
(...) "On est en train de manger le féminisme de l’intérieur, et d’en créer un nouveau."
A l’avant-veille de la Journée internationale des droits des femmes, environ 70 personnes sont venues écouter Alice Cordier, la présidente de Némésis, dans le centre de Limoges (Haute-Vienne), jeudi 6 mars. La soirée, organisée par le parti d’extrême droite Reconquête, est consacrée au "féminisme identitaire" porté par le collectif fondé en 2019. Sa priorité ? "Défendre la civilisation européenne" en exigeant "l’arrêt de l’immigration", expliquent ses trois membres présentes.
(...) A deux rues de là, quelque 250 personnes protestent contre la venue des militantes, qualifiées de "pseudo-féministes" par le président limougeaud de la Ligue des droits de l’homme, Cyril Cognéras, cité par France 3 Nouvelle-Aquitaine(Nouvelle fenêtre). Ces derniers jours, l’annonce par Némésis de son intention de participer au cortège parisien du 8 mars a aussi été critiquée par les organisateurs de l’événement, pointe StreetPress(Nouvelle fenêtre). "On ne va pas accepter de défiler avec des groupes racistes et réactionnaires qui instrumentalisent les luttes", a dénoncé l’association Nous toutes. Contacté par franceinfo, Némésis a refusé de nous accorder un entretien.
Des racines identitaires avant d’être féministes
L’intérêt de l’extrême droite pour le féminisme est récent. Des figures (comme la blogueuse Solveig Mineo) et des collectifs en non-mixité (Belle et rebelle, Les Antigones puis Némésis) ont émergé dans les années 2010, dans la foulée de La Manif pour tous, explique la politologue et historienne Magali Della Sudda dans Les Nouvelles Femmes de droite (sorti en 2022). Ces militantes sont souvent des étudiantes ou de jeunes diplômées, urbaines, blanches et catholiques. Certaines ont fait leurs armes dans les mouvements nationalistes ou identitaires, à l’image d’Alice Cordier au sein de l’Action française.
Au cœur de leur discours : la critique de mouvements qu’elle appellent "néo-féministes", parmi lesquels Nous toutes ou Osez le féminisme, et qu’elles accusent de compromission sur le sujet de l’immigration. Ces militantes d’extrême droite se scindent en deux catégories : certaines, comme l’ancienne porte-parole de Génération identitaire Thaïs d’Escufon, "professent un antiféminisme classique dans les droites radicales", tandis que d’autres, telles les membres de Némésis, revendiquent "une partie de l’héritage des combats féministes comme la possibilité de faire des études et de mener une carrière", relève Magali Della Sudda.
En parallèle, l’arrivée de Marine Le Pen à la tête du Front national (désormais Rassemblement national), en 2011, a marqué un tournant. A l’époque, "les lois sur la parité se durcissent, le FN est ruiné, et il lui manque le vote des femmes pour réussir la conquête du pouvoir", résume Magali Della Sudda à franceinfo. Dans sa "stratégie de dédiabolisation et de normalisation", Marine Le Pen développe alors "une segmentation de son discours par rapport à des cases électorales, dont les femmes", avance Mickaël Studnicki, historien spécialiste des discours des droites nationalistes sur le genre. Elles ne sont plus systématiquement réduites à un "rôle de mère et de gardienne du foyer", et après 2012, Marine Le Pen "ne remettra plus en cause l’IVG de manière explicite", relève Magali Della Sudda. (...)
Un discours anti-immigrés centré sur "le droit à la sécurité"
Ce féminisme d’extrême droite se concentre sur "la sécurité, perçue comme le premier droit des femmes", souligne Magali Della Sudda. Ou plutôt d’une partie des femmes, que Némésis appelle "nos filles, nos sœurs, nos mères", désignant en réalité les "femmes françaises". Le collectif estime par exemple qu’"une femme peut s’habiller comme elle l’entend", tout en réclamant l’interdiction pour les femmes musulmanes de porter le voile dans l’espace public. De la même manière, Némésis se distingue d’une majorité de mouvements féministes, qui dénoncent des "violences systémiques" masculines, en désignant une seul catégorie d’hommes – les immigrés, et en particulier les musulmans – comme une menace. (...)
Cette idéologie, appelée "fémonationalisme" (contraction de "féminisme" et "nationalisme") par la chercheuse Sara Farris, imprègne aussi le RN. (...)
