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Mediapart
Accusé d’« effacer le Tibet », le musée Guimet devra s’expliquer devant la justice
#museeGuimet #Tibet #Chine
Article mis en ligne le 9 juillet 2025
dernière modification le 6 juillet 2025

Quatre associations de solidarité avec le Tibet ont déposé un recours mercredi 2 juillet devant le tribunal administratif pour enjoindre au musée Guimet de réécrire ses cartels sur les œuvres originaires de cette région himalayenne. Elles décrivent une institution de plus en plus poreuse à l’influence chinoise.

« Ce recours est la suite logique de la demande préalable qui avait été transmise en mars au musée Guimet afin d’obtenir le retour à la nomenclature initiale comprenant le mot “Tibet”, et qui a fait l’objet d’un refus de la part du musée en mai dernier », expliquent les avocat·es William Bourdon et Lily Ravon, qui représentent les quatre associations.
Cartels politiques

L’affaire remonte aux premières semaines de 2024, lorsqu’une des grandes salles de l’exposition permanente, au premier étage du bâtiment, a changé d’appellation : la salle « Népal-Tibet » est devenue celle du « monde himalayen ».

En août 2024, un collectif d’universitaires avait déjà dénoncé, dans une tribune au Monde, le choix de l’expression « monde himalayen », qui sous-entend une fausse uniformité de cette région aux cultures et histoires en réalité très variées. Et de dénoncer une terminologie qui « reflète les desiderata de Pékin en matière de réécriture de l’histoire et d’effacement programmé des peuples non Han qui ont été intégrés ou annexés par la République populaire de Chine ».

Au sein de cette même salle, les cartels des œuvres – des peintures et des statuettes de cuivre et de laiton, pour l’essentiel, représentant des divinités – ont aussi été modifiés. Il n’est plus question d’« art du Tibet », originaire du « Tibet oriental » ou du « Tibet occidental », mais, pour la plupart de ces pièces, d’« art tibétain ». La modification peut paraître anecdotique aux yeux du grand public. Mais pour des universitaires spécialistes du sujet, c’est un autre signal inquiétant de la mainmise croissante de Pékin (...)

« En langage scientifique, l’expression d’“art tibétain” signifie que la provenance exacte est inconnue. Mais comme le prouve la lecture du guide des collections du musée, la provenance de ces objets, issus de telle ou telle région du Tibet, est tout à fait connue », assurent William Bourdon et Lily Ravon, qui regrettent « un choix délibéré du musée Guimet de ne pas écrire “Tibet” afin de se conformer aux exigences du lobbying chinois relayé complaisamment en France ».

Ajoutant au malaise, l’exposition consacrée à la dynastie Tang, qui s’est terminée en mars 2025, présentait des artefacts provenant du Tibet – bijoux, épingles, ceintures, etc. – en les décrivant comme originaires d’un méconnu « royaume Tubo » – dénomination chinoise de l’empire tibétain, uniquement utilisée par Pékin. Ce qui reviendrait à dire, là encore, que le Tibet n’a pas eu d’existence historique propre, en dehors de la Chine.

Si cette question de la dénomination peut sembler réservée au cercle des tibétologues, elle est également politique. Depuis la fuite en 1959 du dalaï-lama, autorité spirituelle du bouddhisme tibétain et politique, la Chine est engagée dans une politique de colonisation de la région avec l’implantation de Han – l’ethnie majoritaire en Chine. Elle cherche à imposer ses termes géographiques. Elle a ainsi créé une région autonome du Xizang. Ce mot, traduit en français par « Tibet », est composé de deux caractères, le premier signifiant « ouest », le second étant une transcription de Gtsang, région centrale du Tibet.

Lobbying chinois

Le musée national des Arts asiatiques est un établissement public à caractère administratif (EPA). Les quatre associations pro-Tibet saisissent le tribunal administratif en faisant valoir que le musée Guimet, en refusant de modifier ses cartels, manquait à « une obligation pesant sur lui en vertu de la mission de service public qu’il exerce ».

Sollicité par Mediapart, le musée Guimet n’a pas souhaité répondre à nos questions. Dans une lettre datée du 23 septembre 2024, adressée à la Communauté tibétaine France et ses amis (CTFA), l’institution réfutait tout en bloc. (...)

Également sollicité par Mediapart, le ministère de la culture, lui, renvoyait la balle mardi soir vers la direction de Guimet. (...)

« Diplomatie culturelle »

Au-delà de cette question de sémantique, les associations requérantes, dont France-Tibet, décrivent dans leur recours auprès du tribunal administratif un musée Guimet quasiment sous emprise chinoise. Elles relèvent par exemple que trois personnes « réputées proches du pouvoir chinois » ont fait leur entrée en 2023 au conseil d’administration du musée.

Outre l’ancien premier ministre Jean-Pierre Raffarin, déjà décoré par les autorités chinoises et qui ne manque jamais une occasion de louer le président Xi Jinping, elles mentionnent Henri Giscard d’Estaing, patron du Club Med, dont l’actionnaire de référence est un conglomérat chinois, Fosun, et Hélène Lafont-Couturier, directrice du musée des Confluences à Lyon, qui chapeaute par ailleurs le Nouvel Institut franco-chinois dans la même ville, une structure qui vise à renforcer les liens entre Pékin et Paris.

Dans leur recours, les associations relèvent aussi la présence, parmi les mécènes de l’exposition sur la dynastie Tang en début d’année, de l’entreprise chinoise MGM China Holdings Limited, dirigée par Pansy Ho, « identifiée par plusieurs spécialistes comme une dirigeante proche du Parti communiste chinois ». (...)