
Dans le Bas-Rhin, l’État mandate une société immobilière pour héberger les personnes sans abri, à défaut de centres d’accueil adaptés. Malgré un accompagnement social quasi inexistant et des bâtiments souvent dangereux, la facture est très salée.
Tous les jours à Strasbourg, des centaines de personnes sans abri appellent le 115 pour demander un hébergement d’urgence. Même des familles avec enfants, des malades ou des femmes isolées subissent des réponses négatives, faute de places disponibles.
L’État est pourtant censé fournir une solution à toutes les personnes qui le sollicitent. Pour se justifier, il indique dépenser 45 millions d’euros par an pour l’hébergement d’urgence dans le Bas-Rhin, un budget substantiel qu’il ne pourrait pas, selon ses explications, augmenter. Mais la préfecture n’explique pas pourquoi elle paye si cher ni comment elle se retrouve dépendante d’hôtels et d’acteurs immobiliers.
Le plus important d’entre eux dans le département est la Maison des loges. Cette structure méconnue n’a pas de site internet, ni de page sur les réseaux sociaux ou de coordonnées identifiables publiquement. Spécialisée dans la gestion de biens, elle apparaît dans les documents officiels sous un autre nom légal : Giraud Bastets. Selon nos informations, fin 2024, elle héberge près d’un millier de personnes sans domicile fixe dans l’Eurométropole.
Rue89 Strasbourg a eu accès à des factures et des documents de réservation du service d’hébergement d’urgence de l’État, le SIAO. Le prix varie ces dernières années entre 23 et 28 euros par personne et par jour, en fonction des négociations avec la Maison des loges. Il s’élève à environ 25 euros en moyenne en 2024.
Parallèlement, toujours faute de structures adaptées, des centaines de personnes sont logées dans des hôtels, possiblement reculés et délabrés, pour des prix qui peuvent être encore plus élevés. L’hôtel Maison Lutetia pouvait encaisser 34,50 euros par personne et par jour dès 2021.
Pas d’accompagnement social
À titre de comparaison, les places d’hébergement d’urgence financées par la ville de Strasbourg sont facturées bien moins cher, « entre 16 et 21 euros par jour », d’après Floriane Varieras, adjointe à la maire chargée des solidarités. Elle ajoute : « Les associations que nous mandatons comme L’Étage ou Caritas fournissent, outre la mise à l’abri, un accompagnement social. » (...)
Cédric Giraud refuse en revanche de communiquer sur ses bénéfices, le nombre de personnes hébergées et les tarifs appliqués. (...) Avant de concéder que le système fonctionne économiquement (...)
Gros loyers et bâti défectueux
Depuis sa création en 2014, les activités de l’entreprise prennent de l’ampleur. L’atout de la Maison des loges est de fournir des solutions rapides à l’État, grâce à un important parc immobilier tiré de ses partenariats avec des propriétaires. (...)
Concrètement, elle peut gagner, en prenant les tarifs les plus bas figurant sur les factures, plus de 5 000 euros pour un seul logement (...)
Rue89 Strasbourg a pu identifier une dizaine de bâtiments gérés par cette société immobilière. Certains sont en bon état. (...)
À d’autres adresses, comme le 9 route du Général-de-Gaulle à Schiltigheim ou le 26 boulevard de la Marne dans le quartier Vauban à Strasbourg, les immeubles semblent peu entretenus. Les façades présentent des fissures ou des crépis dégradés. Les portes d’entrée donnant sur l’extérieur ne se ferment pas à clé. (...)
Début octobre, la Cour des comptes a relevé que cette stratégie de l’État pour l’hébergement d’urgence le rend « captif » de certains acteurs. Elle préconise la création de places dans des centres spécialisés plutôt que d’avoir recours à des entreprises comme la Maison des loges ou les hôtels, afin de mieux maîtriser les dépenses.
La conséquence de cette gestion court-termiste est très visible à Strasbourg : les tentes de personnes sans abri occupent les espaces verts, et des dizaines d’enfants dorment dehors à l’approche de l’hiver. (...)
Propriétaire du fort Joffre, à Holtzheim, l’État aimerait y installer un centre d’hébergement pour 200 à 250 personnes, mais il se heurte à une partie des habitant·es de la commune, suivi·es par leur maire, Pia Imbs, également présidente de l’Eurométropole.
Les autorités n’auront pas d’autre choix que d’augmenter considérablement leur effort si elles souhaitent lutter efficacement contre le sans-abrisme à Strasbourg. La solution réside aussi probablement dans le fait de permettre aux personnes hébergées dans le dispositif hôtelier de s’autonomiser. Une bonne partie d’entre elles se voient refuser l’obtention de papiers et donc la possibilité de trouver un emploi et un logement. Elles se retrouvent mécaniquement piégées plusieurs années dans ces hébergements d’urgence onéreux.