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Mediapart
Au Maroc, 26 ans de règne et des inégalités qui explosent
#Maroc #inegalites #marchedelaDignite
Article mis en ligne le 3 août 2025

Début juillet, une « marche de la dignité » a été organisée dans l’une des régions les plus marginalisées du Maroc. Un rappel brutal à la réalité des inégalités qui structurent le pays, et un défi majeur pour la survie du régime de Mohammed VI.

Le 9 juillet, une longue marche, appelée « marche de la dignité », a été organisée par des centaines d’habitant·es, hommes et femmes, d’une vallée nichée au cœur du Haut Atlas marocain, la vallée d’Aït Bouguemez. Si la région est l’une des plus belles du pays, c’est aussi l’une des plus marginalisées. Les « marcheurs » voulaient atteindre la ville d’Azilal, à une centaine de kilomètres, pour y tenir un sit-in devant le siège de la province.

Leurs revendications sont éminemment sociales, liées à des besoins tout à fait élémentaires : à Aït Bouguemez, il n’y a pas de route, pas d’hôpital, pas d’école, pas de réseau téléphonique, pas de connexion internet, etc. C’est la première fois qu’une action d’une telle nature et d’une telle envergure est menée par les habitant·es de l’une des régions les plus enclavées du royaume.

Surnommée la… « vallée heureuse », Aït Bouguemez est pourtant mondialement connue pour la beauté de ses paysages, ce qui en fait une destination très prisée par les amoureux de l’escalade et des randonnées en montagne. Ses habitant·es, quant à eux, continuent de vivre à l’âge de pierre…

La situation dans la « vallée heureuse » n’est pas un cas isolé au Maroc. La plupart des régions berbérophones du Moyen et du Haut Atlas subissent le même sort, conséquence d’une politique sociale inégalitaire qui remonte à l’indépendance (1956), séparant, selon le vieil adage du maréchal Lyautey, le « Maroc utile » du « Maroc inutile » et maintenant celui-ci dans un état de marginalisation quasi structurelle. (...)

À la marginalisation s’ajoute ce qui est considéré comme un véritable enjeu pour l’État marocain, et un défi non seulement pour le développement du pays, mais aussi par rapport à la stabilité même du régime : le chômage des jeunes. Les chiffres officiels sont effrayants.

Selon le rapport du dernier recensement national de la population, organisé en 2024, le taux de chômage au Maroc atteint 21,3 %, une hausse « préoccupante » comparée à 2014 (16,2 %). D’autres chiffres officiels, plus récents, confortent ce constat et pointent également de profondes inégalités hommes-femmes. (...)

« C’est l’échec d’un modèle de développement qui génère plus d’inégalités que de croissance ou d’emploi, souligne l’économiste et sociologue Najib Akesbi, joint par téléphone par Mediapart. On a pourtant un taux d’investissement important – à 30 %. Or, il n’a pas d’impact positif en termes de richesse et d’emploi. Pourquoi ? » Le chercheur y voit plusieurs explications.

« D’abord, la plus grande part de ces investissements va aux chantiers et travaux publics, des secteurs où les emplois ne durent qu’un temps et ne réduisent pas du tout les inégalités qui rongent le pays, explique-t-il. L’image la plus symbolique est celle du TGV qui traverse des villages enclavés. Sans parler des stades pharaoniques qu’on est en train de construire et qui seront très peu utilisés. » (...)

Autre paradoxe : à cause d’un système d’enseignement inadapté, le chômage touche surtout les jeunes diplômé·es. Avec la justice et la santé, l’éducation publique fait partie des chantiers les moins réussis de l’ère Mohammed VI. L’arabisation conduite à partir des années 1980 par le roi Hassan II (1929-1999), pour des motifs moins pédagogiques qu’idéologiques, a sapé l’école publique et favorisé un enseignement à deux vitesses : les établissements privés et les « missions étrangères » pour les familles aisées et moyennes (15 %) ; l’école publique, qui ne cesse de se dégrader, pour les 85 % restants.

Cette réalité avait déjà été constatée en 2015 par… Mohammed VI lui-même dans un discours tenu il y a dix ans jour pour jour (...)

L’abandon et le décrochage scolaires sont également parmi les défis que le Maroc n’a pas su relever (...)

au Maroc sont contraints de faire face au népotisme et à un clientélisme quasiment institutionnalisé, un phénomène que les Marocain·es résument en deux mots : « Bac Sahbi » (« ton père est mon pote »).
Atmosphère de polar

Au Maroc, le roi ne se contente pas de régner et de gouverner. Il est également un homme d’affaires prospère et contrôle un mastodonte appelé Al Mada, qui comprend plusieurs groupes et entreprises investissant dans des secteurs stratégiques de l’économie marocaine : banque, télécommunications, BTP, exploitation des métaux précieux, grandes surfaces, énergie solaire, etc. Cette alliance de la politique et de l’argent avait été fortement dénoncée par les jeunes manifestant·es lors du « Printemps arabe » en 2011, de même que la place et le rôle tentaculaire de l’entourage royal. (...)

En 2024, un ancien agent de la DGED, Mehdi Hijaouy, quitte discrètement le Maroc pour l’Espagne, puis la Suisse, avant de se volatiliser en Europe. Il détiendrait, dit-on, des informations ultrasensibles sur des personnalités influentes de l’entourage proche du roi.
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