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Mediapart
Affaire Gérard Miller : « On a parlé, et il ne se passe rien »
#femmes #viols #GerardMiller
Article mis en ligne le 13 avril 2025
dernière modification le 8 avril 2025

Aude G. accuse Gérard Miller de viol sur mineure en 2001. Elle vit difficilement la lenteur de la justice, alors que le psychanalyste n’a pas encore été entendu un an après l’ouverture de l’enquête. Selon une source proche du dossier, 25 plaintes ont été déposées.

« J’ai parlé, nous sommes plusieurs à avoir parlé, et il ne se passe rien. C’est une deuxième silenciation. » En février 2024, Aude G. a dénoncé dans un courrier envoyé au parquet de Paris un viol qui aurait eu lieu en 2001 au domicile parisien de Gérard Miller. Elle avait 17 ans, était en terminale et l’avait sollicité pour un article pour le journal de son lycée.

Pour elle, comme pour au moins une autre plaignante, les faits ne sont a priori pas prescrits car elles étaient mineures au moment des faits. Dans ce dossier, les témoignages de viols et d’agressions sexuelles portés à la connaissance des médias se comptent par dizaines. Selon une source proche du dossier, les policiers ont recueilli 25 plaintes, ce qui fait de l’affaire Miller l’une des plus importantes depuis le déclenchement du mouvement #MeToo en France.

Auditionnée en juin 2024 par la brigade des mineurs, Aude G. a ensuite subi une expertise psychologique. Depuis, plus rien. Gérard Miller n’a, à ce stade, pas été convoqué. Cette psychologue clinicienne de 40 ans affirme que les témoins qu’elle a cité·es pour appuyer son récit n’ont pas été contacté·es à ce jour. (...)

« La multiplicité des victimes est non seulement très grave […] mais elle impose, justement et dès à présent, des suites appropriées de nature à préserver leurs droits, mais aussi ceux du mis en cause, âgé, argumente la pénaliste dans le dernier courrier qu’elle a adressé au parquet de Paris, en février 2025. À défaut, la multiplicité des victimes pourrait s’interpréter comme favorable au mis en cause, grâce aux délais de traitement, au préjudice de ces victimes. »

De son côté, Gérard Miller indique qu’il souhaite « réserver [s]a parole à l’institution judiciaire ». Mais il déplore, « quatorze mois » après le début de l’affaire et alors que « des centaines d’articles consacrés à ces accusations ont été publiés en France et à l’étranger », n’avoir été « ni entendu ni même convoqué ». (...)

Pour la première fois à visage découvert, Aude G. a accepté de raconter les conséquences des violences qu’elle dénonce, et le « coût » de sa prise de parole. Car aussitôt sa plainte déposée, elle a fait le choix de témoigner dans la presse. Un an plus tard, elle raconte aussi la difficile attente face à une procédure judiciaire qui s’annonce longue. (...)

Aude G. : Je pensais naïvement que, parce qu’on était nombreuses, on nous croirait et que la justice allait cette fois agir vite.

En ce moment, je suis en colère. J’ai parlé, nous sommes plusieurs à avoir parlé, et il ne se passe rien. C’est une deuxième silenciation. Et il y a une chose qui me fait très peur : aujourd’hui, même si je suis encore sous traitement, j’arrive à aller mieux, je reprends les consultations, j’ai des projets. Mais le jour où la procédure va se relancer, est-ce que je vais sombrer de nouveau ?

Il va falloir raconter, encore. Quatre heures trente devant une policière, une expertise psychologique, ce n’est pas rien.

Comment en êtes-vous arrivée à déposer plainte ?

En février 2024, ma meilleure amie, avec laquelle je m’étais rendue chez Gérard Miller quand nous étions en terminale, m’a envoyé l’article de Elle. Je n’ai lu que le titre, qui faisait état d’accusations de « viol et d’agressions sexuelles sous hypnose ». C’est à ce moment que j’ai vécu une levée d’amnésie traumatique. Les images sont arrivées, c’était violent. Je me suis sentie complètement dissociée : quand je parlais à mon amie, je la voyais comme il y a vingt-deux ans.

J’ai immédiatement téléphoné à mon conjoint pour lui raconter. Il m’a alors rappelé que dès que Gérard Miller passait à la télé, je changeais de chaîne en disant « ce mec est dégueulasse ». Il m’a dit : « Il faut que tu parles. »

La vie a fait que j’avais rencontré quelques mois plus tôt une avocate, Marie-Paule Pioli, dans le cadre de mon travail de psychologue. Sans cela, je ne suis pas sûre que j’aurais déposé plainte. Je suis psychologue clinicienne en libéral, j’ai trois enfants… Il y a un frein économique à la parole.

Quelles ont été les conséquences des réminiscences du viol que vous dénoncez et de cette démarche judiciaire ?

Je suis en arrêt maladie pour troubles du stress post-traumatique depuis février 2024. J’ai récemment repris le travail à temps très partiel, douze heures par semaine. J’ai donc perdu une bonne partie de ma patientèle.

Au-delà de l’aspect financier, mon travail, c’est mon identité. J’ai eu l’impression d’avoir abandonné mes patients… J’ai aussi eu peur qu’on se dise « elle est victime, elle n’est pas assez forte », que mes patients ne me regardent plus comme une professionnelle. Je vis et j’exerce dans une petite ville. Ça parle… (...)

Aujourd’hui ça va mieux, je relève la tête. Ça a été un travail étape par étape pour faire s’estomper le sentiment de honte. J’ai accroché dans mon bureau la une du Monde sur #MeToo où j’apparais avec d’autres femmes [le quotidien avait réuni cent visages du #MeToo français, en mai 2024 – ndlr].

Une patiente m’a offert des Ferrero Rocher, elle m’a dit : « Je suis une femme, je vous soutiens. » Ça m’a touchée… Mais être victime ne me définit pas, je suis plein d’autres choses que ça.

Vous nous avez aussi indiqué avoir été « choquée » de voir Gérard Miller paparazzé en famille en une d’un magazine people, l’automne dernier ?

J’ai vomi. Je me suis dit : « Nous, on essaye de s’en sortir pendant que lui vit tranquillement sa vie. » Moi, ma vie elle ne sera plus jamais la même.

Plus largement, ce qui est difficile à supporter, et ce que je vis comme une violence secondaire, c’est sa capacité à inverser la culpabilité. Il se positionne en victime et une fois de plus l’attention est attirée sur lui. Il éclipse les vraies victimes, les rabaisse, il faut qu’il soit au-dessus, tout-puissant... Ce que je redoute, c’est qu’il puisse encore faire du mal. (...)