
Alors que l’avocate du réalisateur a estimé qu’il avait été condamné « sur la foi de [la] seule parole » d’Adèle Haenel, la décision du tribunal, que Mediapart a consultée, montre que de nombreux écrits et témoignages étayent les déclarations de l’actrice. Christophe Ruggia a fait appel.
Des écrits, des « aveux » de certains « gestes qu’il a pu faire », de nombreux témoignages. Pour condamner le cinéaste Christophe Ruggia, accusé d’avoir agressé sexuellement Adèle Haenel lorsqu’elle était âgée de 12 à 14 ans, entre septembre 2001 et février 2004, le tribunal correctionnel de Paris s’est appuyé sur une pluralité d’éléments.
Le jugement de trente-huit pages, rendu le 3 février et que Mediapart a pu consulter, contredit l’affirmation de la défense selon laquelle le réalisateur a été condamné « sur la foi de [la] seule parole » d’Adèle Haenel. (...)
De nombreuses confidences d’Adèle Haenel
Premier élément clé du jugement : à rebours de la défense, qui a soutenu que la comédienne ne s’était souvenue des « supposés attouchements » que « quinze ans plus tard », le tribunal relève que, « bien avant l’interview accordée à Mediapart » en 2019, Adèle Haenel a « dénoncé à une partie de son entourage un comportement qui lui avait paru particulièrement inadapté de la part de Christophe Ruggia » après le tournage du film Les Diables (2002). Même si, « à l’instar des victimes d’abus sexuels », elle a eu « de grandes difficultés à en évoquer les détails ».
Le tribunal insiste sur le fait qu’elle s’est confiée – plus ou moins explicitement – à au moins cinq personnes au fil des années, comme Mediapart l’avait écrit. Certaines ont attesté de la « grande émotion » voire de l’« important traumatisme » d’Adèle Haenel à l’évocation de Christophe Ruggia ; d’autres ont rapporté des scènes précises. La directrice de casting des Diables, Christel Baras, a par exemple indiqué avoir croisé la toute jeune actrice « à deux reprises, en soirée, au domicile de Christophe Ruggia, ce qui [l]’avait choquée ». (...)
Des témoignages clé dans l’entourage de Christophe Ruggia
Le tribunal évoque par ailleurs les récits de membres de l’équipe du film, qui ont parlé d’une « situation d’emprise » du cinéaste sur la jeune actrice sur le tournage, ou se sont dit, pour deux d’entre eux, « témoins de [son] attitude déplacée, ambigüe » à l’égard d’Adèle Haenel. Mais aussi les déclarations de la mère de la comédienne, qui a soutenu avoir été « très mal à l’aise face à l’attitude de Christophe Ruggia envers Adèle » sur le tournage.
Mais ce sont deux témoignages émanant de l’entourage de Christophe Ruggia – qui figurent aussi dans l’enquête de Mediapart – qui sont soulignés par le tribunal. (...)
Un « manque de clarté » du cinéaste
Pour le tribunal, Christophe Ruggia « a éprouvé des sentiments amoureux » pour Adèle Haenel lorsqu’elle était mineure, ce qui ressort « non seulement de ce qu’il a écrit, mais encore de ce qu’il a confié à son entourage proche ». (...)
Les déclarations « circonstanciées et constantes » d’Adèle Haenel
À l’inverse, le tribunal souligne les « déclarations précises, circonstanciées et constantes » d’Adèle Haenel, « tout au long de l’enquête ». (...)
Le tribunal souligne que l’expert psychologue qui l’a examinée a indiqué qu’elle ne présentait « pas de tendance à l’affabulation » et qu’elle avait détaillé « de manière cohérente, factuelle, et précise » une « contrainte psychologique ». Si une partie des symptômes post-traumatiques habituellement constatés à la suite de violences sexuelles « n’apparaissent pas » chez Adèle Haenel, son expertise psychologique – et les déclarations d’une partie de son entourage – « confirme les répercussions psychologiques massives des faits sur [elle] ».
L’arrêt des faits et les conditions de leur révélation sont également soulignés par les magistrat·es dans leur décision. Ils estiment qu’il ressort des déclarations d’Adèle Haenel et de certains de ses proches, mais aussi des deux lettres envoyées par Christophe Ruggia, que c’est elle qui a rompu tout lien avec le cinéaste, puis a évité de le croiser.
L’hypothèse d’une « vengeance » écartée (...)
La « contrainte psychologique » caractérisée selon le tribunal
Pour le tribunal, « l’absence de consentement » est matérialisée par la « contrainte psychologique » et la « surprise ». Les magistrat·es mettent en avant le « jeune âge » d’Adèle Haenel (12 à 14 ans) et sa « vulnérabilité particulière au moment des faits », son « importante différence d’âge » avec Christophe Ruggia – « trois fois plus âgé » –, son « absence totale de connaissance de la sexualité », « l’autorité » que le cinéaste exerçait sur la jeune actrice « en raison de leur différence de statut professionnel », « le huis clos instauré » avec elle, « terreau favorable à la poursuite des relations », l’« état de sidération » et l’« attitude physique de refus » que l’actrice a décrits au moment des faits qu’elle dénonce. (...)
De son côté, le cinéaste maintient ses dénégations. Ce sera désormais à la cour d’appel de Paris de se pencher sur ce dossier.