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Mediapart
Accord franco-algérien : la réalité est aux antipodes des fantasmes de l’extrême droite
#accordsFrancoAlgeriens #AssembleeNationale #RN #migrants #immigration
Article mis en ligne le 2 novembre 2025
dernière modification le 1er novembre 2025

Le vote du texte proposé par le Rassemblement national montre une déconnexion totale avec la réalité. Tout est fait pour laisser croire que les immigrés algériens bénéficieraient de facilités, quand ils rencontrent au contraire de nombreuses difficultés, comme les autres étrangers en France

Le fameux accord franco-algérien de 1968, qui détaille les conditions de circulation et de séjour des ressortissants algériens en France, et qui, selon l’ancien premier ministre, imposait une « immigration du fait accompli », a aujourd’hui été remis en cause à l’Assemblée nationale. En obtenant le vote de son texte, soumis dans le cadre de sa niche parlementaire pour laquelle certains centristes n’ont pas jugé bon de se déplacer, le Rassemblement national (RN) peut se targuer d’une belle victoire.

Si le texte n’a pas de valeur législative, la portée symbolique d’un tel recul est abyssale. Elle consacre ainsi tous les fantasmes de la droite et de l’extrême droite sur l’immigration algérienne, qu’elles voudraient voir disparaître. Éric Zemmour n’a pas manqué de saluer le fait que « le cordon sanitaire se rompe pour déclarer que le Parlement souhaite la fin des accords de 1968 avec l’État hostile algérien ». Il appelle à « mettre réellement fin à l’accord, pour protéger concrètement les Français ». Mais les protéger de quoi, au juste ? (...)

Il faut sans doute évoluer dans le milieu du droit des étrangers, ou côtoyer des ressortissants algériens, pour savoir que ces derniers ne sont pas particulièrement avantagés par l’accord de 1968. « La convention franco-algérienne a régulièrement été réformée depuis sa signature », fait remarquer l’avocat Stéphane Maugendre, spécialisé en droit des étrangers. La différence entre le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) et cette convention franco-algérienne, « c’est un papier de cigarette ». Il évoque de « petites choses » à la marge, « qui concernent peu de monde », comme pour la catégorie des commerçants.

Pour le reste, « cela devient difficile pour tous les étrangers, Algériens compris », assure l’avocat. À la Cimade Île-de-France, difficile de ne pas voir que les Algériens rencontrent eux aussi des difficultés d’accès aux droits et au séjour. Ils représentent 13 % des personnes accompagnées par l’association en 2024, soit la nationalité la plus représentée lors des permanences d’accompagnement sur le droit au séjour. « Les Algériens font face à des difficultés très importantes. Ils ne sont pas mieux lotis que les autres », explique Marie Barbarot, chargée de projet régional sur le droit au séjour.
Des dispositions discriminantes

Pire, les dispositions de l’accord franco-algérien sont parfois « discriminantes », comme pour les personnes victimes de violences ou les parents d’enfant malade, pour lesquelles le Ceseda apporte une réponse – contrairement à l’accord franco-algérien qui n’a jamais été révisé en ce sens. (...)

Celles et ceux qui achèvent leurs études ne peuvent pas prétendre à un titre de séjour ou une autorisation provisoire de séjour dans l’attente de trouver un emploi, contrairement aux Marocains ou aux Tunisiens. Ils doivent aussi faire une demande d’autorisation de travail à chaque fois qu’ils changent d’employeur, ce qui ralentit et complique le processus de recrutement. (...)

L’arbitraire des préfectures (...)

Pour Stéphane Maugendre, le RN ne s’attaque pas seulement aux immigrés algériens durablement installés en France, « qui participent à la vie de la cité », mais aussi à des millions de Français de deuxième ou de troisième génération : « On touche à leur histoire, c’est une vraie déclaration de guerre raciste. » Cette attaque s’inscrit aussi dans un contexte de tensions sans précédent entre la France et l’Algérie. Ni le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, ni son ministre des affaires étrangères, Ahmed Attaf, n’ont à cette heure réagi au vote de ce texte.

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 Dénonciation de l’accord franco-algérien : la responsabilité d’Emmanuel Macron

Grâce à ses alliés actifs de droite et tacites du centre, l’extrême droite est parvenue à faire voter une proposition de résolution revancharde suintant le ressentiment. Dans l’incapacité de la France à reconnaître le fait colonial, le laisser-faire du président est patent.

