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Mediapart
Brigitte Macron et les « sales connes » : l’antiféminisme à l’Élysée
#BrigitteMacron #feministes #Elysee #violencessexuelles
Article mis en ligne le 11 décembre 2025
dernière modification le 10 décembre 2025

Une vidéo montre l’épouse du président de la République qualifier les militantes féministes qui ont interrompu le spectacle du comédien Ary Abittan de « sales connes ». Devant la polémique, l’Élysée a fini par assumer. Le mépris pour la lutte contre les violences sexuelles est total.

(...) Une vidéo, tournée dimanche 7 décembre dans les coulisses du théâtre des Folies Bergère, à Paris, montre Brigitte Macron apporter un soutien clair au comédien Ary Abittan, ciblé samedi par des militantes féministes. L’épouse du chef de l’État, venue voir la représentation parisienne avec sa fille Tiphaine Auzière, veut le rassurer avant son entrée sur scène.

« Ça va, t’es comment ? », demande Brigitte Macron à l’humoriste. « J’ai peur », lui répond-il. « S’il y a des sales connes, on va les foutre dehors », poursuit la première dame, en ajoutant : « Surtout des bandits masqués. »

La veille, quatre militantes du collectif #NousToutes, portant des masques à l’effigie de l’artiste, avec la mention « violeur », avaient perturbé le spectacle, scandant « Abittan violeur ! » Le slogan faisait référence à la procédure qui a visé l’acteur en 2021, accusé de viol par une femme de 21 ans.

La jeune femme l’accuse notamment de lui avoir imposé une sodomie lors d’une soirée chez lui à Paris, alors que les deux se fréquentaient depuis plusieurs semaines. Plusieurs hématomes et plaies avaient été constatées dès le lendemain par les unités médico-judiciaires (UMJ), selon nos informations.

D’abord mis en examen pour viol, Ary Abittan – qui conteste les accusations – avait finalement été placé sous le statut intermédiaire de témoin assisté en 2023. L’instruction avait abouti à un non-lieu en 2024, confirmé en appel en janvier 2025. De retour sur scène depuis le printemps, l’acteur voit ses spectacles perturbés par des rassemblements féministes. (...)

Officiellement, l’Élysée et Brigitte Macron assument totalement les propos tenus. Interrogé par l’AFP, l’entourage de l’épouse d’Emmanuel Macron a justifié « une critique de la méthode radicale employée par ceux qui ont perturbé, masqués, le spectacle d’Ary Abittan samedi soir pour empêcher que l’artiste se produise sur scène ». « Brigitte Macron n’approuve pas cette méthode radicale », a souligné son entourage.

Pourtant, la vidéo a rapidement été supprimée sur le site de Public. Autocensure du magazine people ou censure à la demande de l’Élysée ou du cabinet de Brigitte Macron ? (...)

Selon nos informations, c’est l’agence Bestimage de Mimi Marchand, une amie de Brigitte Macron, qui est à l’origine de la diffusion des images. La « reine de la presse people », qui a ces dernières années à la fois œuvré pour la communication du couple présidentiel et assuré celle d’Ary Abittan, a obtenu l’exclusivité des coulisses du spectacle de l’humoriste.

Mais la vidéo de l’épouse d’Emmanuel Macron a fuité par erreur (...)

Contactée par Mediapart, la patronne de Bestimage a simplement répondu qu’elle n’était « pas au courant » car elle « ne travaill[ait] pas jusqu’à la fin de semaine ».
La grande cause du quinquennat piétinée

Au-delà de ce couac rocambolesque, cette séquence raconte combien l’Élysée ne cesse de piétiner le combat contre les inégalités femmes-hommes et les violences sexuelles, pourtant érigé en grande cause des deux quinquennats macronistes.

Pour le collectif #NousToutes, les propos de l’épouse du chef de l’État sont « un crachat de plus sur les victimes et les associations féministes ». « Les mots utilisés en disent long sur sa vision des choses, le message politique est extrêmement choquant », a réagi auprès de l’AFP une militante de #NousToutes Paris Nord ayant participé à l’action.

Depuis le mouvement #MeToo, Emmanuel Macron lui-même use de la même sémantique pour dénoncer les dérives de la libération de la parole : la « société de la délation » (2017) ; la « République du soupçon » (2018) ; la « société de l’inquisition » (2021).

Face à la mise en cause de trois de ses ministres dans des affaires de viol (Nicolas Hulot, Gérald Darmanin, Damien Abad – les deux premiers dossiers ont été classés), le président de la République a toujours adopté la même ligne : maintenir les ministres en place (Gérald Darmanin avait même été promu ministre de l’intérieur deux ans après), renvoyer les interpellations des mouvements féministes à des paroles minoritaires d’un supposé « tribunal médiatique » ou d’un « jugement de rue », et fixer pour seule boussole la justice pénale.

Mais tout en renvoyant vers la justice, le chef de l’État n’a, à chaque fois, pas pu s’empêcher de soutenir publiquement ses ministres. (...)

La réalité du traitement judiciaire des violences sexuelles balayée

Les propos de Brigitte Macron s’inscrivent dans cette lignée. Leur vulgarité ajoute à la violence de la scène, signe d’un palais présidentiel en roue libre, marqué par un mépris pour le mouvement féministe, sa radicalité et sa jeunesse. Ils disent aussi aussi l’entre-soi dans lequel évolue le couple élyséen de longue date.

Cette déconnexion s’est manifestée à plusieurs occasions dans la bouche d’Emmanuel Macron, ministre de l’économie puis président de la République : les employées de l’abattoir Gad sont « pour beaucoup illettrées » (2014) ; « La meilleure façon de se payer un costume, c’est de travailler » (2016) ; « Une gare, c’est un lieu où l’on croise les gens qui réussissent et les gens qui ne sont rien » (2017) ; « Je ne céderai rien, ni aux fainéants, ni aux cyniques, ni aux extrêmes » (2017) ; « Je traverse la rue, je vous en trouve [du travail] », adressé à un chômeur (2018) ; « Jojo avec un gilet jaune » (2019).

En apportant un soutien sans nuance à Ary Abittan, Brigitte Macron oublie aussi qu’une décision judiciaire n’empêche pas la parole. La vérité judiciaire ne doit pas faire obstacle au droit des citoyen·nes – en l’occurence ici de militantes féministes – d’exprimer leur point de vue sur une affaire d’intérêt public.

C’est ce qu’a exprimé la secrétaire générale de la CFDT, Marylise Léon, questionnée sur France Info mardi 9 décembre : « Il y a une décision de justice. Après, qu’il y ait des manifestantes qui souhaitent exprimer leur désaccord, dont acte. Mais que la femme du président de la République se permette ce type de propos, je trouve que c’est absolument déplacé et grossier », a-t-elle déclaré, rappelant le « rôle vis-à-vis de la nation » que joue Brigitte Macron.

L’épouse du chef de l’État ne prend pas non plus en compte la réalité du traitement judiciaire des dossiers de violences sexuelles. En France, l’écrasante majorité des plaintes sont classées sans suite (...)

Deux tiers de ces classements sont motivés par le fait que l’infraction serait « insuffisamment caractérisée » – c’est-à-dire souvent faute de preuves.

Ce taux élevé n’est pas propre aux violences sexuelles – il s’élève à 85 % pour les autres infractions d’atteinte à la personne. Mais, à la différence des autres atteintes, l’auteur est, lui, identifié dans neuf cas sur dix.