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Mediapart
Comment le Sénat a obtenu que l’Arcom adresse une « mise en garde » à France 2
#Arcom #complementdEnquete #Senat #Bollore #RSF
Article mis en ligne le 4 décembre 2025
dernière modification le 2 décembre 2025

Mediapart révèle que le régulateur des médias avait d’abord estimé n’avoir rien à reprocher à « Complément d’enquête » concernant son émission sur le Sénat. Mais face aux pressions du Palais du Luxembourg et de son président Gérard Larcher, l’Arcom a fini par se déjuger.

Subitement, l’Arcom a retrouvé les bonnes grâces des médias Bolloré. Après avoir réclamé des mois durant la suppression du régulateur des télécoms et cloué au pilori ses membres, qui avaient eu l’audace de retirer sa fréquence TNT à C8 en juillet 2024, CNews, Europe 1 et Le Journal du dimanche (JDD) ont sérieusement modéré leur hargne. Désormais présentée comme « une autorité publique indépendante », l’Arcom a eu droit aux louanges du JDD dans son dernier numéro.

Un net radoucissement directement lié à la prise de position du 27 novembre 2025 de l’institution, où elle a publiquement contredit l’enquête de Reporters sans frontières (RSF), qui concluait au mépris systématique par CNews des règles du pluralisme politique. Le régulateur a jugé qu’il n’y avait en fait aucune infraction, et les équipes de « Complément d’enquête », l’émission d’investigation de France 2, ont dû couper en catastrophe un peu moins d’une minute de leur émission diffusée le soir même, consacrée à « la méthode CNews ».

Dans cet épisode inédit, l’Arcom a donné des munitions à l’extrême droite dans la guerre culturelle qu’elle livre à l’audiovisuel public. Et ce n’est pas la seule cartouche offerte aux critiques de France Télévisions. Le même 27 novembre, alors que le parti d’Éric Ciotti, allié au Rassemblement national, lançait sa commission d’enquête parlementaire sur l’audiovisuel public, l’Arcom a également adressé à « Complément d’enquête » une « mise en garde » concernant l’émission du 19 juin dernier, consacrée aux différentes affaires et polémiques qui secouent le Sénat depuis plusieurs mois. (...)

Dans un communiqué, l’Arcom a pointé, entre autres, « l’absence de mise en perspective, de nature à nuire à la bonne compréhension du téléspectateur », à propos du témoignage d’un ancien collaborateur parlementaire dénonçant des faits de harcèlement. Elle a aussi estimé, au sujet d’une autre séquence du reportage, que certains faits « ne peuvent être regardés comme ayant été traités avec la mesure et la rigueur requises ».

Selon nos informations, l’autorité de régulation n’avait, dans un premier temps, relevé aucun manquement concernant l’émission sur le Sénat. Elle avait même averti les équipes de « Complément d’enquête » de sa décision de classer sans suite le dossier.

Un dossier d’abord classé…

L’Arcom est finalement revenue sur sa décision et a demandé à ses agent·es de réexaminer l’émission afin de trouver matière à sanctionner. Et selon nos informations, ce revirement s’explique par des échanges avec le Sénat, qui a fait savoir que son président Gérard Larcher (Les Républicains) était mécontent de la première décision.

Interrogée par Mediapart, l’Arcom réfute fermement cette version des faits (voir sa réponse intégrale en annexe de cet article) : « Le collège a considéré, après un premier passage en plénière, qu’il subsistait des questions auxquelles les éléments transmis par France Télévisions n’apportaient pas de réponses suffisantes. Des éléments complémentaires ont donc été demandés (ce qui n’est pas inhabituel) et c’est à l’aune de ces éléments complémentaires que le collège, réuni en plénière, a décidé de mettre en garde l’éditeur. »

Quant au Sénat, il n’avait pas répondu à nos demandes le 1er décembre en fin de journée. (...)

« Que le collège de l’Arcom prenne une décision contraire aux recommandations des services, ça arrive, témoigne une source interne. En revanche, que le collège revienne sur sa décision quelques semaines après l’avoir rendue publique et la fasse disparaître du site, c’est du jamais-vu. »

Selon nos informations, Gérard Larcher a été informé entre-temps, comme l’exige la procédure, que sa saisine n’avait permis de constater aucun manquement. Particulièrement remonté contre cette première décision, le Palais du Luxembourg a fait remonter le mécontentement de son président jusqu’aux neuf membres de l’Arcom, dont un tiers est nommé par le Sénat. (...)

« C’est très surprenant de voir l’énergie déployée par l’Arcom pour nous chercher des poux dans la tête sur ce sujet, quand on sait que les condamnations de Nicolas Sarkozy et de Marine Le Pen ont fait l’objet de campagnes de désinformation massives sur CNews, qui n’ont pas été sanctionnées », s’indigne une source haut placée à France Télévisions.

L’Arcom vs. RSF

Cet épisode devrait tendre encore un peu plus les relations entre l’Arcom et la chaîne publique, devenues d’un coup très compliquées après la contestation de l’analyse de RSF contre CNews, relayée dans le dernier numéro de « Complément d’enquête » diffusé le 27 novembre. (...) (...)

RSF affirme notamment que la chaîne Bolloré ne parvient à se conformer à ses obligations en matière de temps de parole qu’en rattrapant pendant la nuit les temps de parole de la gauche, diffusant discours entiers et conférences de presse fleuves pendant que l’immense majorité des téléspectateurs et téléspectatrices dorment – et que les audiences sont au plus bas. (...)

Cette remontrance officielle contre le groupe audiovisuel public a ravi chez Bolloré, dont les têtes de gondole se sont régalées en dénonçant le « rapport bidon » de RSF. L’ONG, elle, ne recule pas.

« Nous ne renions rien, nous maintenons nos chiffres et nos conclusions, indique Arnaud Froger, responsable de son service investigation. Nous aurions aimé que cette séquence de “Complément d’enquête” soit maintenue. C’est dans les moments où le journalisme est sous pression qu’il faut savoir résister. »

« Nous avons été très étonnés de la manière peu commune, et en décalage avec ses habitudes, par laquelle l’Arcom a communiqué à cette occasion, insiste-t-il. Sa réponse a été extrêmement rapide et l’extrême droite médiatique s’est jetée dessus pour se dédouaner. Une forme de contre-récit s’est mise en place, sur la base d’éléments que nous contestons totalement. » (...)

Aujourd’hui, RSF prépare une saisine de l’institution, qui sera finalisée avant la fin de l’année : « Nous demandons que l’Arcom examine, dans le cadre officiel qui est le sien, l’ensemble des éléments que nous lui fournirons. La saisine fera une centaine de pages, ce sera un travail sérieux et de longue haleine. »