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The Conversation
C’est quoi la pêche durable ? Quand une étude d’ampleur inédite bouscule les idées reçues
#pêche #biodiversite #CO2 #pêchécologie
Article mis en ligne le 18 février 2025
dernière modification le 14 février 2025

Plus le navire est grand, moins il est rentable économiquement et socialement. Et pourtant, ce sont les grands navires qui sont les plus subventionnés. L’impact environnemental de la pêche dépend surtout de l’engin de pêche utilisé. Une étude d’ampleur inédite nous invite ainsi à nous défaire de quelques préjugés tenaces en soulevant quelques impensés. (...)

Dans cette analyse récemment publiée, nous évaluons les empreintes environnementales et les performances socio-économiques des flottilles de pêche françaises opérant dans l’Atlantique Nord-Est. En fonction de la taille des navires et des engins de pêche utilisés, 42 flottilles sont identifiées. Elles agrègent 2 700 navires et débarquent en moyenne 386 000 tonnes de produits de la mer par an, soit près des trois-quarts de l’ensemble des pêches françaises. (...)

Le secteur des pêches a une particularité singulière : il ne produit rien par lui-même. Il récolte et met à disposition des humains ce que la nature a bien voulu produire. Dès lors, le diagnostic de performances de chaque flottille repose sur une double question : quelle richesse économique et quel emploi crée-t-elle pour chacune des tonnes offertes par la nature ? Et à quels coûts pour l’environnement et pour la société ? Les résultats obtenues mettent en cause quelques idées reçues. (...)

L’empreinte environnementale dépend principalement de l’engin de pêche

Parce qu’ils capturent beaucoup, les grands navires ont évidemment des empreintes importantes. Mais ramené à la tonne pêchée, ce n’est plus la taille du navire qui détermine l’impact, c’est l’engin de pêche utilisé. Les « méchants » de l’environnement ne sont donc pas nécessairement les gros, mais plutôt les chalutiers de fond. (...)

Leur engin de pêche, traîné sur les fonds marins, ramasse tout sur son passage, contribuant ainsi à la capture en masse de poissons juvéniles et à la surexploitation de nombreuses espèces.

En outre, le chalut abrase les fonds marins et détruit sur des surfaces considérables des espèces qui sont à la base des chaînes alimentaires ; il contribue ainsi à une réduction de la productivité des océans. Enfin, cet engin de pêche suppose de grosses forces de traction et donc de gros moteurs qui consomment beaucoup de gasoil et émettent beaucoup de CO2. Et pourtant, malgré ce cumul d’empreintes environnementales, le chalut de fond capte près de 60 % des subventions publiques (pour 36 % des tonnages débarqués). (...)

Globalement, les petits chalutiers de fond font pire que les grands (...)

Les « gros » rapportent peu à la société

Les flottilles industrielles ont des performances faibles lorsque l’on scrute leur impact social et économique. Ceux qui sont les moins rentables et qui créent le moins de richesse et d’emplois par tonne pêchée sont les grands chalutiers industriels, qu’ils utilisent un chalut de fond ou un chalut de pleine eau. (...)

Les chalutiers industriels pélagiques, qui ciblent les espèces présentes dans la masse d’eau, ont quant à eux un meilleur bilan environnemental que les chaluts de fond, mais des performances socio-économiques encore pires (...)

D’une manière générale, la rentabilité économique et sociale des bateaux diminue avec leur taille. Cette loi s’observe au sein de chacune des catégories de flottilles : chalutiers pélagiques, chalutiers de fond, fileyeurs, ligneurs et dragueurs. La vieille croyance que des bateaux plus gros permettent des gains de rentabilité est ainsi battue en brèche. En particulier, les grands chalutiers de fond, hauturiers ou industriels, ne sont rentables que de manière artificielle, grâce aux subventions reçues.

À l’inverse, pour un même engin de pêche, c’est bien la petite pêche côtière qui valorise au mieux les tonnes offertes par la nature, en créant le plus d’emplois et de richesse économique, tout en générant un excédent brut d’exploitation peu dépendant des subventions publiques.
Il n’y a pas d’engin de pêche parfait (...)

Il existe des solutions techniques pour limiter les captures accidentelles d’oiseaux, notamment en leur masquant les lignes de pêche au moment où on les relève. Quant aux mammifères marins, à l’origine de récentes fermetures du golfe de Gascogne, des effaroucheurs sonneurs sont testés, mais ils semblent encore peu efficaces et posent potentiellement des problèmes d’exclusion des espèces protégées hors de leurs habitats naturels. (...)

Plus généralement, le diagnostic suggère que la bande côtière est aujourd’hui saturée et qu’y augmenter la pression de pêche, y compris avec des engins a priori vertueux, aurait des effets délétères. A contrario, les indicateurs montrent qu’il existe des flottilles hauturières de fileyeurs et de ligneurs, capables d’exploiter les ressources du large, et qui cumulent de bons bilans environnementaux et socio-économiques.

La drague, une forme de monoculture… plutôt vertueuse

La drague, qui pénètre dans les premiers centimètres du sédiment pour y prélever les coquillages, est un engin très impactant qui modifie fortement l’écosystème exploité. Pourtant son bilan environnemental, mais aussi économique et social, apparaît relativement bon lorsqu’on le ramène au tonnage pêché. (...)

Sur une surface restreinte, les pêcheurs ont en effet créé une monoculture de coquillages, sans doute plus productive que l’écosystème d’origine. Les fortes densités, obtenues grâce à une exploitation limitée et souvent à des opérations d’ensemencement en jeunes coquilles produites en écloseries, permettent d’être rentable en draguant une surface réduite. En retour, les empreintes abrasion et CO2 sont diminuées, alors même que la monoculture exclue la surexploitation et limite fortement les captures de juvéniles ou d’espèces sensibles.

Vers une transition écologique et sociale des pêches françaises (...)

Les pêches maritimes françaises sont aujourd’hui en crise, confrontées à des conditions économiques difficiles, à la rareté des ressources naturelles, et aux impacts croissants du changement global. Plus que jamais, elles ont l’obligation d’engager une transition écologique et sociale, en répondant à un triple défi : la réduction drastique de leurs impacts sur la biodiversité marine, la décarbonation du secteur, et la restauration de sa rentabilité et de son attractivité.

Le diagnostic présenté ici constitue une première étape, pour accompagner cette transition. D’autres étapes seront nécessaires pour en définir les modalités et les conditions de réalisation. Mais d’ores et déjà deux idées fortes se dégagent. Premièrement, pour créer de l’emploi et de la richesse économique, il faut progressivement réserver la zone côtière à la petite pêche côtière, en y privilégiant les arts dormants, et notamment ceux qui sauront résoudre le problème des captures accidentelles d’espèces sensibles.

Deuxièmement, nous avons aussi besoin d’une pêche du large pour valoriser les ressources qui y sont présentes. Là est sans doute l’enjeu le plus stratégique et le plus complexe de la transition, car le segment intermédiaire des navires dits hauturiers, capables d’exploiter l’ensemble du plateau continental, est dominé par le chalut de fond. Il faut donc l’accompagner dans sa transition vers des modes de pêche plus vertueux. (...)