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Mediapart
Au théâtre en Paca, on censure bien la parole sur Gaza
#Israel #Gaza #Cisjordanie #genocide #famine #tortures #cessezleFeu #solidarites #repression #PACA
Article mis en ligne le 1er décembre 2025

Dans plusieurs théâtres du sud de la France, la metteuse en scène Tamara Al Saadi s’est vue empêchée de lire un texte sur Gaza à l’issue des représentations de son dernier spectacle intitulé, de façon prémonitoire, « Taire ».

Tamara Al Saadi, metteuse en scène dont plusieurs pièces ont été présentées au Festival d’Avignon, a accepté de briser l’omerta. Et de raconter la façon dont les théâtres d’Aix-en-Provence, de Toulon et de Nice l’ont dissuadée de faire lire, à la fin de la représentation de son dernier spectacle, intitulé de façon prémonitoire Taire, un texte informatif sur Gaza (à lire en intégralité en annexes).

« Si aujourd’hui je décide de mettre en péril ma carrière, c’est parce que je refuse de participer à ce mécanisme d’invisibilisation du génocide des Palestinien·nes. Si je me tais, cela revient à me dédire vis-à-vis de ce que je porte dans chacun de mes spectacles. De toute manière, je n’aurais plus pu écrire », explique-t-elle.

La pression exercée sur Tamara Al Saadi pour lui faire retirer cette prise de parole s’est faite en coulisses mais avec des menaces claires de freiner ou d’empêcher la diffusion du spectacle. Il aurait été dommage de faire taire un spectacle s’appelant Taire, lui a notamment signifié Dominique Bluzet, personnage peu connu du grand public mais une des personnalités les plus influentes du théâtre en Provence-Alpes-Côte d’Azur.

Il y dirige en effet le théâtre du Jeu de Paume et le Grand Théâtre à Aix-en-Provence, celui du Gymnase et des Bernardines à Marseille, ainsi que le théâtre d’Arles (Bouches-du-Rhône). Et préside aussi ExtraPôle, un des dispositifs de soutien les plus importants au spectacle vivant dans la région.

Un communiqué sur la situation à Gaza

Comment en est-on arrivés à ce qu’un texte, prononcé après les saluts et proposant aux spectateurs et spectatrices de s’informer sur la situation à Gaza, ait été censuré à Aix, Toulon et Nice ?

L’histoire, qui en dit beaucoup sur les inquiétudes, lâchetés ou compromissions d’une partie du monde culturel face aux scores du Rassemblement national (RN) et au positionnement pro-israélien de la majeure partie de la droite française, commence début 2023. (...)

face à l’anéantissement de Gaza, est décidé de faire lire, après chaque représentation des spectacles de la compagnie La Base – y compris des spectacles plus anciens mais continuant leur tournée tel Istiqlal – un communiqué, évolutif, sur la situation à Gaza et le nombre de tué·es, en proposant aux spectateurs et spectatrices une liste de références pour s’informer sur le sujet.

« C’était un texte lu après les applaudissements. Les gens qui le souhaitaient pouvaient partir avant ou pendant la lecture assurée par la cofondatrice de la compagnie, Mayya Sanbar », précise Tamara Al Saadi.

Le mot est ainsi prononcé, pendant des mois, dans de nombreux théâtres de France sans poser le moindre problème, y compris lors des premières représentations de Taire dans le cadre du dispositif ExtraPôle au théâtre de La Criée à Marseille à la fin du mois de janvier et au début du mois de février 2025.

Une tradition du théâtre français

Les choses se gâtent trois semaines plus tard, lorsqu’au matin du 28 février, quelques jours seulement avant la poursuite de la tournée de Taire en Paca, Tamara Al Saadi reçoit un appel imprévu de Robin Renucci, directeur du théâtre de La Criée, lui expliquant qu’elle est sur haut-parleur et qu’il se trouve à une réunion d’ExtraPôle dans laquelle a été évoqué un « souci » avec le texte lu après la représentation.

« Je ne savais même pas qui était autour de la table à l’autre bout du fil, raconte aujourd’hui la metteuse en scène. Quelqu’un que je n’ai pas pu identifier m’a précisé qu’il serait dommage que la diffusion de mon spectacle soit limitée, voire qu’il soit déprogrammé. J’ai entendu Ella Perrier [directrice adjointe du Centre dramatique national (CDN) de Nice – ndlr] dire : “Si vous n’êtes pas contente, allez-vous plaindre à Libération” ; Dominique Bluzet affirmer que “LFI parlait déjà bien assez de tout ça”, puis une voix dire que Charles Berling avait quitté la réunion », se souvient la metteuse en scène.

« J’ai bien senti qu’il y avait des contradictions entre les différents membres d’ExtraPôle, poursuit-elle. Mais lorsque je demande qu’on me dise clairement ce qu’ils attendent de moi, ils me répondent qu’ils ne veulent pas que ce message soit porté à l’oral sur leur plateau et qu’il n’est pas d’usage de s’exprimer sur des sujets politiques après les saluts. Alors que c’est une tradition répandue du théâtre français, qui s’est vue par exemple sur l’Ukraine et plein d’autres sujets, y compris la Palestine. » (...)

Dominique Bluzet, pour expliquer que le texte incriminé ait pu être lu dans certaines villes et pas dans d’autres, insiste sur le fait que les situations dans les théâtres de Nice et de Toulon seraient « spécifiques ».

Il dit comprendre que les responsables des lieux aient « eu peur », parce que Toulon est une ville « très très Rassemblement national » et que Nice est une ville « avec une communauté juive extrêmement forte ». (...)

Quand elle a fait part de son désarroi face à la tenue d’une réunion ExtraPôle la concernant sans qu’il lui ait été proposé de participer, et d’un coup de fil à la fois impromptu et décisif pour l’avenir de son spectacle alors qu’elle était en train de se laver les dents, Dominique Bluzet a répondu par cette pirouette : « Permettez-moi de vous le dire : vous avez les dents très blanches, donc ça valait la peine… »