Depuis l’été, des personnes immigrées, pour la plupart candidates à l’asile, sont arrêtées tous les jours à New York, sous les yeux de leurs enfants, lors de simples rendez-vous administratifs. Une stratégie du choc qui pourrait masquer une érosion plus large de l’État de droit.
Au douzième étage du 26 Federal Plaza, à Manhattan, des hommes masqués déambulent dans les couloirs du tribunal administratif. À l’intérieur des salles d’audience, devant les juges qui statuent essentiellement sur des demandes d’asile, les familles ont du mal à se concentrer. Sur place, tout le monde ne pense plus qu’à une chose : à ce qui attend les migrant·es à la sortie. Qui sera brutalement arrêté·e par les autorités fédérales ? (...)
À New York, où réside la plus large population de sans-papiers des États-Unis (près de 600 000 personnes), la politique d’expulsions à grande échelle est une priorité de l’administration Trump. Elle ne repose pas uniquement sur des opérations de rue, lors desquelles sont généralement visées celles et ceux qui travaillent. Dans la plus grande ville du pays, cité sanctuaire qui limite sa coopération avec les pouvoirs fédéraux en matière d’immigration, les raids ont souvent lieu à l’abri des regards.
Ils se font dans cet imposant immeuble de 41 étages, qui abrite à la fois le siège new-yorkais de la police de l’immigration fédérale (ICE) et un tribunal administratif spécialisé dans les questions d’asile et d’immigration. Une aubaine pour l’ICE, qui n’a qu’à monter quelques étages pour arrêter les personnes migrantes qui se présentent chaque jour par dizaines. Là, dans les couloirs, la même scène se répète alors. (...)
Des cris en espagnol, des larmes, des mains qui tentent de retenir un·e proche tout juste arrêté·e. Des enfants en bas âge, les yeux grands ouverts, qui ne comprennent pas qu’ils ne reverront sans doute plus leur parent, bientôt expulsé ou transféré dans une prison, loin, très loin, à des milliers de kilomètres. Ces dernières semaines, le 26 Federal Plaza est devenu à lui seul un enjeu politique, un point de crispation.
Car pour les autorités démocrates de la ville de New York, comme pour d’autres organisations de défense des libertés civiques ou d’aide aux migrant·es, cette stratégie de séparation des familles qui ne dit pas son nom serait tout simplement illégale. Ces arrestations dans l’enceinte du tribunal, ont-elles expliqué dans une plainte déposée début août à New York, seraient une violation des propres directives internes de l’ICE, censées garantir l’accès à une justice administrative impartiale et « équitable ».
Arrestations dans les tribunaux
Des accusations rejetées en bloc par Tricia McLaughlin, porte-parole du département de la sécurité intérieure. Les arrestations dans l’enceinte des tribunaux relèvent du « bon sens », a-t-elle défendu au printemps. Elles « permettent d’économiser de précieuses ressources policières, puisque les policiers savent déjà où se trouve leur cible ». Ces arrestations seraient également « plus sûres ».
En attendant l’examen de la plainte déposée début août, la justice fédérale new-yorkaise a quant à elle décidé d’autoriser le déploiement des agents fédéraux au sein des tribunaux administratifs. Bien que la décision ne soit que temporaire, elle suscite de nombreuses interrogations, tant les arrestations au 26 Federal Plaza semblent s’insérer dans une stratégie plus large d’« érosion » de l’État de droit (...)
Le succès de la politique du chiffre de l’administration Trump, qui s’est fixée un objectif de 3 000 arrestations par jour, repose sur l’efficacité de ces agents fédéraux. À New York, ceux-ci paraissent pour l’instant loin de leur objectif. Sur les 60 000 immigré·es actuellement incarcéré·es à travers le pays, « seulement » 3 320 ont en effet été arrêté·es dans la région de New York entre les mois de janvier et de juillet. La moitié ont précisément été arrêté·es dans les couloirs du 26 Federal Plaza, et ont été parfois détenu·es dans des conditions potentiellement inhumaines. (...)
« Je ne peux pas supporter ça », confie justement un des bénévoles à Mediapart, qui se décrit comme un héritier de la droite de John McCain (mort en 2018, cet ancien sénateur républicain était critique de Donald Trump). « Je ne dis pas qu’on ne peut pas expulser les gens, poursuit-il. C’est la loi. Sauf qu’ici, on est en train d’arrêter les migrants qui respectent la loi, qui suivent la procédure. »
Entraves aux droits des migrants
Si ces arrestations apparaissent clairement comme un des principaux leviers de l’administration Trump (45 milliards de dollars ont été alloués à l’ICE via la gigantesque loi budgétaire), elles ne sont pas les seuls outils à la disposition du pouvoir.
« La nouvelle approche du gouvernement consiste à saper les dernières protections prévues, entre autres, dans la Constitution », résume Karla Ostolaza, l’une des directrices des Bronx Defenders, un cabinet d’avocat·es commis·es d’office qui vient en aide aux migrant·es. Au quotidien, explique-t-elle, « l’érosion » de ces protections n’est pas forcément visible. (...)
« L’administration Trump, signale encore l’avocate, cherche à réduire les financements publics des fonds qui permettent aux enfants migrants d’être représentés par un avocat commis d’office. Alors qu’en parallèle, elle investit des milliards de dollars pour séparer les enfants de leurs parents. » Il y a déjà eu vingt morts dans les centres de détention de l’ICE depuis que Donald Trump est revenu au pouvoir, rappelle-t-elle. Parmi les causes des décès, on trouve des accidents vasculaires cérébraux, un cas d’insuffisance respiratoire, et trois possibles suicides. (...)