e« Le dernier message de mon frère disait : “Il n’y a plus aucune chance d’en sortir vivant” », confie lentement Marwan Duda. Porte-parole des déplacés du camp de Zamzam, Mohamed Duda était devenu la voix des sans-voix. Cet infatigable optimiste tentait d’alerter sur le sort des habitant·es d’El-Facher, assiégé·es par les Forces de soutien rapides (FSR) depuis plus de dix-huit mois. « Il avait eu à plusieurs reprises l’occasion de partir, mais il a fait le choix de rester », ajoute son frère.
Lundi, Mohamed Duda a été exécuté chez lui peu après la prise de contrôle de la capitale provinciale du Nord-Darfour par les hommes du général Mohamed Hamdan Daglo, dit Hemetti, en guerre depuis le 15 avril 2023 contre les Forces armées soudanaises (FAS) du général Abdelfattah al-Burhan.
Dans une ville désertée la veille par l’armée et les groupes armés alliés, les milices affiliées à Hemetti ont multiplié les atrocités contre les civils. Un massacre visible jusque sur les images satellite collectées par le Humanitarian Research Lab de l’université de Yale, montrant des taches rougeâtres colorant le sol sablonneux et des formes claires correspondant à « des piles de cadavres exécutés en masse ».
Selon ces chercheurs, les FSR se livrent à des opérations de ratissage maison après maison. Mercredi, plus de 460 personnes qui se trouvaient dans la maternité de l’hôpital saoudien de la ville ont été tuées par les milices. Une conséquence directe de la rhétorique à l’œuvre dans les rangs des FSR, ces derniers mois, qui avaient prévenu que tous ceux et celles qui n’auraient pas quitté la ville durant l’été seraient considéré·es comme des combattant·es.
Des milliers de victimes, un bilan incertain (...)
La veille de l’assaut final, Abdel-Rahim Daglo, frère d’Hemetti et commandant des opérations terrestres, avait demandé à ses troupes d’épargner les civil·es et leurs biens. Sans succès. (...)
Dans la totalité des vidéos, il s’agit de civils non armés exécutés à bout portant. Certains sont forcés de dire face caméra qu’ils ne sont pas des civils avant d’être tués. Ces exécutions sommaires – potentiels crimes de guerre – sont largement assumées par leurs auteurs. Lors d’un live sur la plateforme TikTok, « Abu Lulu », un commandant FSR qui apparaît sur de nombreuses vidéos de violences, se targue d’avoir « tué plus de deux mille personnes », avant d’arrêter de compter. En face, un propagandiste des FSR exhorte le groupe à continuer de tuer, mais en arrêtant de filmer.
Face au tollé international suscité par les massacres en cours à El-Facher, Mohamed Hamdan Daglo a annoncé dans une allocution diffusée mercredi 29 octobre l’arrivée à El-Facher d’une commission d’enquête sur les violations commises ces derniers jours. Une décision qui s’apparente à un écran de fumée selon plusieurs observateurs soudanais.
Des routes de la mort vers Tawila
Sur la route, les miliciens s’en sont pris également aux habitant·es qui tentaient de fuir à pied dans la campagne ou en direction des villes alentour. À Tawila, située à une quarantaine de kilomètres d’El-Facher et où sont déjà réfugié·es plus d’un demi-million de déplacé·es, les familles arrivent au compte-goutte. (...)
« C’est un échec total de la communauté internationale, nous savions ce qui allait se passer et nous aurions pu l’éviter », déplore Mutasim A. Ali, conseiller juridique au Raoul Wallenberg Center for Human Rights.
« Ce qui se passe est une réplique des massacres d’El-Geneina », poursuit ce juriste. Deux mois après le début du conflit, entre 10 000 et 15 000 Masalits ont été tué·es lors de la prise de la ville, selon une enquête onusienne. Une campagne qualifiée de nettoyage ethnique par plusieurs pays occidentaux.
Dès le printemps 2024, une résolution adoptée par le Conseil de sécurité de l’ONU exigeait des FSR la levée du siège, la protection des civil·es, et l’accès de l’aide humanitaire. Une décision restée lettre morte. Ces derniers mois, le groupe paramilitaire a même renforcé le blocus sur la ville, l’encerclant d’un mur de sable de plus de 50 kilomètres.
Chaque sortie de la ville ou tentative de ravitaillement s’accompagnait d’un risque pour près de 260 000 habitant·es affamé·es, contraint·es de se nourrir de fourrage pour le bétail. « À quoi bon les bandages sur un corps endommagé par la soif et la faim ? », écrivait sur son compte Facebook, Mohamed Duda, le 14 octobre.
Une nouvelle étape dans la guerre
Pour l’état-major des Forces de soutien rapides, la capture d’El-Facher marque leur première victoire stratégique depuis leur expulsion de la capitale Khartoum au printemps 2025.
En s’emparant du fief historique du sultanat du Darfour, le groupe paramilitaire contrôle désormais les cinq chefs-lieux d’une région aussi vaste que la France. Une domination territoriale jugée essentielle pour asseoir la légitimité du « Gouvernement de Paix et d’Unité » formé en avril par Hemetti. (...)
« En s’emparant d’El-Facher, Hemetti s’est ouvert un corridor stratégique vers la ville d’Ad-Dabba dans le Nord. De là, ils ont le chemin tout tracé jusqu’aux côtes de la mer Rouge, leur objectif militaire ultime. Cela a toujours été le cas depuis le début de la guerre », poursuit Kholood Khair.
Un des buts communs avec les Émirats arabes unis, principal sponsor des FSR. Abu Dhabi lorgne sur l’exploitation des ressources aurifères et des vastes régions agricoles le long du Nil, projets sous pavillon émirati avant la guerre. La pétromonarchie est accusée de fournir un appui militaire et logistique déterminant dans la poursuite de la guerre. « Si demain leur aide cesse, la guerre s’arrête », confiait une source diplomatique européenne à Mediapart. (...)
Rien que ce mois-ci, plus de cinquante avions-cargos ont atterri à Kufra et dans l’Est libyen. Tous provenaient des Émirats arabes unis ou de leur base de Bosaso en Somalie.