
Dans la nuit du 10 au 11 septembre 2023, le cyclone subtropical méditerranéen Daniel a atteint le littoral de la Cyrénaïque, la région orientale de la Libye, et déversé une quantité record de pluie qui s’est écoulée jusque dans le Wadi Derna qui traverse la ville. Les deux barrages en amont ont cédé et une vague surpuissante a déferlé le long du lit de la rivière détruisant tout sur son passage.
Aujourd’hui, on peine à croire qu’il y eut ici une vie animée. Le quartier de Swissi n’est plus qu’un terrain vague, qui ouvre sur une plaie béante traversant la ville, des montagnes auxquelles elle tourne le dos jusqu’à la vaste étendue bleue de la mer Méditerranée. Au lendemain de la catastrophe, l’endroit était jonché de tonnes de blocs de béton enchevêtrés sur lesquels les survivants erraient à la recherche de leurs proches disparus. La majorité des gravats ont été évacués depuis, mais quelques ronds de béton rappellent encore que l’endroit fut un jour bâti. Le silence est recouvert par le concert des chantiers : les ouvriers qui martèlent pour démanteler les dernières constructions instables ; les grues qui manœuvrent pour reconstruire des ponts ; les bétonneuses qui vont et viennent. (...)
De nombreux experts critiquent l’organisation pour son manque de transparence. Ce fonds est « une institution impénétrable où les milliards sont engloutis et des immeubles apparaissent sans que leur qualité ne soit questionnée, pour des coûts réels inconnus », a déclaré Anas el-Gomati, directeur du Sadeq Institute, à l’Agence France-Presse. (...)
Une responsabilité questionnée
Devant une assemblée d’ingénieurs, coiffés de leur casque blanc ou jaune et munis de leur gilet fluorescent, réunis sous une grande tente installée au siège local du fonds de reconstruction — un imposant bâtiment flambant neuf bien gardé par les forces de sécurité —, Belkacem Haftar s’est félicité, le 9 septembre, de l’avancée des chantiers. (...)
Faut-il voir dans cet investissement massif un moyen de faire oublier les responsabilités des autorités ? Pendant des années, de nombreux spécialistes du génie civil ont alerté sur l’état délétère des deux barrages et, malgré le déblocage d’un budget à cet effet, ils n’ont jamais été rénovés. (...)
Le 28 juillet, douze personnes ont été condamnées à des peines allant de 9 à 27 ans de prison. Le procureur général n’a révélé ni les identités, ni les fonctions, ni les charges pesant sur eux, les présentant simplement comme des fonctionnaires « chargés de la gestion des barrages ». L’absence d’alerte claire à la veille du passage de la tempête n’a, lui, pas donné suite à des décisions de justice. (...)
Pour commémorer la catastrophe, le fonds a convié quelques journalistes à visiter la ville. Pas question de circuler librement, chaque déplacement se fait accompagné d’un membre de l’équipe de communication et d’un militaire. La méfiance des autorités à l’égard de la presse n’est pas nouvelle (...)
il s’agit de mettre en valeur leurs actions à travers des visites d’infrastructures — ponts, hôpital, école — flambant neuves ou en cours de finition. (...)
« Je m’en souviens comme si c’était hier »
L’ampleur des travaux ne permet cependant pas d’effacer les blessures des survivants. (...)
« À environ 2 heures, nous avons entendu la rupture du barrage et la destruction de la ville. À ce moment-là, des milliers de personnes ont été emportées par le courant. » (...)
les anciennes velléités ont vite repris le dessus et le pays est retombé dans l’oubli, seul à compter ses morts. Un an après la catastrophe, aucun bilan définitif n’a été publié. Le dernier bilan de l’Organisation mondiale de la santé, qui ne met plus à jour ses données depuis avril, fait état de 5 923 morts sans compter plusieurs milliers de disparus. Dans le cimetière situé sur les hauteurs de Derna, à quelques kilomètres au sud, seuls des nombres permettent d’identifier les inconnus qui demeurent là. (...)
Face à l’afflux de cadavres, les autorités n’ont eu d’autres choix que de recourir à des fosses communes. (...)