
La droite et l’extrême droite ont violemment attaqué les magistrats après la peine d’inéligibilité immédiate prononcée contre la cheffe de file du Rassemblement national, tandis que La France insoumise a été la seule formation de gauche à dénoncer le principe de l’exécution provisoire.
LaLa stratégie de communication du Rassemblement national (RN) a trouvé un large écho au sein de la classe politique après la condamnation, lundi 31 mars, de Marine Le Pen pour détournements de fonds publics. Outre les silences embarrassés, les critiques contre la décision de justice, la majorité des réactions ont validé la ligne du parti d’extrême droite, qui dénonce un « scandale démocratique ».
S’il s’astreint officiellement à un silence médiatique, l’exécutif a laissé fuiter dans l’après-midi sa désapprobation à l’égard de cette décision judiciaire. L’entourage de François Bayrou, lui-même visé par une affaire d’assistants parlementaires, a fait savoir qu’il avait été « troublé par l’énoncé du jugement ».
Le premier ministre avait échangé mercredi par téléphone avec la cheffe de file du RN. En 2024, il avait déjà jugé le scénario d’une peine d’inéligibilité immédiate « dérangeant », tandis que l’actuel ministre de la justice, Gérald Darmanin, l’avait trouvé « choquant » avant de revenir au gouvernement.
Visiblement moins « troublé » que François Bayrou, le député MoDem Erwan Balanant a défendu la décision de justice (...)
Laurent Wauquiez, président du groupe Droite républicaine (DR) à l’Assemblée nationale, a dit tout le mal qu’il pensait d’une décision « lourde » et « exceptionnelle ». « Dans une démocratie, il n’est pas sain qu’une élue soit interdite de se présenter à une élection », a expliqué l’élu de Haute-Loire, candidat à la présidence du parti Les Républicains (LR).
Tenu par son statut de ministre de l’intérieur, son concurrent Bruno Retailleau s’est – pour l’instant – abstenu de réagir, à l’unisson de ses collègues du gouvernement. Son entourage n’exclut pas qu’il finisse par le faire, à l’issue d’un déplacement à Londres où il doit assister lundi et mardi à un sommet consacré à la lutte contre l’immigration illégale. (...)
LFI isolée à gauche
Plus inattendu, Jean-Luc Mélenchon, par ailleurs lui aussi mis en cause depuis l’ouverture d’une information judiciaire en 2018 pour manquements et irrégularités quand il était député du Parti de gauche au Parlement européen, s’est associé au concert des pourfendeurs du jugement. Se contentant de relayer le communiqué écrit par son mouvement qui « prend acte » de la condamnation mais réitère qu’il refuse « par principe » l’exécution provisoire en matière d’inéligibilité, le leader insoumis a tenu à ajouter que « la décision de destituer un élu devrait revenir au peuple ».
De quoi en faire tiquer plus d’un à gauche, d’autant que la direction insoumise précise dans son communiqué que « La France insoumise n’a jamais eu comme moyen d’action d’utiliser un tribunal pour se débarrasser du Rassemblement national », dans une formule laissant penser que certains – la justice ? le gouvernement ? – seraient enclins à instrumentaliser la décision du tribunal pour empêcher le RN d’accéder au pouvoir.
Une position en forme de déclinaison de la théorie du « lawfare » qu’avait développée Jean-Luc Mélenchon au moment de son procès pour rébellion qui avait fait suite aux perquisitions qui avaient touché son organisation, un an plus tôt.
Interrogé à l’Assemblée nationale, le député insoumis Éric Coquerel s’en est quant à lui tenu à une position de « principe » : « On prend acte de la décision, mais on pense que les recours devraient être épuisés. De toute façon, on ne compte pas sur la justice pour battre le RN », a déclaré le président de la commission des finances au Palais-Bourbon, soulignant néanmoins qu’il ne remettait pas en question la décision des juges.
Plusieurs députés insoumis se sont gardés de relayer la ligne promue par la direction du mouvement, à l’instar de Rodrigo Arenas, Loïc Prud’homme, Aly Diouara ou Raphaël Arnault (voir notre Boîte noire), qui n’ont pas retweeté le communiqué.
Dans le reste de la gauche, la tonalité était sensiblement différente. La députée du groupe Les Écologistes Clémentine Autain (ex-LFI) a ainsi qualifié de « saine » la décision de la justice (...)
« Les Français en ont marre des élus qui détournent de l’argent ! », a réagi son collègue François Ruffin, reprenant les mots que Marine Le Pen prononçait en 2004 à propos de l’affaire des emplois fictifs de la ville de Paris. Le député de la Somme a rappelé par ailleurs que les affaires touchaient aussi Nicolas Sarkozy, Alexis Kohler et « 26 ministres » : une « caste se sert plus qu’elle ne sert ».
« Gardien de la loi »
Cyrielle Chatelain, présidente du groupe écologiste à l’Assemblée, a quant à elle vu dans la condamnation de la cheffe de file du RN « la preuve d’un système judiciaire qui fonctionne […], qu’on soit puissant ou qu’on soit faible ». Même tonalité du côté de Marine Tondelier, secrétaire nationale du parti (...)
Au Parti communiste français (PCF), Fabien Roussel, pourtant lui-même soupçonné d’avoir occupé un emploi fictif, s’est félicité de « ce jugement [qui] doit être considéré pour ce qu’il est : le rappel de l’égalité devant la loi et la nécessaire probité des représentants ».
