
François Criscuolo est chercheur en biologie évolutive du CNRS, au sein de l’Institut pluridisciplinaire Hubert Curien à Strasbourg. Constatant l’effondrement de la biodiversité, il plaide pour un sursaut citoyen, face aux logiques industrielles.
Le climat évolue sous l’emprise de l’activité humaine. Les années 2015‑2024 figurent parmi les plus chaudes depuis 1850, et la disparition de 150 000 à 260 000 espèces depuis 1500 de notre ère illustre la rapidité des bouleversements comparée aux extinctions passées. Il nous faut donc revoir notre mode de pensée individuelle, afin de décortiquer les propositions politiques qui nous sont faites, à l’aune des réalités et non des idéologies.
L’urgence et la nécessité de cette réflexion heurtent nos habitudes et génèrent stress et angoisse1. Face à un sentiment d’impuissance, nombreux sont ceux qui jugent leurs actions insignifiantes, ou estiment que seules les autorités sont compétentes pour agir. Hélas, États et citoyens naviguent souvent entre déni et critiques des institutions (ou des ONG), limitant leurs réponses à des politiques « a minima ». Cette absence de réponse à la hauteur des enjeux aura un coût estimé sur les 25 prochaines années à une réduction de 19% des recettes économiques mondiales, soit bien plus que le coût lié aux efforts à fournir pour diminuer le réchauffement climatique2.
Malgré cela, les mesures adaptatives environnementales sont progressivement sapées, y compris par une partie de nos élus qui devraient pourtant, puisqu’ils sont les porteurs du projet commun de notre société, les défendre le plus ardemment. Il nous faut donc aller au-delà des discours aux objectifs électoralistes à court-terme et populistes qui veulent apaiser notre peur immédiate de l’inconnu ou de l’imprévisible, mais nous font courir un risque majeur. (...)
traiter la question de l’environnement comme une question centrale des années 2025-2035 est d’abord une question politique et citoyenne.
Le plus important reste que nous soyons conscients du rôle que nous jouons en tant que citoyens. Devant l’urgence de la situation actuelle, les questions environnementales ne peuvent être considérées à la légère, et nos votes, souvent motivés par des considérations de « dégagisme », ne doivent pas nous éloigner du but commun à atteindre sur les 10-20 ans à venir. Pour cela, nous devons nous méfier des discours simplistes, car l’environnement est un système qui tire de son histoire biologique millénaire un enchevêtrement de facteurs qui lui permettent de s’autoréguler.
La gestion court-termiste remplace l’autorégulation millénaire
Au fur et à mesure que l’Humain extrait des ressources de ces environnements, les capacités d’autorégulation sont affectées, et doivent souvent être remplacées par des mesures de gestion, qui prennent en compte un nombre réduit de facteurs. (...)
Il n’existe pas de solution unique aux problèmes environnementaux actuels.
Seules des approches qui mettent en jeu des avis de spécialistes de différents secteurs d’activités, scientifiques mais aussi des acteurs locaux, industriels, administrations, économistes, citoyens, et la mise en place de processus de collaboration seront de mise.
Ces approches intégrées couplées à des mesures déployées sur un temps long, avec des évaluations régulières de l’efficacité des mesures appliquées, et donc des plans jalonnés de repères, permettront de rejeter les solutions erronées, et de répondre au piège de l’inaction.
Si l’Etat trace le chemin, cette démarche pourra prendre ces racines à l’échelle locale où les volontés d’agir se concentrent aujourd’hui.
La valeur économique de la biodiversité
La biodiversité ne rapporte rien4. Cette idée reçue est à corriger avec ardeur, car la valeur économique de la biodiversité est à mettre au centre des discussions entre partisans ou opposants aux réévaluations des décisions politiques pro-environnement qui planent actuellement au-dessus de nos têtes. Les concepts comme l’action des pollinisateurs, par exemple, sont à prendre en compte. Il ne s’agit pas seulement d’une question de volume de fleurs (ex : colza) ou de fruits (comme le cas du cassis) produits grâce à ces pollinisateurs, mais aussi de qualité nutritionnelle5 des aliments qui est améliorée par la présence de ces précieuses espèces de pollinisateurs. Ainsi, plusieurs résultats expérimentaux ont illustré comment les rendements et les revenus agricoles peuvent être significativement augmentés par le retour d’une biodiversité associée aux cultures (de 30 à 100 %).
Au-delà de ces considérations, cette richesse en espèces a bien d’autres effets qui rendent nos écosystèmes résilients face de nombreux impacts des changements globaux qui nous attendent, tels que la sécheresse, la pullulation d’espèces destructrices ou invasives, la détérioration de la qualité de l’eau, la captation de CO2 ou de méthane, la limitation des risques d’émergence de nouvelles épizooties…
Au final, défendre la biodiversité, c’est assurer la stabilité des écosystèmes avec des effets directs et mesurables sur les sociétés humaines, de l’économie à la santé. Détruire la biodiversité actuelle, c’est entamer la qualité de vie des générations futures, à l’horizon 2050-2100, soit celle de nos petits-enfants, sans avoir l’assurance de pouvoir les rétablir. (...)
rétablir à l’identique un écosystème détruit est une illusion scientifique, car il est le résultat de millions d’années d’évolution ayant mené à l’intrication d’éléments constitutifs dont la communauté scientifique est loin de connaître l’ensemble des mécanismes d’autorégulation. Encore moins sur des écosystèmes peu ou pas explorés (n’oublions pas qu’une grande partie de la biodiversité est encore inconnue, sans doute 80 % !). Mieux vaut donc préserver ce que l’on a.
La valeur pour la santé humaine (...)
L’environnement regroupe les facteurs abiotiques (climat, sol, air) et biotiques (les autres espèces, donc la biodiversité) qui forment un écosystème. Ces éléments interagissent suivant des schémas complexes nés de millions d’années d’évolution. La première constatation pour tout un chacun est qu’il n’existe pas de « potion magique » pour réparer un système aussi intriqué, d’autant plus si on inclue notre société humaine dans l’équation de ce qui devient alors un socio-écosystème3 : les solutions simplistes qui se résument souvent à remettre en avant des gestions non-adaptées aux enjeux nouveaux environnementaux (récemment exemplifié par la loi Duplomb) sont vouées à l’échec car elles ne font que prolonger un lien à l’environnement qui se dégrade progressivement depuis l’après-guerre. (...)
La biodiversité est une alliée de la productivité
La biodiversité des haies, des sols13 préservés des intrants et pesticides, s’avère être une alliée efficace pour assurer la productivité, et ce à moindre coût. Cette biodiversité sera également un atout maître pour faire face aux défis climatiques comme la sécheresse ou les épisodes d’inondations, en dressant des couverts végétaux, en retenant l’eau souterraine ou en absorbant des surplus dans des zones humides. Adapter les paysages agricoles est une des clefs du changement nécessaire.
Cette transformation ne peut être la résultante que du changement des pratiques actuelles, dont l’effort économique ne peut pas peser que sur la profession agricole. (...)
Les mesures globales gouvernementales se limitent à des ajustements économiques d’urgence. Cependant, replacer cet effort commun dans un projet consensuel d’une société mieux adaptée aux défis environnementaux qui se dressent devant nous est un message d’espoir, bien plus mobilisateur de nos efforts individuels.