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Zemmour, le pétainiste cool
Article mis en ligne le 18 septembre 2021

Les sondages sont des éléments essentiels à la fabrication d’une campagne électorale. L’épisode Zemmour en est une parfaite illustration. Il a suffi que deux sondages en début de semaine pointent le polémiste entre 8% et 10% et Marine Le Pen à moins de 20% pour que la médiasphère s’enflamme et que les commentateurs sur les plateaux TV se mettent à frétiller comme des traders dans une salle des marchés.

(...) La presse a elle aussi tenté de rendre compte de cet emballement de la campagne. « Marine Le Pen dévisse, Zemmour se hisse », titre Libération. « Un mauvais sondage, c’est un mauvais sondage. Trois mauvais sondages, c’est peut-être le début d’un fait politique », explique le journal au triangle, qui écrit : « Harris Interactive refoule Marine Le Pen en dessous de la barre des 20% » ou encore, évoquant un autre institut de sondage, « Elabe fait reculer la candidate d’extrême droite autour de 18-19% et établit Zemmour à 8% de votes exprimés ». « Refoule », « fait reculer », « établit » : comme si les sondages ne se contentaient pas de mesurer la cote de popularité des candidats, mais qu’ils les déplaçaient comme les dés le font avec les petits chevaux.

On aurait donc affaire, avec les sondages, non seulement à des instruments de mesure, mais à des actes performatifs. Il y aurait des actes de sondage comme il y a des actes de langage.

De la dramaturgie du sondage

Dans une campagne, les sondages sont des accélérateurs d’intrigue. Ils aiguisent la curiosité, créent le suspense ou la surprise. Ils n’ont pas toujours de valeur prédictive. Leur fonction est dramaturgique. Ils gèrent la tension narrative de la campagne.

Publié le jour même du lancement de la tournée de promotion du livre de Zemmour et aux lendemains de la décision du CSA de décompter le temps de parole de cet « acteur du débat politique national », le timing de ce sondage est providentiel. Il permet au candidat non déclaré de se présenter sur tous les plateaux comme une victime intarissable d’une censure éhontée. Polémiste omniprésent et/ou candidat censuré, Zemmour joue sur les deux tableaux. Il ne fait pas campagne, il monopolise l’attention, il préempte l’espace politico-médiatique. À Christine Kelly, sa coéquipière sur CNews qui dénonçait sur Twitter après la décision du CSA une « liberté sans expression », Zemmour répond « Merci ma chère Christine pour cette parenthèse enchantée ». On ne saurait mieux dire ! (...)

Mais quelle histoire Zemmour est-il en train d’écrire ? Est-ce une histoire ou une litanie d’insultes et de propos racistes ?
Un combo de vichysme et de frustration identitaire

Sur tous les plateaux, on s’interroge sur le phénomène Zemmour, sur son parcours d’éditorialiste, sur son idéologie voire sa « philosophie », sur sa « radicalisation » qui le déporte de plus en plus à l’extrême droite, sur ses dérapages, ses condamnations. Est-il un « Trump à la française », comme le prétend l’un de ses soutiens, le directeur de la rédaction de Valeurs actuelles, « au sens où […] il y a chez Zemmour une version francisée du phénomène Trump, avec la culture historique, littéraire, le talent d’écriture et de rhétorique (sic) ».

N’est-il pas au contraire un produit de l’histoire française, produit contrarié né de la défaite face à l’Allemagne et de la décolonisation en Algérie, un combo de vichysme et de frustration identitaire. Une forme de patriotisme paradoxal, né de la défaite et de la collaboration. Pas d’histoire : juste le spectacle surjoué d’un pétainisme cool, autorisé, et même « de-gaullisé ». Un pétainisme recyclé, remastérisé. (...)

Certains éditorialistes et animateurs de télévision ont fait leur mea culpa, se reprochant d’avoir enfanté un monstre et d’en avoir fait une icône, tout en continuant à l’inviter à faire la promotion de son livre aux heures de grande écoute…

Qu’ils se rassurent, ils n’ont pas à s’excuser. Ils sont les uns et les autres des produits de la même révolution techno-médiatique qui dévore l’espace public et déstabilise partout dans le monde les démocraties. La télévision peut même prétendre sauver les apparences du débat public, alors qu’elle procède au contraire à la destruction de l’idée même de délibération. (...)

L’empire de l’audimat ne connaît pas d’autres règles que la synchronisation des émotions. Dans le monde où l’on clashe, tout est simulé. Même goût de l’emphase, mêmes gestes exagérés, même immédiateté de l’effet recherché. (...)

C’est du premier et du second degré. C’est un jeu et c’est un combat. On est là pour convaincre et s’amuser.

On pourrait même s’en amuser, si les médias n’étaient pas devenus au fil des ans, de transgression en transgression, le lieu du blanchiment des pires préjugés racistes, le paradis fiscal où se recycle l’argent sale du commerce xénophobe.
Construire un ennemi intérieur

L’objectif est clair : connecter les transformations de la société française à la question de l’immigration. Et, pour cela, construire la figure d’un ennemi intérieur, un autre inassimilable, le musulman, le Rom, l’étranger, le jeune de banlieue, selon les mêmes méthodes utilisées par les antisémites pour construire la figure du Juif malfaisant. Il s’agit moins de défendre le vrai peuple injustement méprisé, comme le prétend Zemmour, que de reconfigurer la société, en traçant une frontière entre les Français supposés, blancs de peau, et ceux à qui on dénie cette qualité. (...)

Sur tous les plateaux, c’est la même passion pour le peuple, l’identité, la nation, la laïcité, que les éditorialistes « zemmourisés » feignent de découvrir comme si les écailles tombaient de leurs yeux alors qu’ils refont le parcours classique du pamphlétaire, avec ces lieux communs bien repérés par Marc Angenot dans La Parole pamphlétaire. On ne saurait trop leur recommander ce livre, car ils y retrouveraient la trame (l’Urmelodie) de toutes leurs interventions : la vision d’un monde crépusculaire, la mélancolie d’un âge d’or perdu, le pouvoir du bon sens, la mort de la littérature, la menace de la modernité, l’anti-France…