
Le réseau des paysans-boulangers lutte avec succès contre la disparition des boulangeries en milieu rural. Reportage en Gironde, où le fournil de Damien Pallaruelo et Damien Tauzin sert à produire du pain et du lien social.
(...) À 8 h, le paysan boulanger dispose les pains sur la table d’un maraîcher qui les vendra sur le marché de Saint-Macaire, à vingt minutes du fournil.
« Dix pains par-ci, dix pains par-là… Ça nous offre une implantation locale et de la visibilité. Et pour les producteurs locaux, c’est un produit d’appel, résume Damien Tauzin à propos de cette stratégie de commercialisation. Le collectif c’est notre force : à plusieurs on a des points de vente démultipliés. »
En ce mois de janvier, la journée du boulanger a commencé au fournil à 6 h, avec les émanations du levain en travail qui chatouillent les narines. Elle se terminera à 20h30, après les livraisons des différents points de vente. Son activité rayonne sur 25 kilomètres autour du fournil, situé à Barie, une petite commune de 300 habitants au sud de Bordeaux. (...)
Ne pas dépeupler la campagne
Sur ce territoire rural de Gironde, les boulangeries mutent, ou disparaissent dans le pire des cas. L’état des lieux n’est pas réjouissant. « À Saint-Macaire, la boulangerie est un point de vente sans production sur place. Sur la route départementale entre Langon et La Réole, il n’y a plus de boulange non plus. À quinze kilomètres d’ici, à Langon, ce sont des chaînes de boulangerie comme Marie Blachère, Ange, Feuillette… », liste Damien Pallaruelo, affairé à diviser et peser la pâte. (...)
Au niveau national, entre 2019 et 2020 selon l’Observatoire des métiers de l’alimentation en détail, le nombre de boulangeries a augmenté partout sur le territoire, sauf dans les communes rurales et les unités urbaines de moins de 5000 habitants.
En 2019, les deux amis ont l’opportunité de récupérer des terres agricoles. Les voisins, Karen Gossart et Corentin Laval, souhaitent réduire leur activité de producteurs d’osiers et d’artisans vanniers. « Notre arrêt a finalement déclenché d’autres projets. Ça intéresserait les copains, c’est une belle histoire amicale », sourit Corentin, venu papoter au fournil qu’il a aidé à construire lors du confinement, à 100 mètres de son habitation. « Je me suis installé dans ce hameau sans savoir que j’aurai une boulange à côté de chez moi un jour, produit avec du blé qui pousse sur nos terres », souligne-t-il.
« Si on ne s’installait pas, les 20 hectares allaient être dispersés, ajoute Damien Tauzin en plaçant les boules façonnées dans les bannetons en osiers tressés par ses voisins. Il y a une tendance à la concentration des terres, et à la disparition des agriculteurs. » Dès 2019, les deux Damien se forment à la boulangerie paysanne dans des tiers-lieux, à travers des lectures et grâce à leur réseau.
Les diplômes agricoles acquis pendant leurs études leur permettent de monter une exploitation. Damien Tauzin réduit à mi-temps son métier d’enseignant en centre de formation des apprentis, et Damien Pallaruelo lâche les ondes de la radio Entre-deux-Mers, dont il était responsable depuis quinze ans.
Engouement local (...)
« Dans le coin, il ne restait que des agriculteurs qui produisaient sans aucun lieu de rencontre. Pour habiter un territoire et être bien, il faut suffisamment de vie sociale autour. Ou alors, tu la crées », relève Damien Tauzin. C’est ce qu’ils ont fait. Bien avant d’être paysans, en 2013, les deux amis ont participé à l’émergence d’une association culturelle locale. Ils organisent tous les ans des évènements pour se faire rencontrer les gens du village : des fêtes, des concours d’épouvantails, concerts, olympiades. (...)
« Les gens en redemandent »
Quand les beaux jours arrivent, le fournil, bâti sur l’emplacement d’un ancien bâtiment agricole, devient un lieu de vie collective. Plusieurs soirées pizza y sont organisées, accompagnées de concerts. Elles peuvent réunir 80 personnes vivant aux alentours. (...)
« Les fournils servent à autre chose qu’à faire du pain. Ils sont aussi là pour accueillir des gens, réaliser des transmissions de savoirs. On lui donne même une vocation artistique des fois. Mais c’est vrai pour d’autres activités agricoles de transformation », analyse Chloé Barbier, qui a étudié les récits et trajectoires de paysannes et paysans-boulangers pour sa thèse de sociologie. (...)
Pour nos premiers blés, un agriculteur se tenait au bord du champ, les bras croisés. Et là, il me dit : ‘‘Moi, j’aurais pas fait comme ça.’’ » (...)
Chaque mois, une journée de découverte au sein des exploitations est organisée, autour d’une thématique : le blé, le levain, les variétés anciennes, etc. En quelques années, le réseau s’est renforcé, constate le boulanger de 50 ans Damien Tauzin : « Quand on a démarré en Gironde, on était les troisièmes. Aujourd’hui dans notre réseau on doit être sept ou huit. » (...)
Transmettre le fournil
À l’échelle d’autres réseaux locaux, la tendance est à la hausse. Antoine Fort est animateur d’un réseau de vingt paysans boulangers pour le centre d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural (Cival) du Limousin : « On commence à se demander à partir de combien on va saturer le marché, sachant que la concurrence reste forte avec les artisans-boulangers. On a cinq à six projets d’installation par an. »
La perspective d’une activité qui permet un retour à la terre tout en se dégageant un revenu intéresse. (...)