
Après six ans d’attaques contre le droit au chômage, Gabriel Attal a encore annoncé ce mercredi soir de nouvelles mesures d’économie. Taper sur les plus précaires est un moyen commode pour l’exécutif de faire oublier que ses choix ne favorisent pas les salariés ou les classes moyennes.
Des mots choisis et un ton démonstrativement volontariste, pour une dialectique tournant à vide et un argumentaire aux fondations aussi fragiles que du sable. Mercredi 27 mars au « 20 heures » de TF1, le premier ministre a annoncé la mise en chantier d’une troisième réforme de l’assurance-chômage en six ans.
L’objectif est inchangé depuis les débuts du premier mandat présidentiel d’Emmanuel Macron : réduire les droits des 5,4 millions de demandeurs et demandeuses d’emploi, au nom d’un mantra éculé : « Le travail doit toujours mieux payer que l’inactivité », comme aime à le répéter Gabriel Attal.
Refusant de fixer des règles détaillées avant que les syndicats et le patronat n’aient été consultés, le premier ministre a néanmoins donné un cadre très clair, à la sortie d’un séminaire gouvernemental sur le travail qui s’est tenu toute la journée.
Il souhaite réduire « de plusieurs mois » la durée d’indemnisation des demandeurs et demandeuses d’emploi, affichant comme souhaitable un horizon de douze mois maximum, contre dix-huit mois aujourd’hui. Il a aussi appelé à allonger la durée de travail nécessaire avant d’avoir le droit de toucher la moindre allocation-chômage. Cette durée de cotisation obligatoire était déjà passée de quatre à six mois en 2021. (...)
Officiellement, il s’agit aussi de trouver de l’argent, alors que la croissance française vient d’être révisée à la baisse, que les rentrées fiscales sont moins bonnes que prévu et que le gouvernement clame depuis un mois qu’il recherche dix milliards d’économies.
Cette priorité politique, encore une fois longuement détaillée mercredi soir, masque mal une destruction de l’État social, comme Mediapart le décrit régulièrement. (...)
Les déclarations du premier ministre s’inscrivent dans une continuité politique évidente, pour ne pas dire un ressassement obsessionnel. (...)
Les mots du premier ministre sont identiques à ceux du président de la République. (...)
Tout est donc prêt pour continuer de démanteler les droits des chômeurs et des chômeuses, les uns après les autres. Le gouvernement a le champ libre depuis qu’il a supprimé, le 1er octobre 2018, les cotisations chômage payées par les salarié·es : pour quelques euros de salaire net de plus, les travailleurs et travailleuses ont perdu le droit de dire qu’ils et elles payent pour s’assurer le droit à une allocation-chômage décente. (...)
Les réformes engagées avant 2024 ont déjà tapé très dur. (...)
Les premiers bilans sont on ne peut plus clairs : un peu plus de la moitié des inscrit·es à Pôle emploi se voient verser moins d’allocations – elles ont baissé en moyenne de 16 %, et de 20 % à 50 % pour 15 % des demandeurs et demandeuses d’emploi. L’effet est certes radical sur la reprise d’emploi, mais il est éphémère, voire délétère.
Selon la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), l’institut statistique du ministère du travail, la moitié des demandeurs et demandeuses d’emploi retrouvant un travail n’ont droit qu’à un CDD de moins de deux mois ou à une mission d’intérim.
Oublier les faits
En revanche, les effets pour les caisses de l’État sont extrêmement puissants. Les deux premières réformes rapportent déjà plusieurs milliards d’euros par an. Et selon l’Unédic, l’organisme qui gère les caisses de l’assurance-chômage, une fois qu’elles auront atteint leur plein régime en 2027, elles permettront d’économiser 6,7 milliards par an ! Bien utile pour un gouvernement en quête d’économies budgétaires. (...)
Qui, au sein de l’exécutif, a pris la peine de rappeler que seuls 36 % des personnes inscrites à France Travail (qui a remplacé Pôle emploi le 1er janvier) touchent une indemnisation – d’un montant moyen de 1 033 euros ? Et parmi les inscrit·es en catégorie A, qui ne travaillent pas du tout, seuls 46 % touchent une allocation.
Au vu de ces chiffres, comment croire qu’un nouveau tour de vis va changer la donne et précipiter des centaines de milliers de chômeurs et chômeuses vers l’emploi, alors même qu’on comptabilise moins de 350 000 postes vacants, loin d’ailleurs d’être tous à temps complet ?
On ne trouve presque aucun économiste pour accorder du crédit au récit gouvernemental. (...)
Bruno Coquet, spécialiste des politiques de l’emploi qu’on peut difficilement qualifier de gauchiste, martelait encore ce 26 mars sur France Info que « durcir les règles de l’assurance-chômage, ça ne crée pas d’emploi ». Une affirmation reprise sans frémir par certains de ses confrères carrément classés à droite (...)
Le mythe du chômeur « optimisateur », qui jouerait savamment des paramètres de l’assurance-chômage pour jouir au mieux des allocations avant de reprendre le travail quelques mois puis de se replonger avec délice dans le bain du chômage, s’effondre également dans toutes les études scientifiques s’étant penchées sur la question.
Travailler rapporte plus qu’être au chômage, et l’immense majorité des demandeurs et demandeuses d’emploi ne le sont pas par choix. Ces évidences n’empêchent pas le premier ministre de répéter à chaque intervention que le travail doit payer davantage que l’inactivité, comme si ce n’était pas toujours le cas (...)
taper sur les chômeurs et les chômeuses est un moyen commode de faire oublier à celles et ceux qui travaillent que, malgré les promesses et les discours, elles et ils ne seront jamais les bénéficiaires de sa politique. Là où la « valeur travail » est tant valorisée, elle n’est en fait pas rétribuée à sa juste valeur. (...)
Faute d’améliorer le sort des fameuses « classes moyennes », il faut dégrader la situation des privés d’emploi. (...)
Pourquoi se priver ? Taper sur les plus précaires n’a aucun coût politique, voire est une mesure populaire. Comme nous l’avait confié l’ancien dirigeant de la CFDT Laurent Berger, lors d’une conversation où pointait la désillusion, les Français·es ne sont pas seulement indifférent·es au sort des chômeurs et des chômeuses, ils et elles sont même d’accord avec les mesures qui les stigmatisent. (...)
Année après année, le baromètre de l’Unédic le confirme : la moitié des Français·es pensent que les chômeurs et les chômeuses sont responsables de leur propre situation. Un sentiment qui est facile à décrypter : plus on se sent proche du chômage ou de la précarité, plus on a besoin de se dire qu’on est différent de celles et ceux qui les subissent déjà. (...)
En jouant sur ce ressort pour détourner l’attention des effets réels de leur politique, Emmanuel Macron et Gabriel Attal utilisent les armes des populistes qu’ils clament à longueur de temps vouloir combattre. Pourtant, toute la théorie économique le rappelle : attaquer l’assurance-chômage, diminuer le montant ou la durée de l’indemnisation, cela fait du mal non seulement aux demandeurs et demandeuses d’emploi, mais aussi à toutes celles et à tous ceux qui travaillent.
La répression des chômeurs et des chômeuses est en effet l’une des clés principales si l’on souhaite s’assurer que les salaires des employé·es n’augmente pas. Une pression à la baisse sur les rémunérations d’autant plus efficace qu’elle est invisible. Surtout lorsque le chiffon rouge des chômeurs et chômeuses prétendument paresseux est agité, jour après jour.