
VIDÉO – L’autrice et normalienne retrace les étapes de son enquête sur l’histoire de son aïeule Betsy, dont la schizophrénie taboue a hanté les femmes de sa famille. (...)
De Betsy, son arrière-arrière-grand-mère, Adèle Yon ne connaissait rien. Pas mêmes les traits de son visage, qu’elle découvre tardivement, sur une photo rangée dans les archives familiales. En revanche, à l’adolescence, elle avait entendu les mises à garde de ses proches : « À l’adolescence, toutes les femmes de ma famille ont posé des questions sur Élisabeth et ont entendu les choses qu’il ne faut surtout pas faire pour ne pas réveiller le gène de la schizophrénie, qui se répandrait de femme en femme dans la famille », raconte Adèle Yon. « En fait, c’est un outil d’autocontrôle, comprend-elle. Il ne faudrait pas fréquenter un certain type d’hommes, faire trop d’études, se tourner vers la philo ou vers la psycho, prendre des drogues, etc. Par la peur, c’était un moyen de contrôler nos comportements. » (...)
en plongeant dans l’histoire d’Élisabeth, de mon arrière-arrière-grand-mère, en me plongeant dans cette enquête, je me suis rendu compte qu’elle jouait pour les femmes de la famille exactement le même rôle que Rebecca dans le film de Hitchcock du même nom. Élisabeth, ou Betsy, incarne tout ce qu’il ne faut pas être. »
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La saisissante enquête de l’autrice sur Betsy, son arrière-grand-mère réputée folle, qui a toujours hanté la psyché familiale.
La photographie, de petit format, était rangée – ou cachée ? – dans une chemise en papier, elle-même remisée dans un carton d’archives familiales. Ce n’est qu’un jour de mars 2021 qu’Adèle Yon l’a eue devant les yeux, presque par hasard. Une femme âgée, apprêtée, maigre, triste, « deux yeux qui me fixaient depuis la mort ». D’Elisabeth, que tout le monde appelait Betsy, son arrière-petite-fille ne connaissait pas les traits avant cette date. Mais de cette aïeule morte avant sa naissance, et réputée folle, elle s’était fabriqué une représentation – et « c’est à partir de cette place vide et des chimères – ces monstres composites – qu’elle me poussait à créer, que la peur, puis la fascination, sont nées. Il me faut ce visage figé sur fond vert, la radicale visibilité de tout ce qu’il ne dit pas, pour que la peur se mue en curiosité et la fascination en enquête ».
C’est bien une enquête, minutieuse, étayée, obstinée, s’appuyant sur des documents d’archives et des dizaines d’entretiens dont on peut lire les procès-verbaux, qu’offre à lire le saisissant et passionnant Mon nom est Elisabeth. (...)
Les premières questions d’Adèle se sont heurtées à nombre de réticences, mais elle a continué à les poser. Tout en compulsant les correspondances familiales anciennes et d’autres documents, notamment des dossiers médicaux. Parmi les indices et les pièces à conviction qu’elle rassemble peu à peu et expose à nos yeux, construisant de cet arrangement savant son récit, les entretiens menés auprès des siens sont les plus captivants : grands-parents, grands-tantes et grands-oncles, cousines… dont les affirmations, les hésitations, les rebuffades et les mutismes s’ajoutent et se complètent pour peu à peu mettre au jour l’histoire bouleversante de Betsy et la façon dont, au-delà des non-dits qui entourent son existence et sa mort, son destin n’a cessé, depuis des décennies, de travailler la conscience de chacun – et la psyché collective de la famille. Elle s’appelait Elisabeth, elle était née en 1916 dans une famille bourgeoise, mariée à 24 ans, bientôt mère de famille, mais habitée par une fragilité, une exigence, une colère qui lui vaudront bientôt d’être étiquetée « schizophrène », enfermée, reléguée, littéralement torturée, martyrisée. Adèle Yon a reconstitué son histoire pour regarder en face la souffrance qu’elle endura – et, confrontée à cette vie de femme atrocement mutilée, irriguer de sa propre colère ce récit féministe intense et déchirant. (...)
– (Editions du Sous-Sol)
Mon vrai nom est Elisabeth
(...) Mon vrai nom est Elisabeth est un premier livre poignant à la lisière de différents genres : l’enquête familiale, le récit de soi, le road-trip, l’essai. À travers la voix de la narratrice, les archives et les entretiens, se déploient différentes histoires, celles du poids de l’hérédité, des violences faites aux femmes, de la psychiatrie du XXe siècle, d’une famille nombreuse et bourgeoise renfermant son lot de secrets.