
Le ministère de l’intérieur a tenté, jusqu’au bout, d’interdire une manifestation contre le racisme et pour la protection de l’enfance. Un millier de personnes ont défilé, dans le calme, pour dénoncer les violences policières, mais aussi la guerre à Gaza.
Annie Ernaux, Angela Davis et Blanche Gardin, La France insoumise, Attac, ou le Planning familial : l’appel à manifester, ce dimanche 21 avril 2024, était large. Le mot d’ordre plus encore : la lutte contre le racisme, l’islamophobie et la protection de tous les enfants. Il a été entendu par un gros millier de personnes, qui ont marché de Barbès à République, ce dimanche après-midi à Paris. (...)
Deux militantes contre les violences policières sont les chevilles ouvrières de cette mobilisation : Amal Bentounsi, qui a perdu son frère Amine en 2012, abattu d’une balle dans le dos par un policier (celui-ci a été condamné à 5 ans de prison avec sursis), et la militante décoloniale Yessa Belkhodja, membre du collectif de défense des jeunes de Mantes-la-Jolie (Yvelines). (...)
« Souvent, on se mobilise quand il y a un nouveau décès d’un jeune tué par la police, comme celui de Wanys à Aubervilliers il y a quelques semaines, explique Yessa Belkhodja. C’est un décompte macabre. Cette fois, nous marchons pour faire prendre conscience à la société que ces violences sont structurelles. Et nous voulons que notre mobilisation soit pérenne, s’inscrive durablement dans le débat public. »
« Où sont les abbé Pierre, les Sartre, les Stéphane Hessel ? Où sont les Rosa Parks, les Angela Davis, Frantz Fanon, les Mandela de France ? », interroge le manifeste, rejoint par de nombreuses organisations : La France insoumise, Attac, le Planning familial, les syndicats SUD ou CGT, ou Révolution permanente.
Une manifestation interdite, puis autorisée deux fois (...)
Jeudi, la préfecture de police l’interdisait pour des motifs divers : certains futiles, comme la tenue d’une brocante sur la place de la République, et d’autres bien plus défiants et accusatoires envers cette mobilisation. La préfecture a reproché aux manifestants l’usage des termes de « crimes policiers » propice à « attirer des composantes recherchant délibérément des affrontements avec les forces de l’ordre », ou encore l’attention portée aux enfants morts à Gaza, qui serait susceptible d’encourager des « slogans antisémites ».
Vendredi soir, le juge des référés du tribunal administratif a balayé l’arrêté d’interdiction parce qu’il porte « une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de manifester », a-t-il estimé . Le ministère de l’intérieur a fait appel devant le Conseil d’État. L’audience s’est tenue dimanche après-midi, alors que la manifestation était en cours. Le Conseil d’État a finalement « rejeté entièrement l’appel formé par le ministère de l’intérieur, la manifestation peut se poursuivre, [ainsi que] le concert à venir », se félicitait en fin de journée Yannis Smaali, l’avocat des organisatrices de la manifestation.
Aux yeux des organisatrices de la manifestation, Amal Bentounsi et Yessa Belkhodja, l’interdiction initiale de la préfecture, puis l’appel du ministère de l’intérieur, s’inscrivent dans l’« agenda politique » d’un gouvernement toujours plus « autoritaire, sécuritaire et liberticide ». Elle démontre aussi « l’inquiétude du pouvoir », estiment-elles. (...)
L’appel à la protection de tous les enfants – « pas seulement les enfants blancs du VIe arrondissement », raille Ritchy Thibault, militant contre l’antitsiganisme – fait aussi écho au discours du premier ministre Gabriel Attal sur la jeunesse jeudi, qui a ciblé spécifiquement les « quartiers prioritaires », où il veut que « tous les collégiens » soient scolarisés « de 8 à 18 heures ». Il a également annoncé la création d’internats pour les jeunes aux « mauvaises fréquentations », loin de leur « quartier ».
Au micro, au cours de la manifestation, un homme s’est énervé : « Ce fils de bourge va nous expliquer comment éduquer nos enfants ? »
« En tant que maman, cela m’inquiète », explique Amal Bentounsi : « À quoi ressembleront ces internats ? Qui décidera du placement des enfants ? Est-ce que ce sera la justice ? Seront-ils criminalisés ? » (...)
La dénonciation de la guerre à Gaza, et du sort fait aux Palestinien·nes, occupait une large place dans la manifestation, bien plus grande que dans la tribune initiale, où étaient évoqués en quelques mots les « enfants de Gaza, maltraités, emprisonnés, tués par milliers ». (...)
La dénonciation de la guerre à Gaza, et du sort fait aux Palestinien·nes, occupait une large place dans la manifestation, bien plus grande que dans la tribune initiale, où étaient évoqués en quelques mots les « enfants de Gaza, maltraités, emprisonnés, tués par milliers ». (...)
Lors de la manifestation, quelques juifs étaient présents. En marge, quelques un·es ont vigoureusement interpellé les manifestant·es sur le sort des otages israéliens toujours aux mains du Hamas, suscitant quelques vifs échanges verbaux. D’autres ont pris part au cortège, comme Lorenzo, 26 ans, venu avec quelques ami·es et une banderole « contre l’antisémitisme l’islamophobie ». (...)
Les craintes de la préfecture de police et du ministère de l’intérieur étaient au final infondées : il n’y a pas eu de réelles tensions, la manifestation s’est achevée vers 18 h 30 à République, où s’est tenu en fin d’après-midi et en début de soirée un concert de Kery James, Médine ou encore Sniper. Les manifestants ont cohabité sans difficultés avec le public familial de la brocante qui se tenait sur la place de la République, où se trouvait un ludomouv, un conteneur rouge mobile qui propose gratuitement des jeux de société aux passants, grands et petits.