
Lorient s’associe au Sultanat d’Oman pour construire un immense port donnant sur l’océan Indien. Des poissons seront importés par avion, provoquant le rejet des pêcheurs locaux et des écolos.
« Cela paraît pathétique de se rendre jusqu’à Oman pour chercher du poisson », s’étonne Laurent Tréguier, patron du chalutier Côte d’ambre. Également président du groupement de gestion des pêcheurs-artisans de Lorient, ce pêcheur spécialisé dans la langoustine est, comme beaucoup de ses collègues, plus que circonspect sur le projet de construction d’un mégaport au Sultanat d’Oman. Soutenu par la région Bretagne et, surtout, par la communauté de communes Lorient Agglomération, un consortium franco-omanais va en 2024 poser la première pierre d’un port de pêche international à Duqm, sur la mer d’Arabie.
Le port de Lorient-Keroman (un nom prédestiné à ce partenariat, baptisé Ker’Oman), via sa société de gestion, investit lui aussi dans ce projet dantesque et exotique de 25 hectares, soit cinq fois sa taille. (...)
Ensuite, ce seront 500 000 tonnes d’ici une décennie, voire 1 million de tonnes à plus long terme.
De Lorient au Moyen-Orient
Pourtant premier port de pêche en France en valeur et second en volume, le port de Lorient-Keroman voit baisser d’année en année les quantités de produits de la mer qui y sont débarqués. Les raisons sont multiples : les zones de pêche perdues avec le Brexit, le plan de sortie de flotte ou encore l’augmentation du prix du gazole. Ainsi, environ 26 000 tonnes de produits de la mer étaient pêchées en 2013, contre environ 18 000 aujourd’hui. (...)
Écologistes et pêcheurs locaux ont tout de suite été d’accord sur le non-sens d’un tel débarquement de marchandises. D’autant que les poissons évoqués sont sensiblement les mêmes que dans les eaux européennes, à majorité de types pélagiques, comme du thon, du maquereau et de la sardine.
« Aujourd’hui, tout le monde cherche du poisson et le marché est plus dans une logique de demande que d’offre » (...)
Pour l’instant, le poisson provenant d’Oman n’est pas vendu sur les étals des poissonniers français, mais si les pêcheurs de Lorient s’en inquiètent, les élus écologistes du Morbihan aussi. « Selon nos calculs, le bilan carbone de ces marchandises serait dix fois supérieur à celui d’un poisson classique », affirme Damien Girard, qui est notamment élu Les Écologistes (anciennement Europe Écologie-Les Verts) de Lorient et de Lorient Agglomération. Vent debout contre le projet, il réclame avec son équipe le désengagement de Lorient Agglomération et du port de Lorient du projet.
Au-delà de la question du transport de marchandises, la structure portuaire envisagée à Oman est tellement hors norme que les conséquences de son activité sur la vie sous-marine dans les eaux omanaises se posent également. (...)
Conditions sur le chantier
L’énorme chantier de Ker’Oman devrait démarrer en novembre et avec lui le travail d’ouvriers, originaires pour une partie d’entre eux d’Inde ou du Bangladesh, selon Maurice Benoish. « Nous avons vérifié que les conditions sociales y étaient bonnes, c’était un des points importants lors de l’attribution des aides publiques », assure le directeur de Ker’Oman.
Rappelons tout de même que le Sultanat d’Oman est pointé du doigt pour les conditions de travail d’une partie de sa population, étrangère principalement, notamment par Amnesty International dans un rapport accablant de 2022. (...)
Face aux précautions affichées, les pêcheurs de Lorient se sentent les grands oubliés du projet Ker’Oman. La pilule ne passe pas au sein d’une profession déjà en crise, car la société de gestion du Port de Lorient investisseuse à Oman est dirigée par Olivier Le Nezet. Ce dernier est aussi président du Comité national des pêches maritimes, président du Comité régional des pêches de Bretagne ou encore président du Comité départemental des pêches maritimes du Morbihan… En clair, c’est le patron des pêcheurs en France. (...)
Un mégaport et des sociétés privées (...)