Comme d’autres, la députée écologiste Sandrine Rousseau dénonce une "instrumentalisation" des droits des femmes. "L’extrême droite utilise les violences sexuelles comme la fraude sociale ou le chômage", illustre-t-elle.
"C’est une stratégie politique qui consiste à prendre n’importe quel sujet et à en faire un objet de dénonciation de l’immigration, car ça sert leur récit." (...) "Evidemment que des hommes de toutes les catégories sociales, de toutes les couleurs de peau et de toutes les religions violent", poursuit l’élue écologiste, réfutant tout "malaise à dénoncer les violences", d’où qu’elles viennent. Mais en faisant de l’immigration une "obsession", l’extrême droite passe sous silence la réalité des violences faites aux femmes, estime Sandrine Rousseau.
Quelles sont les propositions de l’extrême droite en dehors de la lutte contre l’immigration ? Ces dernières années, le RN a peu soutenu les textes de loi en faveur des droits des femmes. S’il s’est prononcé pour l’aide d’urgence aux victimes de violences conjugales, le parti s’est divisé sur la constitutionnalisation de l’IVG en 2024. (...)
De son côté, Némésis est régulièrement critiqué pour ne pas prendre la parole sur d’autres thématiques que l’immigration. (...)
"L’effacement des femmes et des mères"
Outre l’immigration, les tenants du féminisme d’extrême droite ont également dans leur viseur les personnes transgenres. (...)
Du RN aux organisations, tous développent un "argumentaire selon lequel les femmes transgenres prendraient la place des femmes cisgenres", pointe la sociologue Karine Espineira. De telles positions transphobes constituent désormais un incontournable du trumpisme aux Etats-Unis. "La transidentité remet en cause la conception de la masculinité et de la féminité, centrale dans les mouvements nationalistes", explique l’historien Mickaël Studnicki.
La fin du "gender gap" au RN
Son discours adressé aux femmes semble avoir rapporté gros au Rassemblement national. Le parti a résorbé le "gender gap" ("écart entre les genres"), soit la différence entre la participation électorale des femmes et des hommes, en gagnant dix points dans l’électorat féminin entre les européennes de 2019 et de 2024 (...)
Pour diffuser ses idées, les militantes de Némésis ont aussi trouvé un écho "dans des organes de presse conservateurs en raison de leur proximité idéologique avec certains patrons" comme Vincent Bolloré (CNews, Europe 1, Le Journal du dimanche...), décrypte Magali Della Sudda. "Du fait de leurs actions spectaculaires, elles ont aussi gagné de l’audience dans des médias classiques", ajoute-t-elle. Leur voix porte désormais jusqu’au gouvernement. Fin janvier, le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, a félicité le collectif, se disant "très proche" de son combat – avant de rétropédaler. Ces soutiens enchantent Némésis, qui a expliqué lors du rassemblement à Limoges développer depuis quelques mois ses activités de "lobbying". Son objectif : peser sur les politiques d’immigration en Europe. Et peut-être, un jour, faire partie de "l’establishment".
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– (Contre-Attaque)
Paris : la police charge la manifestation féministe et protège l’extrême droite et les sionistes
Ce samedi 8 mars, des manifestations ont lieu partout dans le monde à l’occasion de la journée internationale de lutte pour les droits des femmes et des minorités de genre. En France, des dizaines de milliers de personnes ont manifesté. À Paris, le groupe d’extrême-droite Némésis et le collectif pro-Israël Nous Vivrons avaient annoncé leur intention de s’incruster au sein de la manifestation pour provoquer et générer des tensions.
Il s’agit pour ces collectifs d’instrumentaliser la cause féministe au service d’une propagande raciste et coloniale. En réponse, un cortège féministe et anti-raciste s’est constitué pour empêcher leur opération. Mais il a été férocement réprimé. Des personnes ont été frappées au visage, gazées ou arrêtées. De leur côté, les collectifs Nous Vivrons et Némesis ont pu marcher sous haute protection. La police est une milice privée au service de l’extrême droite. Ces groupuscules ont d’ailleurs scandé « merci la police ! » Une police régulièrement dénoncée par les féministes pour son inaction face aux violences sexistes. (...)
La France est l’un des seuls pays du monde où les marches féministes du 8 mars subissent une telle violence d’État.