
L’Arabie saoudite, par l’intermédiaire de son Fonds d’investissement public (FIP), a approfondi ses relations avec Tel-Aviv en investissant dans des entreprises israéliennes qui soutiennent l’occupation en Palestine. Ces transactions financières s’inscrivent dans un plan plus large visant à normaliser les relations avec Israël contrariées par le génocide à Gaza.
Lorsque le prince héritier, Mohammed Ben Salman, a lancé le plan de développement Vision 2030 en 2016, il savait que cet ambitieux projet — qui vise à sortir le royaume de la rente pétrolière et à diversifier son économie — nécessiterait quantité de technologies, de financements et d’influence politique. Heureusement pour lui, Israël lui a offert une solution. (...)
Alors que la normalisation officielle reste un sujet de débat public, en coulisses, Israël et l’Arabie saoudite collaborent depuis des années. En janvier 2020, les Israéliens ont été légalement autorisés, pour la première fois, à se rendre en Arabie saoudite pour des motifs religieux ou professionnels. En novembre de la même année, le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou a rencontré secrètement Mohammed Ben Salman à Neom, en compagnie du secrétaire d’État étatsunien Mike Pompeo et du chef du Mossad Yossi Cohen
Quand l’argent afflue
Après l’ouverture de l’espace aérien saoudien aux avions israéliens en juillet 2022, et l’interview de Nétanyahou par le chaîne saoudienne Al-Arabiya en décembre de la même année, des dizaines d’entrepreneurs de la tech et d’hommes d’affaires israéliens se sont rendus en Arabie saoudite. Cela a abouti à la signature d’accords dans les secteurs civils et de la défense. (...)
Ces liens croissants se sont inscrits dans le cadre d’un plan plus large visant à préparer les Saoudiens, et au-delà le monde arabo-musulman, à une normalisation officielle imminente avec Israël. (...)
La base de ces investissements réciproques a été posée en 2021 lorsque Jared Kushner a persuadé le FIP saoudien de lui verser 2 milliards de dollars (1,72 milliard d’euros) pour le fonds de capital-investissement Affinity Partners qu’il venait de lancer. (...)
Au service de la colonisation
Jared Kushner a ensuite engagé des participations dans deux sociétés israéliennes : Shlomo Group, en 2023, et Phoenix Financial, en 2024. Le groupe Shlomo gère le mode de transport et les approvisionnements des forces d’occupation israéliennes. Phoenix Financial, l’une des principales sociétés de services financiers d’Israël, est spécialisée dans les assurances et la gestion d’actifs, et détient des parts d’autres compagnies israéliennes. Une enquête du site Middle East Eye (MEE) a révélé
que les filiales de Phoenix Financial englobaient onze entreprises publiques et une société privée ayant des liens avec les colonies israéliennes en Cisjordanie, à Jérusalem-Est annexée et sur le plateau du Golan syrien occupé. Le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme a compilé une base de données de toutes ces compagnies.
Par l’intermédiaire de la société d’investissement de Jared Kushner, l’Arabie saoudite a ainsi indirectement facilité et profité de l’occupation israélienne, aux côtés du Qatar et des Émirats arabes unis. Cela s’est produit alors même que les Palestiniens de Cisjordanie occupée sont confrontés à une escalade des attaques de l’armée israélienne et à une recrudescence des agressions des colons. (...)
Assassinats de masse »
En février 2024, la Future Investment Initiative Foundation, une institution financière saoudienne, a organisé un sommet à Miami parrainé par le FIP saoudien. Parmi les 1 000 délégués figurait Alex Karp, le PDG de Palantir Technologies Inc.
Parmi ses cofondateurs figure le milliardaire libertarien de la Silicon Valley Peter Thiel, et protecteur du vice-président étatsunien J.D Vance, qui a prononcé le discours d’ouverture. (...)
Palantir fournit à l’armée israélienne un logiciel de prévision policière automatique, ce qui a été critiqué par la rapporteuse spéciale des Nations unies sur les Territoires palestiniens occupés, Francesca Albanese, dans son récent rapport sur l’économie du génocide de Gaza
Ses armes propulsées par l’IA intègrent le système « Habsora » (« Évangile ») qui identifie automatiquement les cibles pour l’armée de l’air israélienne, en « générant » des recommandations si rapidement que d’anciens officiers du renseignement israélien le qualifient d’« usine à assassinats de masse »
En janvier 2024, Palantir a annoncé un nouveau partenariat stratégique avec Israël et a organisé une réunion de son conseil d’administration à Tel-Aviv « en solidarité ». Le 20 avril 2025, lors du Hill and Valley Forum, face aux accusations selon lesquelles Palantir aurait tué des Palestiniens à Gaza, Karp a rétorqué : « Principalement des terroristes, c’est vrai. »
Le FIP entretient des liens étroits avec Palantir via Al-Turki Holding, une entreprise phare saoudienne qui a conclu en janvier 2025 un « partenariat stratégique » avec la firme étatsunienne. (...)
L’ombre de Peter Thiel…
En avril 2023, par l’intermédiaire de sa branche de capital-risque Sanabil Investments, le FIP s’est également engagé dans une société de capital-risque californienne, le fonds Founders, dirigé par Peter Thiel, cofondateur de Palantir et un ex-associé du financier et délinquant sexuel Jeffrey Epstein.
En outre, le FIP a investi, en mai 2017, 20 milliards de dollars (17,1 milliards d’euros) dans le géant américain de l’investissement Blackstone, qui a multiplié les participations dans des firmes de la tech israélienne, dont Pentera, Mitiga, Waze et Cloudinary. (...)
Une autre société technologique israélienne dans laquelle l’Arabie saoudite a investi massivement est Magic Leap, start-up étatsunienne dédiée aux technologies de réalité augmentée (...)
...Et du Mossad
Parmi d’autres boîtes israéliennes implantées dans le royaume saoudien, citons la Fondation israélo-étatsunienne pour la recherche et le développement industriel (Israel-US Binational Industrial Research and Development, BIRD), qui finance des technologies mises au point par des entreprises des deux pays ; le Fonds israélo-étatsunien pour la recherche et le développement agricole (BARD), qui accorde des prêts aux intervenants américains en Arabie saoudite ; Eco Wave Power, une société spécialisée dans les énergies renouvelables, et CyberArk, une plateforme israélienne de sécurité des identités qui est partenaire de la firme émiratie de cybersécurité Spire Solutions en Arabie saoudite. Ce partenariat inclut l’israélien XM Cyber, qui a été cofondé par un autre ex-patron du Mossad, Tamir Pardo.
En conclusion, les activités de Mohammed Ben Salman et de Yasser Al-Rumayyan via le FIP saoudien ces cinq dernières années vont au-delà de la simple normalisation. Ils ont exploité l’argent du pétrole pour approfondir leurs relations avec Israël, en finançant son occupation et le génocide. Alors même que le royaume, qui a dénoncé « l’agression israélienne » du 9 septembre contre le Qatar, commence à s’inquiéter des velléités hégémoniques de Tel-Aviv qui mettent à mal la stabilité régionale.