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Budget Bayrou : faux ennemis, vraie islamophobie
#Bayrou #budget #guerres #islamophobie #israel #iran
Article mis en ligne le 3 août 2025
dernière modification le 31 juillet 2025

« Aucune violence n’est légitime, qu’elle soit verbale ou contre les personnes. Il faut travailler en profondeur pour contrer ce processus de décivilisation ». Le 22 mai 2024, devant ses ministres réunis en Conseil, Emmanuel Macron prononçait cette phrase, comme une directive générale pour encadrer les temps à venir. L’homme annoncera deux semaines plus tard la dissolution de l’Assemblée nationale. Soit une tentative de reprendre le contrôle face à une situation bloquée qui se soldera par un échec cuisant, suivi d’un contournement du résultat des urnes. (...)

Malgré ces péripéties boiteuses, le président de la République aura tout de même réussi un coup : faire définitivement infuser la notion de « décivilisation » jusqu’au cœur de l’État. Sans grande surprise, Bruno Retailleau, maître en la matière, l’utilise comme une virgule pour appuyer sa dénonciation des « barbares » marqués par « une régression vers les origines ethniques ». Jusqu’à en faire le titre, en juin dernier, de la rediffusion d’une de ses interventions télévisuelles : « Il y a un ensauvagement, une décivilisation de notre société. ». L’occasion de se souvenir de la saillie de François Bayrou qui, tout juste premier ministre, appuyait sur la nécessité de lutter contre le « sentiment de submersion migratoire ». Pas le même mot, mais une même idée : prise en étau de part et d’autre, la grande société française serait en train de partir en vrille.

Cette observation, partagée du chef de l’État jusqu’au gouvernement, s’est retrouvée ces derniers jours étendue à l’intégralité du monde. Dans son discours du 13 juillet dernier, Emmanuel Macron déclarait avec gravité : « Jamais, depuis 1945, la liberté n’avait été si menacée ». Voilà que la « décivilisation », cette dynamique de retour vers des passés sombres où la « sauvagerie » faisait apparemment loi, serait un phénomène non plus seulement national mais planétaire. Face à cet effondrement, le chef de l’État a présenté son remède maison : « Pour être libres dans ce monde, il faut être craint et, pour être craint, il faut être puissant ».

En hommage à l’anti-morale de cette fable macronienne, François Bayrou a présenté son plan de « recivilisation », donc, deux jours plus tard : injonction assénée aux malades d’acheter moins de médicaments, gel des dépenses de prestations sociales, suppression de deux jours fériés, fragilisation de la prise en charge des affections longue durée, baisse du nombre de fonctionnaires, et ainsi de suite. Soit un serrage de ceinture maximal, sans toucher aux plus riches, le tout au service d’une augmentation des budgets militaires. (...)

Anatomie d’un braquage

Commencer par le commencement : lorsque le président de la République fustige une menace généralisée de l’ordre du monde, de quoi parle-t-il ? Une première hypothèse pourrait sauter aux yeux de tous : peut-être évoque-t-il les exactions génocidaires sans bornes commises par le gouvernement israélien à l’encontre de la population palestinienne ? L’exercice de la naïveté a parfois des vertus explicatives. (...)

dans la nuit du 12 au 13 juin, Israël a décidé de bombarder l’Iran. Comme toujours, avec l’aval des États-Unis. Des cibles ont été visées au cœur de Téhéran. Des militaires et scientifiques assassinés, des civils émiettés. « Une attaque fulgurante » dit Le Monde. Des images de murs d’immeubles ouverts façon hublot : « L’opération chirurgicale du Mossad », « Le plus remarquable, c’est la coordination de toutes ces actions ». Ainsi d’une nouvelle dimension où le fait d’assassiner un couple dans son sommeil en pulvérisant sa chair serait, tout à coup, devenu source d’ataraxie.

