 à 49 ans, étudiant ou diplômé, et plutôt aisé. Les enquêtes qui se sont penchées sur la question de la participation ont toutes relevé une sous-représentation persistante des femmes, des minorités non blanches (en Angleterre et aux États-Unis), et plus généralement des habitants des pays du Sud. (...)

C’est pour réduire ces écarts et lutter contre les biais systémiques que des initiatives comme Les sans pagEs et Noircir Wikipédia ont été créées. Lancé en 2016, le collectif Les sans pagEs s’est fixé comme objectif d’écrire et d’améliorer des articles portant sur des femmes, les féminismes et d’autres sujets sous-représentés. En 2019, c’est le projet Noircir Wikipédia qui est né avec la volonté d’augmenter la présence des communautés afrodescendantes sur l’encyclopédie (...)

Wikipédia comme champ de bataille

Les communicants ne sont pas les seuls à chercher à influencer, plus ou moins discrètement, les contenus du site. L’encyclopédie doit aussi composer avec la présence de militants qui l’utilisent comme terrain de propagande, notamment au service du suprémacisme blanc. Parmi eux, il convient de distinguer les obsessionnels des méthodiques. Tous en effet n’utilisent pas les mêmes stratégies pour arriver à leurs fins. (...)

Certains contributeurs cherchent à créer « un bruit de fond encyclopédique en faveur des thèses et théoriciens de l’extrême droite ». (...)

Au lieu de contribuer sur une seule et unique thématique, ils donnent l’impression de s’intéresser à tout. On peut ainsi les retrouver sur les pages dédiées à la poésie, à l’architecture… et même aux Pokémon. Le reste du temps, comme nous l’explique Arnaud*, ils participent, l’air de rien, par des petits gravillons essaimés à gauche et à droite, à créer « un bruit de fond encyclopédique en faveur des thèses et théoriciens de l’extrême droite ». Leur suractivité sur des sujets divers et variés, leur maîtrise des règles internes et leur ancienneté leur permettent généralement d’échapper aux sanctions les plus sévères. (...)

Certains articles de l’encyclopédie sont des champs de lutte qui évoluent ainsi régulièrement au gré des mobilisations. Il est intéressant de noter que point n’est forcément besoin de militants du même bord pour obtenir gain de cause. Sur la question raciale, par exemple, le consensus autour de l’universalisme républicain suffit à faire valoir les positions les plus critiques contre l’antiracisme.

Plus généralement, sur ces sujets, la passivité ou la tiédeur de la majorité wikipédienne favorise l’action militante des fractions les plus extrêmes. Ce sont les plus déterminés et les plus actifs sur une thématique qui réussiront à occuper l’espace et à imposer leur prisme.

Il existe donc une forme de tension permanente autour des sujets de société, qui rejaillit sur les relations entre contributeurs. (...)

les sources utilisées jouent également un rôle déterminant. Elles sont au cœur de la politique éditoriale de l’encyclopédie en ligne. (...)

L’encyclopédie établit une hiérarchie entre les différentes sources à la disposition des rédacteurs. Elle invite à privilégier les « sources secondaires fiables », c’est-à-dire des textes de synthèse ou d’analyse passés entre les mains d’institutions jugées compétentes et reconnues (monde académique, édition, médias, etc.).

Les documents de première main qui n’ont pas été mis à distance et retravaillés par une chercheuse ou un journaliste, par exemple, sont considérés comme des sources primaires. C’est le cas des billets de blog, des vidéos, des interviews, etc. Leur usage n’est pas formellement interdit mais fortement déconseillé et peut, selon les cas, conduire à des conflits d’édition. (...)

Dans les faits, alors que les textes normatifs initiaux recommandaient de favoriser les références universitaires, les sources médiatiques se sont progressivement imposées, au point de devenir incontournables. Elles occupent aujourd’hui une place centrale dans le référencement wikipédien. Cela est principalement dû au développement de la presse en ligne et à la fabrication de nouvelles pratiques journalistiques… et encyclopédiques.

Contrairement aux textes de recherche, ces références présentent l’avantage d’être facilement accessibles et rapidement disponibles. Arnaud*, qui est lui-même chercheur en sciences sociales, regrette que Wikipédia soit devenue « très dépendante de ce type de source ». (...)

En adoptant les codes, les normes et certaines pratiques des champs scientifique et médiatique, Wikipédia a réussi à s’imposer comme une source crédible et relativement fiable. Mais, ce faisant, elle a aussi hérité des inégalités, des polémiques et des épistémicides produits par ces mêmes mondes. (...)

En raison des biais médiatiques et du manque de visibilité de certains thèmes ou points de vue, des sujets peuvent passer à la trappe wikipédienne. (...)

Si la mise en place d’un « Observatoire des sources », en 2020, a permis à Wikipédia de questionner l’usage de certaines références médiatiques, notamment les moins fiables et les plus outrancières, le problème de fond est loin d’être réglé. « Et puis, de toute façon, comment on fait avec des sources qui se droitisent et qui développent les mêmes obsessions ? », s’interroge Capucine-Marin Dubroca-Voisin.

Malgré les bonnes volontés affichées et des efforts visant à réduire les biais systémiques, la politique éditoriale de Wikipédia l’amène inexorablement à privilégier l’idéologie dominante. (...)

On aurait tort cependant de croire qu’elle n’est qu’un réceptacle passif. Étant donné la circularité de l’information et la reprise des savoirs proposés par Wikipédia, l’encyclopédie en ligne est aujourd’hui également coproductrice des savoirs élaborés dans d’autres champs. Sa responsabilité est donc immense. Elle l’est d’autant plus que, contrairement à d’autres supports, son caractère encyclopédique lui vaut une grande confiance populaire.

Il ne s’agira donc pas de conclure ici en prônant un rejet total de l’encyclopédie numérique. Au contraire. S’il nous semble essentiel de rester prudent dans son utilisation et critique sur son fonctionnement, nous pensons, à l’instar des contributrices de Noircir Wikipédia, que l’encyclopédie numérique est un « espace à investir ». Et à révolutionner. Il nous faudra, pour ce faire, renforcer les batailles dans les champs scientifique et médiatique.