
Venu à Marseille, mercredi 2 mars, avec l’intention de rencontrer une partie des représentants du personnel, l’actionnaire minoritaire du groupe de presse a été mis dehors par le PDG du quotidien.
Une amorce de discussion tendue avec des représentants du personnel, un accrochage sévère avec le président-directeur général du journal, Jean-Christophe Serfati, qui l’a sommé de quitter les lieux, Xavier Niel n’aura passé qu’une dizaine de minutes, mercredi 2 mars, à l’intérieur des locaux de La Provence, quotidien dont il est actionnaire minoritaire (11 % du capital). Econduit, le fondateur de Free (et actionnaire à titre individuel du Monde) a toutefois poursuivi ses discussions toute la matinée dans des locaux contigus à l’entreprise, avec des élus syndicaux souhaitant entendre ce qu’il avait à leur dire.
L’épisode, mouvementé et assez surréaliste, s’inscrit dans le cadre de la lutte sans merci que se livrent Xavier Niel et le patron de l’armateur CMA CGM, Rodolphe Saadé, pour le rachat des 89 % des actions de La Provence appartenant jusqu’alors à Bernard Tapie, décédé en octobre 2021. Le 15 février, à la suite du second appel d’offres lancé par les liquidateurs judiciaires du groupe de l’homme d’affaires décédé, le tribunal de Bobigny a validé l’offre de la CMA CGM comme la mieux-disante.. (...)
« Son offre a été estimée caduque par la justice. En venant aujourd’hui, il perturbe le processus légal, explique Ouiam Edhahbi, représentante du CSE de Sud Presse Distribution. On l’écoutera s’il présente une offre au moment de son droit à la préemption. » En tant qu’actionnaire minoritaire, il peut acheter le journal à condition de s’aligner sur la meilleure offre, ce qu’il n’écarte plus. « Niel se croit au-dessus de la justice. Ce sont des méthodes de voyou », gronde Isabelle Luccioni, délégué Force ouvrière à Corse-Matin.. (...)
Lire aussi :
« La Provence » : Xavier Niel tente de passer en force
Même si le tribunal a décidé que les salariés ne pouvaient être consultés que sur l’offre de reprise de son concurrent Rodolphe Saadé, le fondateur de Free viendra mercredi présenter son projet au journal. Le PDG estime que la venue du milliardaire va « violer une décision de justice ».
La confrontation entre les deux milliardaires qui convoitent le journal La Provence prend une tournure de plus en plus rugueuse. D’un côté Xavier Niel, patron et propriétaire de Free, par ailleurs actionnaire dominant du groupe Le Monde, de L’Obs ou encore de Nice-Matin. De l’autre, Rodolphe Saadé, patron et propriétaire du géant du transport maritime CMA-CGM.
Dernière illustration en date : dans une bataille judiciaire qui pourrait tourner à son désavantage, Xavier Niel a décidé de tenter un passage en force. Alors que le tribunal judiciaire de Marseille a estimé que « le périmètre de la consultation » des salariés « doit se limiter à l’offre qui a été retenue par le juge-commissaire », celle de Rodolphe Saadé, Xavier Niel veut venir en personne au journal mercredi 2 mars présenter son projet.. (...)
le 3 décembre 2021, le premier mandataire de justice chargé de la liquidation judiciaire du groupe Tapie, et donc de la vente de La Provence, son principal actif, a assigné la société détenant le journal devant le tribunal de commerce de Marseille pour obtenir la suspension de la clause d’agrément.
Le 11 janvier 2022, le liquidateur judiciaire a obtenu gain de cause. Par ordonnance de référé, le tribunal de commerce de Marseille a suspendu la clause d’agrément, estimant qu’elle « fait obstacle au processus de réalisation des actifs de la liquidation judiciaire » et qu’elle constitue « un trouble manifestement illicite ». Une décision de justice contre laquelle Avenir développement, filiale de NJJ, la holding personnelle de Xavier Niel, a aussitôt fait appel.
Surprise au second appel d’offres
La confrontation entre les deux milliardaires a alors pris un tour chaotique, que Mediapart a révélé. (...)
De leur côté, deux CSE de La Provence, un CSE de Corse-Matin ainsi que plusieurs syndicats du même journal, dont FO Corse Presse ou CGT Corse Presse, ont écrit par courriel à Antony Maarek et à Xavier Niel mardi soir, leur demandant de ne pas tenir leur réunion : « Nous avons pris connaissance de votre mail déclarant que vous avez le soutien de la majorité des représentants du personnel pour la tenue de la réunion du mercredi 02 mars 2022. Nous en sommes très surpris, car après consultation de la majorité des représentants du personnel et les trois Comités sociaux économiques que nous représentons, nous tenons à vous informer que nous nous opposons fermement à la tenue de cette réunion. En effet une décision du tribunal judicaire de Marseille rend illégale la tenue de cette réunion et vient perturber la consultation officielle en cours. Cette insistance à vouloir contourner la règle commune et une décision du tribunal s’apparente à une pression morale exercée sur les représentants du personnel constitutive de harcèlement. En tant que représentant du personnel et [au nom] du mandat qui nous a été confié par les salariés, nous vous demandons de vous conformer au droit. »
En bref, Xavier Niel, qui avait une longueur d’avance sur Rodolphe Saadé pour la conquête de La Provence, s’y est pris de telle sorte qu’il s’est mis à dos une bonne partie de la rédaction. On observera, certes, que d’un milliardaire à l’autre, le choix qui s’offre aux personnels n’est guère différent et que les dangers qui pèsent sur le pluralisme et la liberté de la presse sont voisins.
Il n’empêche ! Lors de sa réunion contestée, mercredi, Xavier Niel aura fort à faire, car les personnels ont en mémoire les drôles de vœux de Xavier Niel adressés en début d’année à tous les Français et qui se terminaient par cette formule : « Mon ambition est de vous aider à communiquer sans vous niquer ! ». (...)
Comme c’était prévisible, la petite phrase est désormais répétée en boucle par beaucoup dans les couloirs de La Provence et de Corse-Matin. « Avec cette rencontre tardive, résume une journaliste, difficile de croire que Niel veuille communiquer… sans nous niquer ! »