
Moteur pour l’économie du pays et immense source de fierté nationale, le grand barrage de la Renaissance est inauguré officiellement mardi par le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed. Un événement qui relance les tensions avec l’Égypte et le Soudan. Les deux voisins craignent un tarissement de leur approvisionnement en eau avec la mise en service de cet ouvrage hydroélectrique, le plus grand du continent africain.
C’est un moment historique pour l’Éthiopie et une victoire politique et diplomatique pour le Premier ministre Abiy Ahmed. Addis-Abebba s’apprête à inaugurer mardi 9 septembre son mégabarrage sur le Nil, baptisé grand barrage de la Renaissance (GERD), au cœur des tensions géopolitiques régionales depuis plus de 15 ans.
Dans un pays qui compte plus de 80 ethnies, une centaine de langues parlées et déchiré par les conflits armés, l’ouvrage hydroélectrique est l’un des rares sujets à faire consensus. (...)
Vecteur d’unité nationale après le conflit du Tigré qui a fait au moins 600 000 morts entre 2020 et 2022, selon une estimation de l’Union africaine, la plus grande centrale hydroélectrique d’Afrique doit aussi répondre aux besoins énergétiques d’une population de 135 millions d’habitants et augmenter ses recettes en devises étrangères.
L’Éthiopie, dont l’économie est encore très largement dirigée par l’État, fait régulièrement face à des pénuries de devises, notamment due à sa facture d’hydrocarbures, et les sorties de capitaux étrangers sont limitées.
"Une menace existentielle" pour l’Égypte (...)
Érigé à environ 30 kilomètres en amont de la frontière soudanaise, la première pierre du GERD, immense ouvrage de 1,8 kilomètre de large pour 145 mètres de haut, d’une contenance totale de 74 milliards de mètres cubes d’eau, a été posée en avril 2011. (...)
Depuis, le projet est au cœur d’un grand jeu géopolitique régional. Il est vertement critiqué par Le Caire qui, craignant un tarissement de sa principale source d’approvisionnement en eau, martèle qu’il constitue une "menace existentielle". (...)
L’Égypte, pays d’environ 110 millions d’habitants, dépend du Nil pour 97 % de ses besoins hydriques, notamment pour l’agriculture. D’après son ministère des Ressources en eau, le pays aride dispose aujourd’hui de 59,6 milliards de mètres cubes du précieux liquide, quand 114 milliards seraient nécessaires.
"L’Égypte n’est pas du tout en situation de pénurie potentielle. Il y a effectivement des problèmes d’approvisionnement mais qui sont avant tout liés à des infrastructures défaillantes et à une mauvaise optimisation, car l’eau est gratuite en Égypte et ne passe pas par un opérateur", affirmait en 2022 auprès de France 24 le géopolitologue Marc Lavergne.
De son côté, le Soudan espère que le barrage va réguler ses crues annuelles mais craint des effets néfastes.
Les positions égyptienne et soudanaise s’appuient sur un traité bilatéral signé en 1959 entre les deux pays régissant l’utilisation des ressources du Nil. Depuis une décennie, différentes tentatives de médiation entre les trois pays – sous l’égide successivement des États-Unis, de la Banque mondiale, de la Russie, des Emirats arabes unis et de l’Union africaine – ont toutes échoué.
"Pas d’impact négatif", selon les experts
L’Ethiopie, qui devrait voir sa production électrique doubler grâce au GERD, se veut rassurante.
"L’énergie et le développement qu’il générera contribueront non seulement à l’essor de l’Éthiopie, mais aussi de toute la région. Le barrage d’Assouan, en Égypte, n’a jamais perdu un seul litre d’eau à cause du GERD", a affirmé son Premier ministre Abiy Ahmed en juillet, alors que se terminait le remplissage du nouvel ouvrage.
Un discours répété lundi lors d’un entretien télévisé. "Leurs barrages (soudanais et égyptiens, NDLR) doivent être pleins. Nous ne voulons pas que (le GERD) génère des craintes pour eux", a-t-il affirmé.
Achevé en juillet, le barrage a connu une mise en service progressive, six de ses 13 turbines étant déjà en service. Selon le ministère des Affaires étrangères à Addis-Abeba, toutes les turbines seront en service mardi. (...)
En attendant, le Caire ne peut qu’assister impuissante au triomphe de son rival éthiopien quand bien même le sujet aurait un impact sur la "stabilité interne" de l’Égypte, note l’expert en eau Mohamed Mohey el-Deen, ex-membre du comité égyptien d’évaluation du GERD.
"La seule option réaliste pour l’Egypte est de s’adapter", affirme-t-il. "Il n’y a pas d’autre alternative".