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Chocolat durable : un avenir incertain pour les petits producteurs
#chocolat #multinationales #commerceEquitable #UE
Article mis en ligne le 29 octobre 2023
dernière modification le 28 octobre 2023

Dans un an, tout le cacao vendu en Europe devra être traçable, pour lutter contre la déforestation. Pourtant la filière ne semble pas prête et l’obligation risque de peser sur les petits producteurs

Au 30 décembre 2024, les produits qui ne montreront pas patte blanche concernant la déforestation seront exclus du marché de l’Union européenne (UE), selon la règlementation adoptée en mai dernier. Pour une filière du cacao qui, malgré deux décennies de discussions pour améliorer la durabilité, n’a réglé ni la destruction des forêts ni la pauvreté des producteurs, une telle ambition est louable. Pourtant ONG et chercheurs spécialistes du sujet ne se réjouissent pas trop vite. (...)

« Cette décision européenne montre qu’on gagne des batailles politiques importantes du point de vue du changement climatique et de la crise écologique. Mais le système dérégulé de l’offre et de la demande ne permettra pas une mise en œuvre équitable et les transformations risquent de se faire aux dépens des plus faibles, les petits producteurs », prévient Julie Stoll, déléguée générale de Commerce équitable France. Qui rappelle que face aux 5,5 millions de producteurs, dont plus des deux tiers sont en Afrique, le marché est très concentré dans les mains d’une poignée de traders et d’industriels du chocolat, dont Mondelez, Mars et Nestlé. (...)

l’industriel devra faire la preuve que ses produits ne viennent pas de parcelles situées dans des zones déboisées depuis 2020. Côté européen, le dispositif est prêt. Le système Starling, codéveloppé par Airbus en 2016, propose déjà une surveillance en temps réel de la déforestation par de l’imagerie satellite.

Mais pour la traçabilité du cacao, la seule certitude est que la filière n’est pas prête. Selon le baromètre du cacao 2022, plus de la moitié du cacao produit dans le monde n’est aujourd’hui pas traçable et, pour la moitié qui l’est, cette traçabilité s’arrête souvent au niveau de la coopérative de producteurs. (...)

« Combien va coûter cette traçabilité, qui va payer ? Pour l’instant, les industriels du secteur ne souhaitent pas travailler avec nous sur ces questions », regrette Guillaume Lescuyer, du Cirad [1], qui participe à l’Initiative française pour un cacao durable. Lancé en octobre 2021 dans le but d’améliorer les conditions de production du cacao, ce groupe de travail réunit tous les acteurs français de la filière. (...)

Le piège de pauvreté dans lequel sont maintenus les producteurs de cacao est pourtant le moteur de la déforestation.

Malgré une remontée récente, les prix du cacao sont bien trop bas pour assurer un niveau de vie décent aux producteurs. (...)

la filière du commerce équitable, qui défend un meilleur prix payé au producteur, manque, elle, de débouchés industriels : Max Havelaar n’arrive à valoriser sous le label Fairtrade que la moitié de la production certifiée, faute d’industriels preneurs.

Ces programmes de cacao dit durables, mis en place par les firmes ou par des organismes indépendants, seront néanmoins les premiers à être traçables. (...)

les deux principaux labels du secteur, Fairtrade Max Havelaar et Rainforest Alliance, qui ont déjà une traçabilité jusqu’à la coopérative de producteurs, accompagnent ces dernières vers la géolocalisation des parcelles. (...)

les deux principaux labels du secteur, Fairtrade Max Havelaar et Rainforest Alliance, qui ont déjà une traçabilité jusqu’à la coopérative de producteurs, accompagnent ces dernières vers la géolocalisation des parcelles. (...)

Bonus-malus fiscal

Les grands pays producteurs bougent aussi. La Côte d’Ivoire et le Ghana ont commencé à doter les exploitations de cacao de cartes d’identité numériques. L’occasion pour ces États de mieux contrôler cette production. Mais cette première étape n’assure pas encore la traçabilité de la production. Et pour tous les producteurs hors des coopératives qui confient leur cacao à des pisteurs qui passent prendre les sacs en bout de champs, le chemin est encore très long.

Que va-t-il donc se passer le 30 décembre 2024 ? Certains experts craignent que les industriels jouent la montre : si personne n’est prêt, ils espèrent qu’un délai supplémentaire sera accordé par l’UE. L’Europe est en effet le premier importateur de cacao, mais aussi le marché le plus rémunérateur. Il sera donc difficile pour la filière d’aller vendre ailleurs.

Cette importance du marché européen est d’ailleurs une des conditions de la réussite de la législation européenne, car elle limite les fuites possibles vers des marchés moins exigeants. (...)

Une autre inquiétude sur la traçabilité du cacao repose sur la propriété des systèmes de suivi et des données collectées. « Si les opérateurs privés paient les systèmes de géolocalisation, cela pourrait rendre les producteurs captifs », estime le chercheur Guillaume Lescuyer. Autrement dit, le risque est que les producteurs se voient imposer une contractualisation qui les engage à long terme en échange de l’accès à la géolocalisation fournie par les sociétés de négoce.
Chercheurs et ONG interrogés regrettent finalement que la législation européenne reste si discrète sur les mesures d’accompagnement et de financement, en laissant la filière s’organiser. Sachant que l’industrie du chocolat justifie depuis des années son inertie sur les prix à cause de la concurrence forte du secteur. (...)

l’État taxe les exportations de cacao non tracé pour investir ce malus dans les systèmes de traçabilité et accorde en bonus une baisse de la taxe à l’export pour le cacao tracé. Si ces deux géants du cacao sont bien avisés, ce système aura en plus l’intérêt de s’appliquer à l’ensemble du marché du cacao. (...)