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Orient XXI
Amira Hass. Pourquoi la Cisjordanie ne s’est pas soulevée
#israel #palestine #Hamas #Cisjordanie
Article mis en ligne le 17 octobre 2025
dernière modification le 14 octobre 2025

Amira Hass est une journaliste israélienne du quotidien de gauche Haaretz, installée depuis vingt ans à Ramallah, en Cisjordanie. Elle explique pourquoi aucune intifada n’a éclaté dans ce territoire occupé, et largement occulté, après le 7 octobre 2023. À l’inverse de ce qu’avaient imaginé les chefs du Hamas à Gaza. Entretien.

Philippe Agret. — Vous êtes basée à Ramallah, en Cisjordanie. Pourquoi, d’après vous, n’y a-t-il pas eu d’intifada en Cisjordanie après le 7 octobre, même s’il y a eu de violents affrontements armés dans le Nord ?

Amira Hass. — C’est une question cruciale, peut-être LA question à se poser, pas seulement parce que Yahya Sinouar et Mohammed Deïf1 imaginaient une révolte palestinienne majeure et une guerre régionale contre Israël après le lancement de leur grande attaque militaire. Cette question est valide, car la réalité créée par Israël à Gaza et en Cisjordanie avant le 7 octobre était insupportable.

Tout d’abord, je ne qualifierais pas d’intifada la présence de quelques dizaines de jeunes hommes armés dans les camps de réfugiés du Nord, prêts à être tués sur le champ.

Si l’on se réfère à la première intifada (1987-1993), elle désignait un soulèvement populaire, avec la participation de tous les milieux et, par conséquent, un mouvement dont la lutte armée n’était pas le moteur principal, voire pas du tout. Un mouvement qui supposait un état d’esprit de solidarité interne, de la coordination et un objectif clair. La résistance armée, elle, est toujours l’apanage d’un petit nombre et constitue un phénomène essentiellement masculin, du moins dans le contexte palestinien. L’objectif de ces groupes n’a d’ailleurs jamais été très clair.

Si l’on n’a pas vu davantage de groupes de jeunes hommes armés tirer ici ou là sur un poste militaire, un véhicule blindé ou un colon, cela tient d’abord à l’état des forces des deux organisations qui ont financé et encouragé l’armement des jeunes : le Hamas et le Djhad islamique. Ils étaient actifs dans le Nord, mais moins dans le reste de la Cisjordanie.

Ensuite, malgré la gloire tissée autour de ces groupes et les sentiments de compassion envers chaque martyr, j’ai tendance à croire que la plupart des habitants de Cisjordanie doutaient de l’efficacité de leurs actions.
« Les enclaves palestiniennes conçues par Oslo et Israël ont fragmenté la vie quotidienne »

P.A. — Pourquoi ?

A.H. — Il y a un tabou dans la société palestinienne : critiquer les opérations armées et les martyrs. Donc le ressentiment et la colère vis-à-vis des groupes armés dans les villes et les camps de réfugiés — dont Israël a détruit bâtiments et infrastructures et déplacé environ 40 000 habitants — ne sont ni évoqués ni rapportés publiquement.

Mais je suppose que ces critiques circulent sous le manteau et sont connues. (...)

P.A. — Pourquoi n’a-t-on pas vu de soulèvement populaire et non violent comme alternative à la lutte armée ?

A.H. — La réalité des accords d’Oslo a déconnecté l’occupé de l’occupant en plaçant une entité tampon entre les deux : l’Autorité palestinienne (AP). Pour lancer un projet de désobéissance civile de masse, il faut d’abord appeler à la rupture des liens bureaucratiques et sécuritaires entre l’entité tampon et l’occupant. Autrement dit, exiger de l’Autorité palestinienne qu’elle agisse différemment. D’innombrables demandes et plusieurs résolutions du conseil central de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) réclamant la fin de la coopération sécuritaire avec Israël, n’ont jamais été entendues ou mises en œuvre par Abou Mazen [Mahmoud Abbas] et sa cour.

La dimension bureaucratique de la coopération palestinienne avec Israël est encore plus difficile à contester ou à stopper, car elle touche aux besoins fondamentaux des citoyens : obtenir une pièce d’identité, enregistrer les naissances, partir à l’étranger, ouvrir une entreprise et un compte bancaire, importer et exporter, etc. Une telle rupture exige une planification minutieuse, une décision commune et la volonté de l’ensemble de la population de se préparer en amont à d’énormes sacrifices au quotidien. Il y a quelques années, Qadura Farès, cadre du Fatah et ancien prisonnier — apprécié et vénéré par la base, mais souvent en disgrâce auprès des dirigeants — avait conçu un ambitieux plan de désobéissance civile de masse, mais il n’a manifestement jamais réussi à convaincre de sa faisabilité.

Durant les 30 années d’existence des zones A et B, les Palestiniens ont joui d’un certain « répit » face à l’occupant : certes dans des zones restreintes et pour des périodes limitées. J’appelle cela la « logique des bantoustans ». Elle a habitué les gens à un confort limité et à une normalité limitée, qu’ils n’étaient pas disposés à abandonner.

Enfin, les enclaves palestiniennes conçues par Oslo et Israël, toujours plus dispersées, toujours plus réduites, ont fragmenté la vie quotidienne sous une domination étrangère hostile : chaque ville ou village vit différemment cette expérience et trouve, ou pas, ses propres moyens de collaborer ou de résister (...)

