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The Conversation
Anne Genetet et les domestiques de Singapour : un problème éthique
#educationNationale #AnneGenetet #Singapour #exploitation
Article mis en ligne le 5 octobre 2024
dernière modification le 3 octobre 2024

Lorsqu’elle était expatriée à Singapour, la ministre de l’éducation nationale, Anne Genetet, dirigeait une société spécialisée dans la formation et le recrutement du personnel de maison. Ses « conseils » pour gérer les domestiques ont fait polémique. Pourquoi sont-ils problématiques ? Le point de vue d’un professeur de philosophie qui a longtemps enseigné à Singapour.

Sur le site de son entreprise, aujourd’hui archivé, la ministre explique que les « “helpers” attendent une augmentation annuelle », et qu’il est important d’« ajuster le salaire de départ à votre capacité d’augmentations futures ». Sur les congés payés, il est rappelé qu’ils ne sont « ni obligatoires, ni recommandés : c’est laissé au libre choix de l’employeur ». En s’appuyant sur les recommandations du gouvernement singapourien, l’agence souligne l’importance de vérifier la situation financière de l’employée : « essayez d’évaluer son endettement : une candidate endettée est préoccupée dans son travail et va vous demander des avances sur salaire ».

Dispenser de telles formations pour les domestiques n’est pas illégal, mais la ministre de l’éducation est critiquée pour avoir donné des conseils dénigrants et relevant parfois du mépris de classe. (...)

Les « servantes » à la merci de leur patron

La population de Singapour est constituée d’un tiers d’immigrés. Ceux-ci forment un ensemble de travailleurs étrangers, avec des tâches et compétences extrêmement régulées et réglementées : de l’ouvrier dans le bâtiment au chef d’entreprise expatrié.

Les hommes sont exploités pour leur force de travail (...)

Les femmes employées de maison représentent, elles, 270 000 personnes et constituent le deuxième plus grand groupe de travailleurs étrangers à Singapour. (...)

Une fois leur travail commencé, leurs tâches peuvent concerner l’entretien ménager, la garde d’enfants, la cuisine, les courses ou les soins aux personnes âgées ou malades de la famille. La jeune femme – il ne peut y avoir d’hommes – est alors à la merci de son patron : c’est lui qui fixe ses heures de travail, ses jours de repos, ses congés. L’employeur est même responsable de sa sortie du territoire et il n’est pas rare que le passeport de la « helper » soit confisqué pour s’assurer qu’elle ne s’échappe pas.

Nourries, logées dans des chambres souvent exiguës, ces domestiques font l’objet d’un asservissement tout à fait toléré, voire accepté par la population locale. Une partie des Singapouriens pensent d’ailleurs que ces femmes devraient être moins payées.

L’employeur choisit celle qui sait cuisiner selon ses goûts, fait bien le ménage, s’occupe correctement des enfants et sait rester discrète. Puis, lorsqu’il est temps de se séparer de la domestique (pour différentes raisons, souvent le départ de Singapour), celle-ci est « remise » sur le marché où chacun soulignera plus ou moins ses qualités. (...)

Le salaire minimum légal pour ces domestiques (celui qui est majoritairement proposé) est d’environ 400 euros : un chiffre à comparer au salaire moyen sur l’île, supérieur à 5 000 euros par mois). Notons qu’il est très rare qu’un Français expatrié rentre au pays avec sa « helper » – si ce n’est pendant les vacances – le coût devenant trop important compte tenu du minimum légal et des conditions de travail imposées.

On peut rappeler que l’usage de domestiques en France a perduré jusqu’à une période encore récente, jusqu’à ce que l’industrialisation et l’amélioration des conditions de travail au début du XXe siècle poussent les travailleurs des classes populaires à chercher des emplois dans les usines.

Si le travail domestique existe encore aujourd’hui (comme les aides ménagères ou les gardes d’enfants), il est encadré par des lois (temps de travail, rémunération, etc.). Le modèle des domestiques vivant souvent dans la maison des employeurs et travaillant de nombreuses heures sans grandes protections a quasiment disparu en France au milieu du XXe siècle. (...)

La ministre a délibérément choisi ce service fondé sur un système d’exploitation de l’autre. C’est ce qui pose un problème. Chacun fait ce qu’il veut en respectant les lois du pays hôte : ce n’est pas une question légale mais un enjeu éthique.

Ce qui est plus problématique encore, c’est qu’Anne Genetet a la charge du plus important ministère et précisément celui de l’éducation, autrement dit celui de l’exemplarité. Sa nomination interroge (...)