Le ministère des Affaires étrangères français, quelques heures après les bombardements, concluait quant à lui son communiqué intitulé « Frappes israéliennes sur l’Iran » par cette phrase : « La France rappelle également son attachement à la stabilité régionale et à la sécurité d’Israël. ». Le président de la République est allé encore plus loin en se disant prêt à « participer à [la] protection » d’Israël, alors que l’Iran se préparait, évidemment, à riposter aux attaques. La rencontre prévue à l’ONU s’en est retrouvée annulée, officiellement « pour des raisons logistiques et sécuritaires ».

Les dirigeants anglais et allemand se sont précipités eux aussi aux chevilles des dirigeants israéliens pour pouvoir, si le privilège leur était accordé, participer à l’entreprise de dévastation. Les États-Unis sont pour leur part allés au bout de leur démarche mortifère en bombardant eux-mêmes, dans la nuit du 21 au 22 juin, les installations nucléaires iraniennes. (...)

Un mouvement pour lequel Benjamin Netanyahu a été, par effet de conséquence, un des premiers instigateurs. « Je veux rassurer le monde civilisé : nous ne laisserons pas le régime le plus dangereux du monde obtenir l’arme la plus dangereuse du monde » s’était justifié le premier ministre israélien juste après son agression. Bombarder Téhéran, soit une agglomération de 16 millions d’habitants, et tuer plusieurs centaines de personnes, dont beaucoup de civils : voilà le prix d’une séance de sophrologie géante offerte par le gouvernement israélien.

L’Iran voulait-il détruire ce que Netanyahu appelle le « monde civilisé », c’est-à-dire, dans ses yeux racistes, l’espace occidental ? Rien, bien sûr, ne laissait entrevoir un projet comme celui-ci. Le pouvait-il ? Non plus. (...)

Associer le massacre d’innocents à un objectif de libération, soit un geste qui s’apparente aux traditionnelles entreprises coloniales dont l’Europe s’est faite la porteuse des siècles durant. Lorsque Benjamin Netanyahu prétend libérer les Iraniens des Mollahs en massacrant sa population, ou bien prétend libérer les Palestiniens du Hamas en les génocidant, il n’est que le répétiteur de la rhétorique des plus atroces colons : votre supplice, chers sauvages, n’est que le prix à payer pour votre salut.

Depuis le 7 octobre 2023, cette éthique coloniale, comme du retour d’un refoulé, ne cesse de se déchaîner dans l’espace médiatico-politique français sans ne même plus prendre la peine d’un quelconque camouflage. Certains exemples, touchant au summum de l’indigne, ont fini par devenir tristement culte : Céline Pina, journaliste : « Ces enfants (Palestiniens, ndlr) ne mourront pas en ayant l’impression que l’humanité a trahi tout ce qu’ils étaient en droit d’attendre » ; Stéphane Séjourné, ancien ministre des Affaires étrangères : « Accuser Israël de génocide, c’est franchir un seuil moral » ; Géraldine Woessner, rédactrice en cheffe adjointe au journal Le Point : « Il n’y a pas de journalistes palestiniens » ; Bernard-Henri Lévy, tout et surtout rien : « S’il y a un pays qui est l’emblème de l’anticolonialisme, c’est Israël » .

De manière tout à fait évidente, une caractéristique, réelle ou supposée, constitue la colonne vertébrale de cette nouvelle matrice coloniale. Tous ces nouveaux ennemis, de l’Irak à l’Iran en passant par le Sahel et la Palestine, jusqu’aux quartiers populaires de Paris et Mayotte, partagent une seule chose : la religion musulmane. « Terrorisme », « islamisme », « frérisme », tous ces -isme sont devenus au fil des années de véritables saturateurs de l’espace public, toujours prompts à être mobilisables pour entretenir la suspicion (...)

