
Vingt ans après les événements meurtriers de 2004 impliquant l’armée française en Côte d’Ivoire, les victimes n’ont jamais été indemnisées. Dénonçant des « crimes contre l’humanité », elles n’ont pas renoncé à demander à la France de reconnaître ses responsabilités.
(...) Cette avocate, qui conseille le Collectif des patriotes victimes de Licorne (Copavil), constitué en 2005, tient à le souligner : « Il s’agit de violences, d’attaques contre une population civile, contre des personnes qui étaient là par patriotisme et dont la plupart, pour ne pas dire la totalité, n’étaient pas encartées au Front populaire ivoirien du président Laurent Gbagbo. »
Peu après les événements, les autorités ivoiriennes avaient annoncé que 57 civils étaient morts tués par balles, éclats d’obus, piétinement ou étouffement, et 2 226 autres blessés.
Ces chiffres ont été revus à la hausse en 2009 après un travail de recherche du Copavil. Celui-ci a recensé 90 morts et plus de 2 500 blessés, dont au moins une centaine sont handicapés à vie. Il y a aussi eu plusieurs dizaines de disparus, précise Lucie Bourthoumieux. (...)
Chez les civils français, aucun décès n’a été enregistré. Environ 8 000 ressortissants, dont certains ont tout perdu, ont quitté la Côte d’Ivoire fin 2004, définitivement ou temporairement. Trois plaintes pour viol ou tentative d’agression sexuelle ainsi que 21 plaintes pour des actes de violence et de pillage ont fait l’objet d’une information judiciaire.
Controverse sur les chiffres
Le bilan dressé par la Côte d’Ivoire demeure cependant contesté par les responsables politiques et militaires français (...)
Des organisations de défense des droits humains contredisent cette version. Amnesty International, qui a exhorté en vain le gouvernement français à mettre sur pied une commission d’enquête indépendante, a accusé les forces françaises d’avoir, « à certaines occasions, fait un usage excessif de la force alors qu’elles se trouvaient face à des manifestants qui ne représentaient pas une menace directe pour leurs vies ou la vie de tiers ».
La Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH) a reproché à la France de « n’avoir cessé de minimiser l’ampleur de la tragédie provoquée par la brutale intervention de ses forces armées » autour de l’hôtel Ivoire, le 9 novembre 2004. « Les forces françaises ont tiré à balles réelles par hélicoptère et au sol sur les manifestants [...]. Ces actions militaires ont outrepassé largement le mandat confié par les Nations unies », a écrit l’organisation, et elle a demandé à la France d’éclairer « les raisons pour lesquelles ses forces d’intervention ont détruit l’ensemble des moyens militaires d’un pays souverain avec lequel elle n’est pas en guerre ».
Pressions et « machination » (...)
Quant à l’Onuci, l’opération de maintien de la paix des Nations unies en Côte d’Ivoire, elle a produit un rapport « détaillé » sur ces événements de 2004, « accablant pour les forces françaises », révèle un diplomate. Ce document n’a toutefois jamais été rendu public.
Y a-t-il eu des pressions de la part des autorités françaises ? Ces dernières en ont, en tout cas, exercé sur les médias (...)
En Côte d’Ivoire, on continue de penser que des responsables français ont voulu faire un coup d’État pendant ces quatre jours de feu. (...)
Il est vrai que la période, particulièrement trouble, était propice à toutes sortes de manipulations par les multiples réseaux politiques et d’intérêts français qui évoluaient autour de la Côte d’Ivoire.
La possibilité que des responsables ivoiriens, et en particulier le chef d’état-major de l’armée, Mathias Doué – parti en exil fin 2004 et mort en 2017 –, aient été mêlés à une entreprise de déstabilisation est aussi souvent évoquée. (...)
la manière dont s’est comportée la France a durablement marqué les esprits en Côte d’Ivoire et au-delà.
Des photos choquantes des morts et blessés de l’hôtel Ivoire ont à l’époque amplement circulé sur le continent africain. « C’est la première grande défaite médiatique et politique de la France en Afrique », analyse un avocat ivoirien, tandis que Mamadou Koulibaly, ancien président de l’Assemblée nationale, suggère que « des germes de ce que les officiels actuels de Paris appellent “le sentiment antifrançais” » ont été plantés durant cette période particulière de novembre 2004. (...)
« Si vous saviez combien de camarades sont morts, faute de soins… », soupire Claude Sodoua, qui se déplace avec des béquilles depuis que sa jambe a été amputée. S’il est vital que l’État ivoirien accompagne les victimes, il est aussi temps que la France assume ses responsabilités, considère le Copavil. « La France doit reconnaître ses torts vis-à-vis de la Côte d’Ivoire et vis-à-vis de nous, victimes, et réparer les préjudices subis », disent ses membres. (...)
Laurent Gbagbo, qui veut se présenter à la prochaine élection présidentielle en 2025, estime quant à lui « qu’il faut qu’on arrive à ce que l’État ivoirien indemnise les victimes. Je ne suis pas contre le fait que l’État français les indemnise, mais ce que je souhaite le plus, c’est que l’État ivoirien les indemnise aussi. C’est ça qui me préoccupe le plus ». (...)