
Le fondateur de StreetPress raconte pourquoi il s’est engagé comme journaliste contre l’extrême droite et contre l’antisémitisme. Aujourd’hui, il s’engage pour éviter Marine le Pen en 2027. Un récit personnel.
« Tata Violette ». J’étais haut comme trois pommes. Sa petite photographie encadrée, un profil discret, était déjà à sa place à l’entrée de la maison familiale. Celle qu’on appelait « Tata Violette » était la lueur d’espoir quand tout s’éteint. Toute la famille de mes grands-parents a été engloutie dans les camps nazis. Les parents de ma mère, seuls survivants, doivent leur vie au courage de Tata Violette. Cette amie chrétienne les a cachés, à ses risques et périls, dans un petit appartement qu’elle avait à Paris pendant toute une partie de la guerre. (...)
La vérité c’est que la guerre, les persécutions, on n’en parlait plus dans la famille. Jusqu’à ce que ma mère s’y intéresse. (...)
Si la famille de mon grand-père a été déportée depuis la France, la famille de ma grand-mère est restée en Hongrie. Une famille détruite. Il y a eu une survivante, Zsugi, qui vivait toujours à Budapest au début des années 2000. Quand je venais lui rendre visite, elle gâtait son petit-cousin autant qu’elle le pouvait. Mais dès que j’abordais avec précaution le sujet du judaïsme, elle et son fils me renvoyaient dans les cordes. Ils ne voyaient pas ce dont je leur parlais. Le soviétisme avait eu raison de notre identité.
Sur la photo, j’ai la bouille souriante d’un enfant de deux ans. Premier engagement militant. Je tiens un ballon blanc, avec écrit en bleu : « Liberté pour les juifs d’URSS ». C’est ma première manif, sur les épaules de mes parents (...) Le calcul soviétique était simple : plus d’éducation juive, plus de juifs.
« Chasseurs de nazis »
Ma mère rejoint aussi le groupe de militants autour de Serge et Beate Klarsfeld. (...)
J’ai 14 piges quand démarre le procès de Maurice Papon, à Bordeaux. Ma mère s’y rend chaque semaine avec son association et parfois je sèche le collège pour l’accompagner. Papon, c’est une belle carrière en vérité : ministre du budget sous Giscard, député sans discontinuer sous De Gaulle, Pompidou et Giscard. Accessoirement secrétaire général de la préfecture de Gironde en 1942, organisateur des rafles et de la déportation des juifs bordelais. Accessoirement préfet de Paris le 17 octobre 1961, quand la police française tue en les jetant dans la Seine entre 100 et 200 manifestants algériens.
J’avais 14 ans, je n’ai pas tout compris de ce procès pour complicité de crimes contre l’humanité, mais j’ai retenu le : « Je ne faisais qu’obéir aux ordres » de l’ancien fonctionnaire. (...)
À 20 ans, les embrouilles commencent : 2003, manifestation pour la paix et contre la guerre en Irak, deux jeunes adultes d’un mouvement de jeunesse juif de gauche que j’ai fréquenté se font identifier comme juifs et lyncher par une quarantaine de manifestants, certains équipés de manches en bois, aux cris de : « Y’a des juifs, y’a des juifs là-bas ». Parmi le petit commando, des islamistes, des militants pro-palestiniens radicaux et même des activistes d’extrême droite. (...)
Je deviens journaliste indépendant. C’est-à-dire que j’écris pour différents médias, principalement sur le sujet des mouvements radicaux. Je comprends vite que pour l’antisémitisme, personne n’est vacciné. (...)
La leçon que j’ai tirée : le racisme, l’antisémitisme, le sexisme sont assez équitablement répartis dans la population française, quels que soient les courants politiques, les niveaux sociaux, les affinités religieuses. Mais le seul courant politique qui s’est construit sur la base d’un socle théorique fondé sur l’antisémitisme, la haine de l’immigré et le sexisme, c’est l’extrême droite.
L’extrême droite peut chasser plusieurs lièvres à la fois
Et l’extrême droite a ses proies. Elle peut chasser plusieurs lièvres à la fois. Tiens, les juifs et les Arabes, par exemple. (...)
L’extrême droite version 2023 continue, malgré les apparences, à détester autant les juifs que les musulmans. Il suffit pour s’en convaincre de lire les dernières enquêtes de StreetPress. Par exemple, quand notre co-rédacteur en chef Mathieu Molard révèle que des soutiens de Zemmour s’entraînent au tir sur des caricatures de juifs ET de musulmans. Où quand StreetPress explique comment Vincent Bolloré (connu pour ses chaînes comme Cnews, multicondamnée pour des propos anti-musulmans) a, en connaissance de cause, édité de nombreuses années de suite un texte antisémite.
Ni Marine, ni Bardella
Marine 2027, le risque est élevé. Je me suis juré avec la rédaction de StreetPress de ne pas lâcher d’une semelle le RN et les groupuscules qui colleront des affiches pour eux pendant la campagne. (...)