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Mediapart
« Au Rassemblement national, l’homophobie n’a pas disparu mais elle est tue »
#homophobie #RN #extremedroite
Article mis en ligne le 16 janvier 2024
dernière modification le 14 janvier 2024

Le RN apparaît comme un parti de plus en plus gay-friendly et attire un électorat LGBT malgré son homophobie historique et ses alliés ouvertement homophobes. Une stratégie nécessaire pour qui veut accéder au pouvoir, selon le docteur en histoire Mickaël Studnick

Des élus du parti à des postes clés ne taisent plus leur homosexualité, et un député RN va prochainement faire son coming out dans un livre à paraître le 17 janvier. À la différence de son père, Marine Le Pen ne tient plus de discours ouvertement homophobe, et les cadres du parti ont même banni l’expression « lobby LGBT », qu’ils reconnaissent désormais comme étant homophobe.

Est-ce à dire que le RN ne l’est plus ? Cela explique-t-il pourquoi l’électorat LGBT de ce parti d’extrême droite ne cesse d’augmenter ?

Mickaël Studnicki, docteur en histoire, est l’auteur d’une thèse sur les droites nationalistes, le genre et les homosexualités de 1870 à nos jours, qui sera publiée en 2024 aux Presses de la Sorbonne, et travaille actuellement à une Histoire de l’homophobie en France.

Pour Mediapart, il revient sur ce supposé paradoxe qui veut que des LGBT soient attirés par des partis nationalistes. Il montre comment Marine Le Pen a rompu avec l’homophobie de son père pour mieux stigmatiser l’islam et l’immigration. Une homophobie qui n’est plus affichée publiquement mais que l’on retrouve ailleurs : chez les alliés européens du RN, dans les votes du parti au Parlement européen et dans son programme. (...)

Mickaël Studnicki : Les études d’opinion (Cevipof 2012 et 2015) et les sondages (Têtu, mars 2022) réalisés à l’occasion des trois dernières élections présidentielles montrent en effet une progression du vote FN/RN au sein de l’électorat LGBT. À mon sens, celle-ci concerne davantage les gays que les LGBT, même si des lesbiennes, plus politisées à gauche, partagent également les idées de Marine Le Pen. (...)

« Si, dans les mouvements nationalistes, vous êtes un homosexuel viril, et que vous êtes discret et non revendicatif, vous pouvez être toléré. »
Mickaël Studnicki, docteur en histoire (...)

En parallèle de cette homophobie historique, les partis d’extrême droite possèdent deux caractéristiques susceptibles d’attirer les gays. D’une part, historiquement, ils fonctionnent comme des structures homosociales masculines, avec une sous-représentation des femmes. D’autre part, ils véhiculent un imaginaire homoérotique diffus, auquel les gays sont sensibles (...)

À partir du moment où vous valorisez une esthétique du corps masculin et de la virilité, il n’est pas incohérent d’amener vers vous des homosexuels.

Par ailleurs, quand on étudie de près le positionnement de l’extrême droite sur les homosexualités, on se rend compte qu’il s’agit d’abord d’un discours de réaction face à des faits divers ou contre des évolutions législatives amenant à une extension des droits pour les gays et les lesbiennes – dépénalisation de 1982, lois sur le Pacs et le mariage pour tous. C’est en outre un certain type d’homosexualité qui s’avère problématique, celui qui conduit à une « inversion des genres » : l’homosexuel efféminé et la lesbienne virile (...)

« Sont attirés au Rassemblement national des gens qui adhèrent à un certain type d’homosexualité. Une homosexualité de droite plus individualiste, discrète, voire secrète par tradition politique.Sont attirés au Rassemblement national des gens qui adhèrent à un certain type d’homosexualité. Une homosexualité de droite plus individualiste, discrète, voire secrète par tradition politique. » (...)

On peut dire que Marine Le Pen a rompu avec la tradition du courant nationaliste et son homophobie historique. Ce créneau est politiquement occupé depuis plus d’une décennie par des essayistes nationalistes tels qu’Éric Zemmour, fondateur de Reconquête, et Alain Soral, avec son site Égalité et réconciliation, ou par des mouvements nationalistes plus radicaux qui vitupèrent contre les évolutions sociétales et le supposé « lobby LGBT ». (...)

Du fait de la position historique du courant nationaliste, c’est un sujet avec lequel le RN a encore du mal. Dans le cadre de ma thèse, j’ai par exemple essayé d’interroger des élus qui, en coulisses, ne cachent pas leur homosexualité mais qui ont refusé de s’exprimer sur la question. Soit parce qu’ils considéraient que ce sujet relevait de leur vie privée, soit parce qu’ils craignaient d’être attaqués par des personnes de leur famille politique – sans que ceux-ci appartiennent forcément au FN/RN. En voyant les réactions suscitées par les outings de Steeve Briois et Florian Philippot, j’ai compris leur position. Aujourd’hui, l’homosexualité est aussi encore associée au progressisme et aux mouvements de gauche, ce qui complique le fait de s’afficher homosexuel et de droite nationaliste. Il reste encore la vieille garde dont le logiciel reste homophobe, ainsi que le poids des réseaux sociaux. (...)

Mais il n’y a effectivement aucune prise de position favorable aux LGBT, et il y a même parfois des attaques de certains militants avec le concept fourre-tout de « wokisme ». Du fait des liens séculaires entre les courants nationalistes français et italien, la grille de lecture du RN est proche de celle de l’extrême droite italienne, qui est parvenue à accéder au pouvoir en 2022 dans le cadre d’une coalition des droites. On croit que son modèle est Viktor Orbán, mais je pense qu’il s’agit plus d’imiter la stratégie de Giorgia Meloni. Il va falloir voir l’évolution du RN entre 2024 et 2027 sur le sujet pour en tirer des conclusions. (...)

Sans faire de politique-fiction, il est difficile de savoir quelles mesures seraient prises concernant les droits des LGBT si le RN arrivait au pouvoir. On peut juste observer différentes situations à l’échelle européenne. Au nom d’une politique nataliste et de la défense de la famille dite traditionnelle, l’extrême droite italienne s’est en effet engagée dans un processus de recul des droits LGBT en attaquant les familles homoparentales ayant eu recours à la PMA. Lors de sa campagne législative, Meloni n’avait pas caché ses positions homophobes et elle avait précisé qu’elle souhaitait lutter contre les « lobbys LGBT ». À l’inverse, l’extrême droite néerlandaise, emmenée par Geert Wilders, a adopté depuis plus de dix ans une position tout autre en reprenant à son compte la cause de la défense des droits LGBT dans le cadre d’une stratégie de lutte contre l’islam, accusé de représenter un risque pour la liberté sexuelle des gays et des lesbiennes.

Le RN tient compte de la question sociale jusqu’à une certaine limite. Ses dirigeants ont en tête qu’aucun parti, aujourd’hui, ne peut espérer accéder au pouvoir en étant ouvertement homophobe. Sur cette question, Éric Zemmour sert le RN en les faisant apparaître comme plus modérés, alors que le logiciel est commun sur certains points. (...)