L’honneur de la représentation nationale a fini par sombrer, englouti dans les flots de l’indignité républicaine, sous les hourras de l’extrême droite. Pour la première fois, jeudi 30 octobre, un texte présenté par le Rassemblement national (RN) a été adopté à l’Assemblée nationale. Et pas n’importe lequel : la proposition de résolution dénonçant l’accord franco-algérien de 1968 est mue par la négation de l’histoire coloniale et la haine raciste et xénophobe, à l’image d’un parti cofondé par un ancien Waffen-SS et un cadre d’une organisation terroriste, l’OAS.

Symbole stupéfiant, le résultat du vote (185 voix pour, 184 contre) a été claironné dans l’hémicycle par le vice-président RN de l’Assemblée, Sébastien Chenu, officiant comme président de séance, qui a lui-même pris part au vote, contrairement à l’usage. Offerte par Les Républicains (LR) et les macronistes, cette victoire concrétise, à l’échelon législatif, la fusion des droites sur un terrain identitaire revanchard, celui d’un passé qui ne passe pas, de la part d’un personnel politique résolu à dresser les Français·es les un·es contre les autres et à attiser le rejet de l’étranger. (...)

Une montée en tension programmée

Conclu à l’origine dans un esprit d’apaisement, associant un réel souci de réparation autant qu’un moins avouable besoin de main-d’œuvre, ce texte est devenu le chiffon rouge d’une extrême droite qui s’est construite dans son opposition à l’indépendance de l’Algérie, après avoir activement soutenu la guerre – jusqu’à, pour son chef historique, Jean-Marie Le Pen, être accusé de pratiquer la torture, comme l’a documenté l’historien Fabrice Riceputi.

Déversoir de sa haine raciste et xénophobe, l’accord lui sert depuis des années à régler ses comptes à l’égard non seulement du pouvoir algérien, mais aussi des Algérien·nes et des Franco-Algérien·nes, premières victimes de cet acharnement. Depuis autant d’années, il cache un ressentiment latent, comme s’il symbolisait cette « repentance » honnie par la droite et l’extrême droite, comme si la France n’avait pas à accorder de prétendus « privilèges » à un pays qu’elle a été contrainte de quitter.

Cette fois-ci, dans l’hémicycle, le RN a eu gain de cause.

Arraché à une voix près, le vote n’est pas un accident de parcours. Il est l’aboutissement de la crise politique et diplomatique avec l’Algérie, savamment entretenue au printemps par l’ex-ministre de l’intérieur Bruno Retailleau, sous le prétexte fallacieux de dénoncer l’injustifiable incarcération de l’écrivain Boualem Sansal.

Mediapart s’était alors rendu en reportage à Perpignan pour raconter le désarroi et la colère de ressortissants binationaux : se sentant pris au piège de cette montée en tension, ils dénonçaient l’instrumentalisation de leur histoire et de leurs conditions administratives au bénéfice de l’extrême droite. (...)

La « plasticité idéologique du centre »

Au lieu de faire barrage aux pyromanes qu’il a lui-même accueillis au sommet de l’État, Emmanuel Macron a tergiversé. De la « guerre des valises diplomatiques » de juillet à sa « lettre de fermeté », puis aux accusations croisées de « mensonges » en août, l’escalade avec l’Algérie s’est poursuivie jusqu’à la rupture.

La reconnaissance de la responsabilité de la France dans les assassinats de Maurice Audin et d’Ali Boumendjel paraît loin. La tradition de rapprochement d’un certain gaullisme encore plus. La déchirure actuelle est en effet le fruit d’un double mouvement : d’une part, l’alignement progressif de la droite, notamment depuis la mandature de Nicolas Sarkozy, sur les idées de l’extrême droite ; de l’autre, le laisser-faire, voire les encouragements de la Macronie. Le vote d’aujourd’hui en témoigne : l’absentéisme de la plupart des député·es du groupe Ensemble pour la République, dont leur chef de file, Gabriel Attal, a permis à l’alliance entre le RN, LR et Horizons de fonctionner à plein. (...)

En pleine crise de régime, alors qu’une nouvelle dissolution fait dangereusement peser le risque de l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite, cette stratégie d’alliances est suicidaire pour un pays qui a placé l’égalité à l’article 1er de sa Constitution et dont le président, lors de sa candidature en 2017, qualifiait la colonisation de « crime contre l’humanité ». Mediapart ne cesse de chroniquer depuis huit ans les digues qui cèdent les unes après les autres : force est de constater qu’y compris en l’absence de majorité au Parlement, le RN ancre profondément ses obsessions au cœur des pouvoirs exécutif et législatif. (...)