
Alors que l’État durcit sa criminalisation des mobilisations en soutien de la cause palestinienne, le journalisme dominant légitime ce cours autoritaire et décuple la pression. Dans le premier volet de cette série consacrée au maccarthysme, nous revenons sur le traitement journalistique des interdictions de conférences de La France Insoumise et des convocations policières de deux de ses membres – Mathilde Panot et Rima Hassan – pour « apologie du terrorisme ». Une fuite en avant médiatique.
Commençons par dire que de nombreux cas de répression et d’atteintes à la liberté d’expression passent totalement sous les radars médiatiques – une manière, par le silence, de les banaliser. Au cours du mois d’avril, les interdictions de conférences et les convocations policières ayant visé La France insoumise ont, en revanche, fait couler de l’encre.
Dans un futur article, nous verrons avec quel talent Le Monde exerce son rôle de contre-pouvoir dans la conjoncture actuelle : prôner un « équilibre nécessaire » entre « liberté de réunion » et « ordre public » d’une main ; participer sans relâche à la diabolisation de La France insoumise de l’autre. Souffler le chaud et le froid : c’est aussi ce que pratique régulièrement Libération. (...)
Ailleurs dans la presse, le durcissement autoritaire n’entrave pas le ronron de la diabolisation. Au contraire... « La liberté d’expression en danger ? Les Insoumis ne doutent vraiment de rien ! » se bidonne Olivier Biscaye dans l’éditorial de Midi Libre (29/04). La convocation de Mathilde Panot ? Un juste retour de bâton pour celle qui « a franchi la ligne rouge de l’indécence » et « ose dénoncer une tentative de censure »... mais un coup de bâton encore insuffisant : « Depuis six mois, on aurait souhaité que la justice s’en prenne plus sévèrement à quelques-uns de ses collègues députés sortis de l’arc des valeurs républicaines. » (...)
Le jour de la convocation de Mathilde Panot – qui ne sera pas couverte dans l’édition papier –, Le Parisien dégaine quant à lui une énième Une pour dénoncer « la stratégie périlleuse de Mélenchon » (23/04), prélude d’une double page juxtaposant un éditorial du directeur des rédactions estimant que le parti cherche à « voir l’emporter la radicalisation et faire voler en éclats la concorde républicaine » ; un article inspirant chargé d’expliquer aux lecteurs comment « Mélenchon joue avec le feu » suivi, enfin, d’un entretien avec le président de la Conférence des imams de France titré « LFI exacerbe les tensions communautaires ».
Même sens de la hiérarchie de l’information au Figaro (24/04), qui traite la convocation en une brève d’une centaine de mots, mais déploie sa campagne contre la gauche sur la double page « Évènement ». (...)
Mais il y a mieux. Dans l’audiovisuel surtout, où les têtes d’affiche se disputent depuis des semaines le prix de l’outrance. Nous croyions « Les informés » de France Info en pole position, où le 30 avril dernier, un éditorialiste d’I24news en pleine crise de complotisme tentait d’expliquer pourquoi LFI devait « remercier le pouvoir ». Las... Ce discours est la norme. Le 27 avril, dans l’émission « Et maintenant » de Public Sénat, Hélène Terzian, journaliste politique à RMC, ne dit pas autre chose : « C’est tout bénéf pour eux ce qui se passe, presque. Ils galvanisent une certaine partie de leur électorat, ils hurlent à la censure ! » Et l’illustre Nicolas Baverez d’aller plus loin (...)
Le registre orwellien est également manié avec une précision d’orfèvre sur France 5. Dans « C dans l’air » (23/04), c’est à qui tapera le plus fort sur LFI ; et comme ailleurs les accusations et les procès d’intention sont lancés sans qu’aucun élément de preuve ne vienne les appuyer. (...)
Nathalie Shuck : J’ai le sentiment que ces interdictions de conférences, ce qui s’est produit à Lille, au fond, ça sert [Jean-Luc Mélenchon]. [...] Ça le met au centre du jeu, ça le victimise. Donc du coup, ça permet de dire à son électorat : « Voyez, vous êtes des victimes vous aussi, ben moi aussi, donc je vous représente mieux que quiconque. »
Le niveau de « l’analyse » vous terrasse ? Il n’en faut toutefois pas davantage pour devenir « grand reporter » au Point et bénéficier d’un fauteuil dans « C dans l’air ». Sachons gré à Nathalie Shuck de cet aveu, néanmoins : « Qui aurait parlé de ses conférences, sinon ? » Elle a raison : les chefferies médiatiques n’y auraient pas dépêché la moindre caméra... tant elles se moquent éperdument du pluralisme ! Ce que confirme d’ailleurs la présentatrice, Caroline Roux, visiblement très informée du sujet qu’elle est en train de commenter : « Ce sont des conférences sur quoi ? » (...)
On continue avec l’émission « 28 Minutes » sur Arte (26/04). Sous les hospices de Renaud Dély, le complotiste bon teint Brice Couturier s’insurge contre « une nouvelle gauche qui drague les islamistes et qui en même temps chantonne la chanson des wokes ». La convocation de Mathilde Panot ? Dans l’ordre des choses (...)
Le « cercle de la raison » aligné sur l’extrême droite
Le bruit médiatique est partout à l’unisson : les chefferies éditoriales légitiment censure et intimidations du pouvoir. Il reste bien quelques digues, mais le barrage est en carton-pâte. (...)
toute l’hypocrisie des commentateurs, appelant surtout à « ne pas importer davantage le conflit en criminalisant des paroles qui doivent être débattues sur la place publique ».
Sauf que depuis octobre, il n’y a pas de « débat » sur la place publique, mais une criminalisation de toute parole contestataire dans et par les médias dominants. Quant à l’accusation de vouloir « importer le conflit », elle est adressée systématiquement à sens unique : il n’est jamais venu à l’idée d’un journaliste d’émettre ce genre de jugement au moment de couvrir les déplacements en Israël du président de la République, de la présidente de l’Assemblée nationale ou d’autres députés de la majorité. Pas plus lorsqu’il s’est agi de médiatiser, par exemple, le discours du Premier ministre Gabriel Attal au dîner du Crif le 6 mai dernier.
Du côté des médias d’extrême droite, c’est également une campagne de tous les instants. (...)
Quotidienne depuis huit mois, cette campagne de diffamation médiatique n’a plus aucune limite. À l’heure où les mobilisations s’amplifient contre la guerre génocidaire de l’État israélien – des ONG aux institutions internationales en passant par les manifestations mondiales et massives, étudiantes ou non –, elle est une tentative forcenée de maintenir la crédibilité du récit médiatico-politique dominant énoncé au lendemain du 7 octobre. Cet acharnement insensé contre LFI n’est finalement qu’une grossière manœuvre de diversion visant à empêcher, à recouvrir et à étouffer toute information sérieuse et documentée sur la situation en Palestine, sur le désastre et la dévastation à Gaza comme sur les luttes de solidarité avec le peuple palestinien.
Nous le disions en décembre, et nous y insistons : la question palestinienne cristallise, à la manière d’un redoutable accélérateur, un processus à l’œuvre depuis plus de dix ans dans les champs politique et journalistique consistant à diaboliser la gauche, tout en normalisant et promouvant l’extrême droite. (...)