Il est difficile d’imaginer aujourd’hui l’élaboration d’une stratégie unifiée à l’échelle de toute la Cisjordanie. La solidarité interne est affaiblie.
« La brutalité de la répression israélienne contre toute tentative de résistance est effrayante »

P.A. — Il semble qu’une partie de la population palestinienne se soit sentie trahie ou abandonnée par ses dirigeants ?

A.H. — Les « dirigeants » palestiniens n’ont évidemment aucun intérêt pour une nouvelle stratégie. Ils sont devenus une nomenklatura, qui identifie la « cause nationale » à sa propre stabilité et à son bien-être. Les cercles élargis autour du noyau de cette nomenklatura — c’est-à-dire les fonctionnaires et les milieux d’affaires — dépendent de lui et ne peuvent se permettre, ou n’osent pas, s’en détacher.

Il existe par exemple une institution officielle, la Commission de résistance à la colonisation et au mur. Elle est principalement composée de militants du Fatah rémunérés par l’Autorité. Elle collecte des informations, dispose d’avocats qui représentent les citoyens dans les affaires de spoliation des terres [par Israël], et organise des manifestations de solidarité et de protection avec les communautés menacées par les colons et la bureaucratie de l’occupation.

S’il n’y a aucune raison de douter de la sincérité des individus impliqués — exposés aux tirs des soldats, à la violence des colons et aux arrestations —, ils n’ont pas reçu l’adhésion des masses. Au contraire, leur identification au Fatah et à l’Autorité ne leur attire aucune sympathie de l’opinion publique. Ils sont inconnus, à l’inverse de ces jeunes qui ont été tués par l’armée israélienne et dont les portraits géants — munis d’armes impressionnantes — sont placardés partout.

De fait, la brutalité de la répression israélienne contre toute tentative de résistance est effrayante. Indépendamment de toute forme de résistance ou d’opposition, cette brutalité est plus intense et généralisée qu’auparavant. Surtout sous cette coalition d’extrême droite et depuis le 7 octobre (...)

P.A. — De nouvelles formes ou de nouveaux espaces de résistance émergent-ils en Cisjordanie depuis le 7 octobre ?

A.H. — Avant de voir émerger de nouvelles formes de résistance, un bouleversement majeur dans la politique interne palestinienne est nécessaire. Sous forme de renaissance d’une OLP désormais obsolète ? D’une OLP entièrement neuve ? De changement impulsé par la diaspora ? D’initiative palestinienne inclusive [englobant les Palestiniens dits de « 1948 »] ? Chacune de ces options a ses avocats ou est associée à certaines initiatives intellectuelles, ce qui a minima nous indique combien la population aspire à un changement politique. Mais il va sans dire que c’est aux Palestiniens de décider. (...)

« Les colons mènent une guerre sur plusieurs fronts contre les Palestiniens »

P.A. — Quel est l’impact de l’accélération de la colonisation et de la violence des colons depuis le 10 octobre ? Comment percevez-vous les (nouvelles ?) stratégies israéliennes de colonisation ?

A.H. — Vivre sous l’occupation et la colonisation éternelles est une forme de résistance permanente. Parce qu’il s’agit d’un mode de vie organique ni organisé ni planifié. On parle de soumoud.2. Comme l’objectif d’Israël a toujours été d’accumuler « le plus de terres avec le moins de Palestiniens possible », la détermination des communautés d’éleveurs et d’agriculteurs à rester sur leurs terres et la capacité à assurer une certaine normalité dans les zones A et B, ont été phénoménales.

Mais le gouvernement actuel et ses milices semi-officielles de gangs de colons ont réussi à briser le soumoud dans de larges régions de Cisjordanie, à expulser une soixantaine de communautés et empêcher des dizaines de villages d’accéder à leurs terres cultivées ou aux pâturages.

Les méthodes ne sont pas vraiment nouvelles, mais les « jeunes des collines »3 et la construction parfaitement organisée et planifiée d’avant-postes par des bergers violents sont venus assister la bureaucratie de l’occupation : cette dernière a toujours cherché à « nettoyer » la plus grande partie de la Cisjordanie de toute présence palestinienne, mais elle le faisait « trop lentement ». Le processus s’est désormais accéléré.

Par ailleurs, les colons et leurs instances non gouvernementales, dirigés et inspirés par le Gauleiter de Cisjordanie, Betzalel Smotrich, mènent une guerre sur plusieurs fronts contre les Palestiniens qui parvient à briser la « logique du Bantoustan ». Personne n’est en sécurité nulle part.

« Les prisons sont le lieu où les sadismes d’État et individuel convergent » (...)

Partout, les Palestiniens sont désormais exposés aux caprices des soldats et des colons, ainsi qu’à la cruauté calculée des responsables et des institutions en charge. Rien d’étonnant à ce que la population craigne qu’une fois qu’Israël en aura « fini » avec Gaza, il lance des expulsions massives, voire une politique de génocide, en Cisjordanie. (...)

La situation est plus frustrante que jamais : il y a trop d’événements majeurs et dangereux, trop d’incidents, d’attaques et de résolutions gouvernementales [israéliennes] qu’il faut couvrir sérieusement et minutieusement. Et les lecteurs [israéliens], plus que jamais, refusent de connaître et de comprendre le contexte général.


Amnesty International
Pétition Génocide à Gaza : la France doit mettre fin à l’impunité d’Israël 

Pétitions citoyennes ➡️ Assemblée Nationale : Demande de sanctions à l’encontre de l’État d’Israël et de ses dirigeants en raison de violations graves du droit international

Pétitions citoyennes ➡️ Assemblée Nationale : GAZA A FAIM : Pour un accès immédiat, sans conditions, à l’aide humanitaire !