Si les Palestiniens n’avaient pas été en majorité musulmans, ils n’auraient pas été génocidés ; si les Iraniens n’avaient pas été en majorité musulmans, ils n’auraient pas été massacrés. Des constats simples qui permettent de préciser l’observation : ce vaste braquage en bande organisée à coup de renforcement des budgets militaires est consubstantiellement raciste et colonial. Il ne s’est pas décidé après l’invasion de Taïwan par la Chine ou le bombardement de Paris par la Russie. C’est bien l’impérative défense contre la prétendue menace musulmane qui a permis de débloquer toute la machine. Ce racket en bande organisée se retrouve ainsi marqué, avec une certaine logique, du sceau d’un des grands phénomènes de l’époque : la construction méthodique de l’islamophobie comme une des caractéristiques centrales des États occidentaux.

Vive la crise

Qu’importe les motivations vomitives cachées dans les coulisses de l’opération : à suivre Macron et Bayrou, la sentence restera quoi qu’il en soit inéluctable. Pour faire face au chaos auto-organisé par le duo Trump/Netanyahu, le plongeon dans l’économie de guerre est la seule solution. (...)

Cette perspective entre fusils et treillis, bien que profondément mortifère, aura quand même réussi à provoquer l’immédiate satisfaction de quelques trublions. Jusqu’au « soulagement », même, à écouter le patron des patrons, le président du MEDEF, qui n’a pas pu retenir son extase après l’annonce des nouvelles mesures gouvernementales : « Je dis merci Bayrou ! ». Une bien curieuse réaction devant la potentialité d’une guerre généralisée, d’autant plus lorsque l’on se rappelle que, assez traditionnellement, ce genre de moment peuvent parfois être les parenthèses dans lesquelles les élites économiques se retrouvent à se faire plumer jusqu’à la moelle. Mais l’époque a changé, et si le dénommé Monsieur Patrick Martin s’est senti si soulagé, c’est bien parce qu’il n’a pas été question de telles mesures une seule seconde : Bayrou a écarté toute augmentation d’impôts généralisée et n’a aucunement exprimé la volonté de remettre en cause les montants colossaux payés par l’État pour « aider » les entreprises.

Même la « taxe Zucman », cette proposition tout à fait gentillette échafaudée par l’économiste du même nom pour prélever à hauteur de 2% les patrimoines de plus de 100 millions d’euros, c’est-à-dire quelques 1800 personnes, n’a pas daignée être mise sur la table par le premier ministre. (...)

En somme tout un jeu de l’obligé et de l’interdit, à partir duquel, insidieusement, un certain centre de gravité des discussions a fini par réussir à s’imposer dans le débat public : entre les aides sociales aux plus fragiles et la défense de nation, il va falloir choisir. En description d’un des numéros de l’émission d’été « Le débat de midi », sur France Inter, il est par exemple possible de lire : « (…) alors que les finances publiques dérapent, faut-il sabrer les dépenses sociales pour réarmer la France ? Jusqu’où se serrer la ceinture ? ». Une manière de poser la question qui ne s’embarrasse plus de remettre en cause l’axiome de départ, à savoir l’injonction à la militarisation, et une tendance de fond observable par le seul fait que le mot « réarmement » s’est imposé, dans à peu près tous les médias, comme un mot de sens commun. En oubliant de préciser que les forces françaises, déployées sur plusieurs continents et appuyées sur des entreprises militaires richissimes, sont toujours aujourd’hui parmi les plus « armées » du monde. (...)

la dissolution a été un échec, voilà qu’il est maintenant question de guerre mondiale. Qu’importe si cela implique d’instrumentaliser le génocide d’un peuple et le massacre d’un autre. Qu’importe si cela induit un plongeon collectif dans le racisme le plus vénéneux. Qu’importe si cela provoque le sacrifice de générations entières. Pour maintenir le privilège de quelques-uns et le vol des autres, tout est maintenant permis. De fait, s’il faut chercher une « décivilisation » quelque part, elle n’est définitivement que chez ceux qui la professent.