
« Jusqu’à présent, notre travail se poursuit au jour le jour, mais nous craignons énormément pour l’avenir. Ce qui me préoccupe le plus, c’est que les États-Unis risquent de perdre une génération de scientifiques », s’alarme auprès de Mediapart un climatologue d’une éminente université américaine, qui, par peur de représailles de la part de l’administration Trump, préfère témoigner anonymement.
Ces dernières semaines, le gouvernement Trump a supprimé jusqu’à 1 300 postes au sein de l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique (NOAA), premier organisme public du pays pour la météorologie et la climatologie. Après une bataille juridique débutée fin février qui a permis de réintégrer des centaines de scientifiques et d’expert·es – notamment en les mettant en congé administratif –, l’administration Trump a demandé à la NOAA de se préparer à couper un millier de postes supplémentaires.
Au total, l’agence phare de la science climatique américaine pourrait perdre 20 % de ses effectifs, dont beaucoup de jeunes chercheurs et chercheuses en période probatoire. Trump colle ainsi au plus près de la feuille de route ultraconservatrice du Project 2025, qui recommande de cibler la NOAA, agence vectrice « d’alarmisme climatique ». (...)
our Tom Di Liberto, climatologue et spécialiste en communication publique à la NOAA, ces licenciements ont aussi touché de nombreux bureaux de prévision météorologique « déjà peu dotés en effectifs » et « qui émettent les veilles et les alertes, qui communiquent ces informations aux médias locaux et aux décideurs ».
Les conséquences de cette attaque trumpienne se font déjà sentir aux États-Unis. La NOAA a pour exemple réduit considérablement les lancements de ballons météorologiques dans tout le pays, des instruments essentiels pour prédire entre autres les phénomènes climatiques extrêmes. Et à Hawaï, l’observatoire de Mauna Loa, référence mondiale pour les mesures de gaz à effet de serre, devrait fermer ses portes dès cet été.
Mais les répercussions de l’assaut de Washington contre la NOAA sont également internationales, l’agence étant le plus grand contributeur de données météorologiques de la planète. Comme le précise à Mediapart Tom Di Liberto, « les données de la NOAA sont partagées dans le monde entier et sont librement accessibles. Il s’agit de données de modèles météorologiques et climatiques, d’observations et de données satellitaires. La perte d’une partie de ces relevés nuira aux modèles météorologiques du monde entier et à la recherche ».
Des océans moins suivis (...)
« Environ deux tiers des flotteurs Argo à travers le monde sont gérés par la NOAA. Et ce sont eux qui centralisent et harmonisent par exemple les mesures de pression du CO2 à la surface des océans du programme Argo. »
Nos collègues américains à la NOAA subissent un audit pour savoir si les flotteurs Argo peuvent être utilisés pour des applications dans l’industrie pétrogazière ou militaire
.Un expert de l’Ifremer (...)
À cela s’ajoute le fait que depuis février, sur ordre de l’administration Trump, la NOAA a l’interdiction d’échanger avec l’Ifremer. (...)
Données satellitaires en péril
Même son de cloche du côté de la surveillance satellitaire de la planète. (...)
À titre d’illustration, l’Institut national de recherches spatiales du Brésil utilise en partie des images provenant de satellites américains pour surveiller l’apparition d’incendies dans la forêt amazonienne. Les systèmes satellitaires et les financements de la NOAA sont aussi essentiels au Service d’alerte précoce des sécheresses en Afrique, qui réalise un suivi depuis l’espace du jaunissement de la végétation, ou encore pour la prévention des ouragans dans les Caraïbes et en Amérique du Sud.
Actuellement, l’agence scientifique américaine produit environ un tiers des relevés satellitaires nécessaires pour alimenter les modèles climatiques. Et elle a pour projet, au début des années 2030, de lancer le programme GeoXO, un dispositif d’observation inédit censé fournir de nouvelles données en matière de risques climatiques pour prévenir les impacts croissants du réchauffement planétaire.
« Il y a une volonté assez poussée de produire de l’ignorance ». Un chercheur à la Columbia’s Climate School (New York)
Toutefois, prévient Florence Rabier, directrice générale du Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme, acteur clé de l’observatoire européen du climat Copernicus, « les gouvernements du monde entier ont besoin de données météorologiques de haute qualité pour investir et prendre des décisions afin de protéger leurs citoyens. Toute lacune dans la surveillance du système terrestre aujourd’hui n’aura pas seulement des répercussions sur le présent, mais engendrera également des problèmes pour de nombreuses générations à venir ».
Impacts délétères sur les modèles climatiques
En bout de chaîne, c’est l’ensemble des modélisations informatiques du climat qui est menacé par cette érosion de la production de données indispensables au suivi de notre planète à l’ère du chaos climatique. (...)
Saboter le prochain rapport du Giec
Pour terminer, l’administration Trump semble vouloir saper toute collaboration entre les scientifiques américains et le Giec. Le 24 février 2025, aucune équipe de recherche états-unienne n’a pu se rendre à une session plénière du Giec à Hangzhou, en Chine. Puis le 10 mars, Katherine Calvin, scientifique en chef à la Nasa et coprésidente du groupe de travail 3 du Giec consacré aux solutions de réduction des émissions, a été licenciée. (...)
ces dernières semaines, des scientifiques et des techniciens bénévoles ont développé un projet appelé Public Environmental Data Partners afin de récupérer plusieurs centaines de jeux de données climatiques, environnementales ou sanitaires qui ont été retirés des sites gouvernementaux américains.
« Ce qu’il faut comprendre, c’est que c’est l’ensemble des sciences ayant trait au climat, mais aussi à la santé, aux inégalités, à la biodiversité, en somme les sciences qui sont les pierres angulaires du cadre juridique de la protection de l’environnement qui sont sciemment ciblées », analyse Valérie Masson-Delmotte.
Et Pierre Friedlingstein de prévenir : « Je suis extrêmement préoccupé, car on a vu en deux mois à peine un glissement total vers l’obscurantisme. Et je ne mettrais plus ma main à couper sur le fait qu’on ne verra jamais cela en France. »