Dans un PS en plein congrès, il aura fallu plusieurs heures et des concertations internes pour qu’enfin un communiqué commun soit publié. Un texte de trois paragraphes seulement, qui s’en tient au service minimum : « Le Parti socialiste prend acte de cette décision comme il l’aurait fait pour toute autre. Il appelle chacune et chacun à respecter l’indépendance de la justice et l’État de droit », écrit le parti. (...)
« On ne peut pas demander aux juges de se soumettre à la vox populi », a abondé le premier secrétaire du PS Olivier Faure lundi matin sur France 2.
En début de soirée, sur BFMTV, François Hollande a de son côté rappelé que Marine Le Pen pouvait encore faire appel, y compris de sa condamnation à l’inéligibilité, et envoyé quelques flèches au premier ministre : « François Bayrou n’a pas à être “troublé”, [en tant que premier ministre] il est le gardien de la loi », a-t-il cinglé, jugeant que dans les circonstances actuelles, il n’était pas pour une censure ou une dissolution de l’Assemblée nationale.
Lire aussi :
– (Mediapart)
Impunité des politiques : François Bayrou en premier de la caste
Après le jugement condamnant Marine Le Pen, une grande partie de la classe politique française s’offusque du fait que des juges puissent rendre inéligible un élu. François Bayrou, ancien chantre de la moralisation de la vie publique, est aujourd’hui le principal avocat des privilèges de sa classe.
La justice a rarement empêché les responsables politiques de dormir et les citoyens et citoyennes le sentent bien. « De toute façon, ils ne seront jamais condamnés » ; « Ça ne sera pas jugé avant des années » ; « Ils retombent toujours sur leurs pieds » ; « Ils seront trop vieux pour aller en prison » : voilà ce qu’on entend à longueur d’année quand on évoque les « affaires » qui touchent les responsables politiques.
Depuis quelques années, une seule chose semble en réalité faire peur à des dirigeants qui paraissent s’accommoder sans trop ciller des peines de prison avec aménagement de peine, comme des amendes qui leur tombent dessus : l’inéligibilité. Le fait de perdre leur mandat, la position sociale et les privilèges qui vont avec.
Pire : les juges prononcent à présent des peines d’inéligibilité immédiate. C’est ce qu’on appelle dans le jargon judiciaire « l’exécution provisoire ». Dès le jugement en première instance, et avant même le recours en appel, les élus doivent quitter leur mandat (pour les élus locaux) ou renoncer à en briguer un nouveau (pour les parlementaires).
C’est exactement ce qui est tombé lundi sur Marine Le Pen, et, de Jean-Luc Mélenchon à Éric Zemmour, la classe politique française ne s’en remet pas. Il n’est plus possible de miser sur l’engorgement de la justice, sur des demandes d’actes supplémentaires et autres recours, ou sur des demandes de nullité, dans le but de faire traîner des années et des années. Dorénavant, la sanction peut tomber vite. (...)
Depuis vingt-quatre heures, ils sont nombreux à vouloir faire marche arrière et souhaitent revenir sur une loi votée en 2016, dans la foulée du séisme provoqué par l’affaire Cahuzac. À l’époque, pour répondre à une forte demande populaire en faveur de plus d’exemplarité, les parlementaires ont décidé d’introduire dans le Code pénal une peine d’inéligibilité obligatoire pour les atteintes à la probité.
Abolition des privilèges
Le champ de cette peine d’inéligibilité a même été élargi moins d’un an plus tard à d’autres infractions, tout au début du premier quinquennat d’Emmanuel Macron. La disposition avait été défendue par son ministre de la justice de l’époque, François Bayrou, au moment du dépôt du projet de loi « rétablissant la confiance dans l’action publique », au nom de la nécessité de « renforcer l’exigence de probité des élus ». (...)
– Condamnation de Marine Le Pen : le « trouble » de Bayrou crée le trouble à l’Assemblée
Après ses propos remettant en cause la décision de justice contre le RN, le premier ministre s’est, une nouvelle fois, enfoncé dans des bribes d’explications incompréhensibles. Y compris au sein de ses propres troupes, on prend ses distances. (...)
Au lendemain de la condamnation de Marine Le Pen et de plusieurs de ses lieutenants, jugés coupables d’avoir détourné 4,1 millions d’euros de fonds publics du Parlement européen, c’est pourtant moins l’extrême droite que le premier ministre lui-même qui s’est retrouvé sur le banc des accusés. (...)
Pressé de questions mardi dans l’hémicycle, François Bayrou n’aura toutefois pas dissipé les ambiguïtés, se contentant de réponses aussi sinueuses qu’indigentes. À Boris Vallaud, président du groupe socialiste au Palais-Bourbon, qui demandait solennellement au premier ministre d’exprimer son « soutien inconditionnel » à la justice de son pays, l’intéressé s’est empêtré dans ses contradictions. (...)
Un premier ministre jetant le doute sur une décision alors même que l’extrême droite crie au complot et que la magistrate est elle-même personnellement mise en cause et menacée ? Y compris dans la coalition gouvernementale, les déclarations de François Bayrou ont créé le malaise.
Toute la journée, les critiques se sont multipliées sur ses propos. Porte-parole du groupe MoDem à l’Assemblée, Perrine Goulet s’est publiquement inscrite en faux : « Nous ne sommes pas troublés, on est en phase avec ce qu’ont dit les juges », a-t-elle assumé devant la presse. Au micro de TF1, Erwan Balanant, député MoDem, a lui aussi pris ses distances : « Déjà, la France n’est pas le seul pays à avoir des peines d’inéligibilité […]. Il se dit troublé, moi je ne suis pas troublé, non. »
Dans le reste de la coalition gouvernementale, les propos de l’élu de Pau n’ont pas trouvé davantage de soutien, au contraire. (...)