
Gaz lacrymogènes, coups de matraque et cris de protestation... Les forces de l’ordre ont procédé mardi dès 5h du matin à l’évacuation de la Gaîté Lyrique, lieu culturel dans le centre de Paris occupé depuis plus de trois mois par des centaines de jeunes migrants. L’ambiance était très tendue. Reportage.
Les premiers gaz lacrymogènes fusent devant la Gaîté Lyrique. Il est 6h du matin, ce mardi 18 mars. Il fait encore nuit. Les fumées asphyxient rapidement les jeunes et les collectifs de soutien qui refusent de quitter les lieux. Les cris de protestation surgissent, suivi des premiers malaises. "Arrêtez ! Ces jeunes n’ont rien fait", hurle une militante qui se fait exfiltrer manu militari par les CRS présents en nombre devant l’entrée du lieu culturel. "La honte, la honte à ce pouvoir qui fait la guerre aux mineurs isolés", répondent en criant la centaine de militants rassemblés, boulevard Sébastopol, mais maintenus par un large cordon des forces de l’ordre à une vingtaine de mètres de l’entrée du théâtre.
Dès 5h du matin, un important dispositif policier s’est déployé devant le théâtre parisien, occupé depuis trois mois par 450 jeunes, en attente de la reconnaissance de leur minorité. Le 10 décembre, environ 200 migrants rassemblés dans le "Collectif des jeunes du parc de Belleville" s’étaient installés à la Gaîté Lyrique - rejoints les jours suivants par des dizaines d’autres migrants en recours de leur minorité.
Lundi 17 mars, le préfet de police de Paris a pris un arrêté ordonnant l’évacuation rapide de ce lieu. Laurent Nuñez a invoqué un "trouble à l’ordre public" pour justifier l’opération. Il a promis que des solutions d’hébergement seraient proposées aux jeunes migrants et que leur situation administrative serait examinée.
Mais dans la nuit, les collectifs de soutien avaient appelé à "résister" face à cette expulsion menée "par un État raciste".
La situation s’est tendue très rapidement mardi matin. La députée de gauche radicale Danielle Simonnet, présente lors de l’évacuation à 5h, a dénoncé auprès d’InfoMigrants une "intervention extrêmement violente" et de "nombreux coups de matraque". Selon la préfecture de police de Paris, 46 personnes ont été interpellées lors de l’évacuation : une pour "outrage et rébellion", les autres vont faire l’objet de "vérifications administratives" et seront "placées en rétention administrative".
Pour la préfecture cependant, pas de débordements. "Les [...] manœuvres se sont déroulées dans des conditions satisfaisantes malgré quelques tensions qui ont conduit à un usage ponctuel et proportionné de la force", a indiqué la préfecture de police de Paris dans un communiqué. (...)
La majorité des jeunes ne veulent aussi pas quitter la capitale car ils y attendent un rendez-vous auprès d’un juge. Tous sont en recours pour faire reconnaître leur minorité - et ainsi espérer être pris en charge par l’ASE (Aide sociale à l’enfance). "Ils ont un dossier en cours ici, pourquoi partiraient-ils en province ? Cela n’a pas de sens", explique Yann Manzi, fondateur de l’association Utopia 56 et présent sur les lieux depuis 5h du matin. (...)
"Moi, je veux juste un endroit où dormir. Je ne veux pas créer de problèmes", explique Ibrahim, un autre jeune Guinéen qui attend son audience auprès d’un juge pour enfants. "La vie à la rue, c’est dur, je dois tout le temps bouger. Si je vais en province, je vais rater mon audience [auprès d’un juge, ndlr], j’attends toujours qu’ils me donnent l’heure et le jour. Si je rate ça, je devrais tout recommencer depuis le début".
"Il fait trop froid pour dormir dehors"
Les heures passent et, sans presque jamais s’arrêter, les militants et collectifs de soutiens continuent de chanter. Des "Siamo tutti anti fascisti" ("Nous sommes tous anti fascistes") résonnent à un coin de rue. "So-So-Solidarité avec les jeunes mineurs isolés", se fait entendre en face, dans la rue Saint-Martin, où d’autres groupes de migrants et militants sont nassés par les forces de l’ordre.
Puis soudain, les charges reprennent. Des couvertures de survie sont dépliées pour certains jeunes exilés allongés sur les trottoirs. Des "Medic !", "medic !", fusent de tous côtés. (...)
Cette occupation du théâtre parisien était devenue emblématique des tensions sur la question migratoire entre militants de gauche radicale - soutenant les exilés - et une extrême droite hostile à leur accueil en France. Le 28 février, le milliardaire et puissant allié de Donald Trump, l’Américain Elon Musk, avait même commenté cette actualisé française : il avait relayé sur X un article du journal britannique Daily Mail sur la situation du théâtre parisien, fustigeant une "empathie suicidaire" menaçant selon lui la "civilisation".