
L’eau ne coule plus que 30 heures par semaine sur l’île et son accès est régulièrement empêché par les patrouilles de la police aux frontières. Faute de médecins, le tri des malades, de plus en plus drastique, fait un peu plus monter la tension sur l’île.
(...) Dans l’attente de la saison humide
« On est joyeux quand il pleut », dit Mounira. Qu’importe si, à la saison des pluies, les chemins de terre se transforment en torrents de boue qui menacent d’emporter les habitations. Car le souci de l’eau est partout. (...) .
Mi-octobre, quelques courtes averses, intenses, ont permis de faire des réserves. Une mère et ses enfants font la lessive dans de grandes bassines sur le pas de leur porte, avec l’eau de pluie. Celles et ceux qui n’en ont plus descendent vers la fontaine à 30 minutes à pied des hauteurs du quartier. C’est le jour de l’eau, qui coule à la borne depuis 16 heures et s’arrêtera à 10 heures le lendemain, pour reprendre deux à trois jours plus tard. Des enfants et des femmes, quelques hommes, remontent de l’eau à bout de bras ou sur leur tête, sur les chemins raides. (...)
Plusieurs hommes expliquent souffrir d’hernies inguinales, quand l’intestin descend dans l’aine. Ce type de pathologie chez l’adulte, très douloureux, est provoqué par le port de charges lourdes. « Je devrais me faire opérer, mais cela me coûterait 300 euros », explique Primo.
Des femmes seules avec des enfants (...)
Dans le bidonville, les plus démunies sont les femmes seules avec des enfants. Certaines confient prendre « des amants » pour vivre et ont encore d’autres bébés.
C’est le cas de Zaina, Comorienne sans papiers, mère de trois enfants. Le père des deux premiers est un Mahorais, parti en métropole. Elle est parvenue à échapper une fois à la police aux frontières, venue la cueillir chez elle. S’ils l’attrapent, elle assure qu’elle n’abandonnera pas ses enfants. D’autres choisissent de les laisser derrière eux, aux soins d’une sœur, d’une tante ou d’un voisin, en espérant qu’ils parviendront à avoir une meilleure vie à Mayotte. Ce sont ces gamins abandonnés qui forment les bandes qui volent, agressent, caillassent, terrorisent les habitant·es. (...)
« Il faudrait que chacun veille à la propreté de l’eau, se lave les mains avant de la toucher, ferme bien les bidons, ne les laisse pas au soleil. Mais comment faire quand il n’y pas assez d’eau ? Moi je ne peux me laver que tous les trois jours. » (...)
Les recommandations de l’ARS ulcèrent tous les habitants et habitantes de Mayotte. Elles sont en effet erratiques. Celle-ci dément que l’eau serait impropre à la consommation mais publie régulièrement des communiqués sur des relevés de non-conformité. Elle recommande donc de la faire bouillir 12 heures après la reprise de la distribution. Mais l’eau ne coule désormais jamais plus de 12 heures d’affilée. Et comment la faire bouillir dans de bonnes conditions quand on ne dispose que de bois, brûlé à même le sol, comme source de chaleur ? (...)
Les épidémies se multiplient (...)
Une forte épidémie de gastro-entérite sévit, mais dans des proportions qui ne sont pas inhabituelles, affirme encore l’ARS. Dans les prélèvements de selles ont été repérés l’habituel rotavirus mais aussi des bactéries, notamment escherichia coli, et des shigelles, qui provoquent de très sévères diarrhées. Deux diphtéries ont été diagnostiquées en octobre : cette maladie hautement contagieuse, elle aussi due à une bactérie présente dans l’eau, éradiquée en métropole grâce à la vaccination, ressemble à une angine qui peut se compliquer d’atteintes cardiaques ou neurologiques allant jusqu’au décès. La diphtérie progresse sur l’île ces dernières années, mais leur nombre en 2023 est dans la normale, selon l’agence régionale de santé, qui décrit une situation encore sous contrôle.
Les médecins sont pourtant débordés par les files de patient·es devant les dispensaires, qui dépendent des centres hospitaliers de Mayotte. Il y a en a cinq et leur ouverture est aléatoire, tant les médecins manquent. Il y a eu un grand nombre de départs, en raison d’une crise des urgences, et à la suite de l’opération « Wuambushu », très mal vécue par le corps médical. Pendant cette période, la police était très présente aux abords de l’hôpital, pour interpeller les personnes en situation irrégulière. Les hôpitaux ont aussi été bloqués par des collectifs de femmes mahoraises, qui voulaient empêcher l’accès aux soins de ceux qu’elles désignent comme des « clandestins ». Les malades en situation irrégulière n’ont plus osé consulter. Les médecins témoignent d’états de santé très dégradés depuis, en raison d’un retard de soins. (...)
Le frein à l’accès aux soins est aussi financier. Il n’y a pas d’aide médicale d’état (AME), ce dispositif permettant aux étrangers et étrangères en situation irrégulière d’accéder à un panier de soins, sous condition de résidence et de ressources. (...)
Un manque criant de médecins
L’accès aux soins est une des raisons de la colère d’une partie des Mahorais contre les étrangers, car ils ont le sentiment qu’ils détournent le système. Mais c’est bien la pénurie qui explique ces tensions. (...)
Les patient·es sont trié·es selon des critères très éloignés des pratiques de l’Hexagone. Les médecins venus de métropole expliquent devoir très vite faire preuve de « pragmatisme » : ne sont pris en charge que les patients les plus graves, les autres sont renvoyés chez eux. (...)
Les plus pauvres boivent l’eau de la rivière (...)
Depuis le 21 septembre, des bouteilles d’eau gratuites sont distribuées : 80 000 litres d’eau par jour à « 51 000 personnes vulnérables identifiées », détaille la préfecture. Ce sont les personnes âgées, les personnes malades et handicapées qui peuvent présenter un certificat médical, et les enfants de moins de 2 ans. Dans les bangas, beaucoup ne sont même pas informés. Et ceux qui le sont, et seraient éligibles aux distributions, ont largement de quoi s’inquiéter : une pièce d’identité, française ou étrangère, est réclamée, les noms des bénéficiaires relevés. Plus dissuasif encore : des militaires assurent la logistique des distributions. Ils n’ont pas de mission de police, mais il y a deux mois, ils étaient partie prenante des destructions de bidonvilles pendant l’opération « Wuambushu ». (...)
Dans une une tribune publiée dans Libération le 9 octobre, plusieurs associations humanitaires, dont certaines sont présentes à Mayotte, réclament de « clarifier les critères d’éligibilité pour garantir que toute personne isolée ne soit pas exclue de cette aide » et dénoncent « le manque de transparence et de communication auprès des populations concernées ». Elles signalent aussi « des contrôles d’identité et des interpellations par les forces de l’ordre » aux abords des centres de santé et craignent qu’il y en ait également au niveau des points d’eau.
Ces associations tentent de faire un travail de terrain dans les bidonvilles (...)
À Mayotte, le retour d’une eau en abondance, propre, est attendu au printemps 2024, pas avant.